ATTENTATS À LA PUDEUR COMMIS PAR DES FEMMES SUR DES PETITS GARÇONS
I
Les faits d’attentats à la pudeur commis par des femmes sur des enfants et en particulier sur des petits garçons, ne sont pas aussi rares que l’on serait porté à le croire et il n’est pas d’année où les tribunaux ne soient saisis par une ou deux affaires de ce genre. Malgré ce les observations n’abondent pas dans la littérature médico-judiciaire, aussi est-ce à grand peine que nous avons pu en réunir un certain nombre, y compris celles qui nous sont personnelles.
Tardieu [1], dans son remarquable ouvrage, en rapporte quatre cas ; Devergie [2] en cite un autre ; les Annales d’hygiène [3] de 1847, Casper dans son Traité de médecine légale [4] nous en font connaître cinq autres cas. La thèse de Paul Bernard [5], le New-York medical Journal de l’année dernière et les Annales de Dermatologie allemande contiennent chacun une observation d’attentat commis par des femmes sur des petits garçons.
II
Quand nous avons observé notre premier cas, il y a deux ans, nous avouons que notre surprise a été grande et nous avions peine à croire à la réalité d’un pareil fait.
Nous étions en présence d’un garçonnet de trois ans dont la famille avait demandé l’admission à l’hôpital pour un léger malaise, « embarras d’estomac » avait dit le médecin qui nous l’adressait. Aussi quel ne fut pas notre étonnement, en procédant à l’examen de cet enfant, de constater l’existence d’une urétrite blennorragique des plus intenses.
Cette urétrite était accompagnée des signes classiques (écoulement purulent, douleurs à la miction, érections). Ce malheureux enfant souffrait réellement. — Nous avions là l’explication de la fièvre et de l’embarras gastrique.
Le traitement antiphlogistique usité en pareil cas et les balsamiques firent tout rentrer dans l’ordre et le petit malade guérit assez rapidement (trois semaines environ). L’examen microscopique nous révéla l’existence du gonocoque de Neisser dans l’écoulement urétral.
Si la constatation de l’urétrite avait été facile à faire, la cause en demeurait obscure ou tout au moins difficile à s’expliquer. Interrogés, les parents (des Russes) répondaient, dans un mauvais jargon allemand, ignorer, ne rien savoir, n’avoir rien vu ; soupçonner la mère nous répugnait, comment admettre qu’une mère se laisse aller à commettre un pareil acte !
Au bout de quinze jours nous n’étions pas plus avancé qu’au début ; il nous était impossible d’interroger l’enfant, qui parlait un langage compréhensible de ses parents seulement ; nous désespérions déjà, quand le hasard nous amena pour se faire examiner la tante du petit malade, une femme de vingt ans, atteinte de vaginite blennorragique avec urétrite (l’examen microscopique nous révéla dans le pus vaginal la présence de gonococcie).
Il nous vint, alors, la pensée d’interroger cette femme pour tacher d’obtenir quelques éclaircissements à ce sujet ; cela devait lui être d’autant plus facile qu’elle habitait avec la famille du petit garçon et qu’elle en avait la garde.
La coexistence d’une affection blennorragique chez la tante et le neveu nous mit sur nos gardes ; il n’y avait pas à douter, l’enfant tenait sa chaude-pisse de cette femme. Ce n’est qu’après plusieurs interrogatoires qu’elle finit par nous avouer que souvent « elle s’amusait avec le petit et frottait contre elle la verge du petit ». Nous n’avons jamais pu en savoir plus long ; sans doute effrayée, elle ne revint plus à l’hôpital.
Notre conviction était d’ailleurs faite ; elle avait dû essayer d’introduire dans son vagin le pénis de l’enfant ; atteinte de vaginite blennorragique, elle l’avait ainsi contaminé. Cette étiologie nous paraît bien nette et bien établie.
Notre deuxième observation est due à l’excessive obligeance de notre cher maître et ami le Dr J. Arnaud, ancien chef de clinique à l’École de médecine.
« Petit garçon de quatre ans, pas strumeux. — Le 16 mai 1894, se plaint de douleur en urinant et cela d’une façon continue. Le prépuce est rouge, œdématié, il est impossible de découvrir le gland. En pressant d’arrière en avant sur la verge, on fait sourdre une assez grande quantité de pus verdâtre et épais. »
Notre confrère était à se demander comment son petit malade avait pu contracter la blennorragie, lorsqu’il se souvint avoir soigné la bonne de cet enfant pour une cysto-néphrite blennorragique, — affection qu’elle avait contractée avec un garçon boucher, atteint de chaude-pisse.
Cette domestique donnait ses soins, dans la journée, à l’enfant, elle ne le couchait jamais avec elle, du moins au su des parents. Interrogée elle nia énergiquement et malgré ses dénégations, on ne peut que trouver extraordinaire l’existence simultanée d’un écoulement vaginal purulent chez cette femme et de l’urétrite chez le petit garçon, sans admettre la contagion directe.
Commise le jour à la garde de cet enfant, elle avait suffisamment de temps pour exercer sa lubricité, sans qu’il fût nécessaire pour cela de coucher l’enfant avec elle ; il y a tout lieu de croire que la contamination n’a pu se faire que par son intermédiaire et cela, peut-être, par le même mécanisme que celui que nous relatons dans notre première observation.
Il y a trois ou quatre ans notre maître et ami le Dr Schnell, médecin des hôpitaux, fut requis par le commissaire de police de son quartier pour examiner un petit garçon de douze à treize ans. Cet enfant se plaignait d’une violente phlegmasie urétrale, — blennorragie aiguë. L’enfant, très intelligent, racontait ceