Spiritisme 1891
Je trouvai sur ma table, en rentrant, une invitation du Cercle Spirite. Nous avions joué au poker, et il était très tard. Néanmoins je fus tenté par la curiosité ; le programme annonçait un spectacle distingué, une évocation surprenante d’esprits. Il me passa par la tête l’envie de causer avec une demi-douzaine de célébrités disparues. Je n’avais jamais vu de séance spirite, et je n’étais pas fâché de cette occasion. Quoique j’éprouvasse un certain picotement des paupières, un tremblement assez caractérisé des mains, et que mon cerveau me parût noyé dans un brouillard suffisamment fumeux, je crus pouvoir affronter la conversation et je préparai mentalement quelques « colles » pour les âmes qui manqueraient de mémoire.
Le Cercle Spirite est un endroit singulier. On vous débarrasse de votre canne à l’entrée, de peur que vous frappiez à contretemps. Lorsque j’arrivai, la séance était déjà fort avancée. Il y avait autour d’une table en noyer une dizaine d’individus, les uns très chevelus, les autres très chauves, qui avaient la mine excitée. Sur un guéridon, à droite, une soucoupe renversée était marquée des lettres de l’alphabet crayonnées au charbon. Une personne pâle se tenait au milieu, un carnet d’une main, un crayon de l’autre. Je reconnus Stéphane Winnicox, le banquier Colliwobles, Herr Professor Zahnweh. Je fus frappé de l’absence de linge, des redingotes qui semblaient boutonnées sans boutons et des yeux qui fleuraient l’absinthe.
Comme je m’asseyais sur une chaise qui, apparemment, n’était animée d’aucun mouvement, l’un des individus me toucha l’épaule et m’apprit que la personne pâle qui tenait un carnet se nommait M. Médium. Je le remerciai poliment, et je le remis aussitôt. C’était un de mes anciens camarades de collège – non pas l’un des plus forts. Il avait eu l’habitude autrefois de rythmer la classe avec des roulements de pieds. Je le lui rappelai, et il sourit d’un air de supériorité en me disant que ces bruits devaient être attribués aux Esprits Frappeurs.
Un autre membre du Cercle, qui portait une rosette multicolore, mais dont le col de chemise semblait s’être converti par une progression de teinture lente en prolongement de son habit, me proposa d’évoquer quelques-unes de mes connaissances. J’acceptai, et, me dirigeant vers la table, je demandai à haute voix si Gerson était présent.
Il y eut un chuchotement parmi les membres du Cercle. M. Médium me regarda fixement, et je crus voir qu’on demandait des renseignements à mon camarade.
– Nous ne savons, me dit M. Médium, si M. Gerson sera libre ce soir. Vous êtes bien sûr qu’il est mort ?…
– Il doit être, répondis-je, dans la situation d’un chien noyé depuis plusieurs années au bord d’une rive désavantageuse, car le cimetière des Innocents n’était pas, à cette époque, en fort bon état.
Les amis de M. Médium et M. Médium lui-même parurent surpris. Mon camarade me demanda si ce n’était pas Ivry que je voulais dire.
– Peut-être que c’est Ivry, peut-être que c’est le Père-la-Chaise, – je n’en sais rien, dis-je. Il doit connaître cela mieux que moi. Je ne suis pas de première force sur la topographie de Paris.
M. Médium s’assit, planta son crayon debout sur le carnet, tandis que nous restions muets autour de lui. Puis, tout à coup, il fut pris d’une danse de Saint-Guy et son crayon fournit l’assortiment de signes le plus hétéroclite que j’aie jamais vu. Il considéra ce grimoire et déclara que les Esprits étaient allés chercher M. Gerson, qui viendrait bientôt en personne spirituelle.
Nous attendîmes quelques minutes, lorsque la table se mit peu à peu à craquer et à gémir ; ce qui signifiait, me dit mon camarade dans l’oreille, que M. Gerson était arrivé et qu’il désirait répondre à mes questions.
Mais M. Médium s’avança et demanda premièrement d’une voix forte si M. Gerson était mort depuis longtemps, s’il était disposé à nous dire depuis combien de temps et s’il voudrait bien convenir de frapper cinq coups par année – afin d’abréger le calcul – avec les pieds de derrière de la table, ce qui nous permettrait de connaître le chiffre.
M. Gerson, qui paraît avoir été une personne vigoureuse dans son temps, se mit immédiatement en devoir de répondre, et fit exécuter à la table une série de sauts-de-mouton sur ses pieds de devant. Les pieds de derrière frappaient le plancher d’une manière prodigieuse. Ma tête aurait éclaté s’il m’avait fallu compter les coups ; mais M. Médium les suivait avec une habitude consommée en hochant la tête d’un air entendu.
Au bout d’une heure et demie environ, la table donna des signes évidents de fatigue : on ne l’entendait pas souffler, mais M. Gerson devait avoir les bras rompus et les derniers coups ressemblaient au petit bruit d’une pipe qu’on fait claquer sur l’ongle, M. Médium nous dit qu’il avait enregistré le nombre extraordinaire de 2 255, ce qui donnait quatre cent cinquante et un ans coup pour coup.
Il me demanda ensuite si je désirais savoir le mois, le jour et l’heure ; mais je préférai y renoncer.
Je m’avançai vers la table habitée par M. Gerson, et je lui dis, d’une voix très douce :
– Monsieur Gerson, je suppose que vous me comprenez, même si je ne parle pas latin. Il y a une question qui me tourmente beaucoup. Pouvez-vous me dire si vous êtes vraiment l’auteur de l’Imitation, ou si c’est un de vos amis ?
Gerson ne répondit pas aussitôt, parce que M. Médium était en train de passer avec lui une série de conventions alphabétiques. Une fois la communication établie, la table s’abaissa un certain nombre de fois, puis s’arrêta.
M. Médium nous dit que ces frappements représentaient la syllabe BU. Mon camarade suggéra Bucéphale, en rassemblant tous ses souvenirs classiques ; mais je lui rappelai que c’était le cheval d’Alexandre, et, quelques versions de Quinte-Curce pesant sur sa conscience, il ne dit plus rien, jusqu’à ce qu’il s’écriât, d’un ton triomphant : « Buridan, c’est de l’époque ! »
La table prit un mouvement giratoire prononcé, M. Médium nous dit que c’était sa façon de secouer la tête. Elle n’avait même pas l’air flatté. « Ce qui prouve, dit quelqu’un, en faveur de l’histoire de l’âne ! »
Mon camarade proposa de nouveau : Budée. Mais un savant de l’assistance l’informa que Budaeus n’avait pu composer l’Imitation, pour l’excellente raison qu’il était né cent ans après.
Là-dessus, il se tut pour de bon. Puis M. Médium ayant remarqué des indices de loquacité dans la table, les développa subitement et en tira la syllabe TOR.
Le monsieur savant nous dit qu’il ne connaissait aucun personnage de ce nom et qu’il était extrêmement improbable que l’Imitation fut l’oeuvre d’un oiseau. Toutefois la table répéta avec complaisance : Butor, butor, butor, jusqu’au moment où le monsieur savant émit la conjecture que nous étions victimes des esprits de tous les suppôts de la Fête des Fous, contre laquelle Gerson avait prêché.
Dès lors, il se produisit un effroyable vacarme. La table se cabra ; les chaises tournoyèrent sur un pied ; le guéridon exécuta une sarabande, et la soucoupe, évoluant avec habileté, vint aplatir le nez de différents membres du Cercle.
M. Médium nous dit que les esprits étant agités ce soir ne voudraient plus parler, et il éteignit le gaz de l’établissement.
Après avoir tâtonné dans l’escalier très étroit, je retournais me coucher, lorsque je fus accosté par mon camarade. Il me dit que son hôtel devait être fermé, et me demanda si je ne pouvais pas le recevoir. Je l’emmenai et je le couchai dans ma chambre, sur un divan matelassé.
Sitôt que je fus au lit, je m’endormis d’un profond sommeil. Au bout d’un temps, il me sembla voir de la lumière et entendre souffler. Je me dressai : mon camarade, en chemise, agenouillé devant le guéridon de nuit le caressait à petits coups de main, en murmurant : « Là – oh là ! ch-t ch-t »
– Qu’est-ce que tu fais ? criai-je.
– C’est le guéridon qui tourne, dit-il, j’essaie de le calmer. – Ah ! tu veux tourner ; tu ne veux pas t’arrêter… – Oust, par la fenêtre !
Le guéridon vola contre les vitres.
Je lui dis : « Voyons, il est inutile de causer avec les meubles. Les meubles n’ont pas d’oreilles. On ne peut pas expostuler avec eux. Ne dérange pas mon mobilier. Les meubles les mieux fabriqués n’entendront jamais raison ». Mais il continua, posément, sans répondre. Après avoir fait ch-ch-t, pendant quelque temps, il caressa la table, voulut la calmer, puis, saisi de fureur, la précipita par les carreaux. Je l’entendis se briser sur le pavé.
Je lui dis à nouveau : « À quoi cela sert-il ? Laisse, oh ! laisse-moi mon armoire à glace, ma table de toilette. Je te garantis leur moralité. Elles ne tournent jamais. Elles ne t’écouteront pas, – ne les jette pas dans la rue ! »
Il ne répondit rien, parla à l’armoire et l’envoya se fracasser sur le trottoir, dit quelques mots à la toilette, puis la projeta vers le balcon. Enfin il devint giroyant lui-même, s’invectiva, les yeux hagards, essaya de s’empêcher de tourner, et d’un seul blond s’envoya à travers la croisée, la tête la première, dans le vide.
C’est le seul spirite que j’ai vu mourir. J’espère qu’ils ne détruisent pas toujours leur mobilier auparavant. Je regrette beaucoup le mien. Il était de pure époque Louis XV. En tout cas, je suis heureux de pouvoir prier les Cercles Spirites, par la voie de ce papier, d’expédier dorénavant leurs invitations ailleurs que chez moi.
Marcel Schwob.
Publié dans le recueil Coeur double, en 1891.
Le rêve de Danil Harms
Kalouguine s’endormit et fit un rêve : il est assis dans des buissons, et près des buissons passe un milicien.
Kalouguine se réveilla, se gratta la bouche et se rendormit, et de nouveau il fit un rêve : il passe près de buissons, et dans ces buissons, il y a un milicien caché.
Kalouguine se réveilla, se glissa un journal sous la tête pour éviter de baver sur l’oreiller, se rendormit et fit de nouveau un rêve : il est assis dans des buissons, et près de ces buissons passe un milicien.
Kalouguine se réveilla, changea le journal, s’étendit et se rendormit. Une fois endormi, il fit de nouveau un rêve: il passe près de buissons, et dans ces buissons, il y a un milicien assis.
Alors Kalnuguine se réveilla et décida de ne plus dormir, mais il s’endormit instantanément et fit un rêve : il est assis derrière un milicien, et près d’eux passent des buissons.
Kalouguine poussa un cri et s’agita dans son lit, mais il ne pouvait déjà plus se réveiller. Kalouguine dormit quatre jours et quatre nuits de suite et se réveilla le cinquième jour si maigre qu’il fallut lui attacher les bottes aux jambes avec une ficelle afin qu’il ne les perde pas.
A la boulangerie où Kalouguine achetait d’habitude son pain de froment, on ne le reconnut pas et on lui refila du demi-seigle. Quant à la commission sanitaire, après avoir vu Kalouguine au cours de sa tournée des appartements, elle le déclara antisanitaire et inutilisable, et elle ordonna au comité des locataires de le jeter avec les ordures.
On plia Kalouguine en deux et on le jeta comme une ordure.
in Faits Divers (1933-1939)
A l’église
À l’église
Elle était à genoux et montrait son derrière
Dans le recueillement profond de la prière.
Pour le mieux contempler j’approchai de son banc :
Sous la jupe levée il me sembla si blanc
Que dans le temple vide où nulle ombre importune
N’apparaissait au loin par le bleu clair de lune,
Sans troubler sa ferveur je me fis son amant.
Elle priait toujours. Je perçus vaguement
Qu’elle bénissait Dieu dans le doux crépuscule.
Et je n’ai pas trouvé cela si ridicule.
Germain Nouveau
L’Orgie latine
La Maison d’édition Le Vampire Actif a publié au début de l’année, au sortir de l’hiver, L’Orgie latine de Félicien Champsaur, édité en 1903 chez Eugène Fasquelle qui contient, outre une dédicace à son éditeur en remerciement des soins qu’il a apportés à cet ouvrage tellement paré qu’il « devrait être seulement la joie des lettrés riches, des bibliophiles épris de belles éditions » et un essai intitulé « La luxure dans la vie, les lettres et les arts« , six livres, quatre correspondant au roman à proprement parlé, « La danseuse de Tanagra » ; « Ancilla Domini » ; « L’Impératrice nue« , « Les Martyrs », le cinquième sous forme d’Interlude et le sixième, « La Mort de Messaline, Bouffonnerie Tragique en dix tableaux, avec Ballet Nuptial » dans une mise en abîme très contemporaine.
Le Premier Livre La danseuse de Tanagra, met en scène Karysta, « la mignarde danseuse » que l’ « on avait coutume d’appeler du nom de sa ville natale, la Tanagréenne, pour la distinguer des filles des Rômes, ainsi que se désignent entre eux les gens de « l’Anneau de Fer », disséminés autour du monde ».
« Chaque jour, au temps où elle vivait à Tanagra, la mignonne s’en allait joué sur le sable d’or semé de paillettes des grèves de l’Asopsus, avec d’autres enfants, pendant que son père modelait des amphores et des statuettes de danseuses et de déesses, selon les formes rythmiques transmises par les potiers, ses ancêtres. »
Félicien Champsaur met en scène son héroïne en utilisant un personnage, réel et mythique à la fois, très en vogue à son époque, la « Tanagra ».
Desmodus 1er vous invite à conduire une petite enquête, à la découverte de ces sculptures en terre cuites polychromes.
Festival Littérature, Love, etc.
Les 4, 5 et 6 Octobre prochain, que ça soit dit : vous avez rencard à L’hybride (18 rue Gosselet, à Lille) où aura lieu un festival intitulé littérature, love, etc. qui vous promet de bien belles soirées d’automne. Vous savez, lorsque les feuilles tombent ! Alors réservez votre week-end et votre plus belle tenue. Pour l’heure, la déclaration…
Cher-e-s Vous,
Nous espérons que ce message vous trouvera au mieux. De notre côté, l’idée de vous rencontrer bientôt nous émeut beaucoup, car seul un désir généreux et collectif peut donner vie à un festival littéraire qui parle d’amour et de sexualité. C’est précisément ce désir qui a fait que, très vite, la littérature que nous aimons habituellement dans nos chambres est partie à la rencontre d’affinités électives. Très vite donc, elle s’est éprise de films, de musiques, de spectacles et de gens, qui, comme elle, s’épanouissent sur les chemins de traverse.
Observant les cabrioles de notre désir grossissant, quelques êtres maléfiques, très peu à vrai dire, ont commenté : « faire un festival sur l’amour et le sexe, c’est pas un peu racoleur ? » Alors que la programmation du festival voit le jour, nous aimerions leur répondre, sourires aux lèvres, que si être racoleur, c’est diffuser des formes originales mises en branle par un sujet qui met en branle tout le monde et, au finale, n’est jamais facile, alors nous sommes particulièrement fiers d’être racoleurs.
Maintenant et surtout, chères sensibilités chéries, à votre tour de sortir de vos chambres.
Et inutile de prétexter la timidité, pour nous aussi, c’est la première fois.
à très vite,
L’équipe de Littérature, Love, etc.
Association littérature, etc.
Combinant 2 désirs, diffuser des textes farouchement vivants et programmer l’ouverture et le décloisonnement, Littérature, etc. est née en janvier 2013. Son premier projet est le festival Littérature, Love, etc. Elle espère que ça vous plaira.
http://litterature-etc.com/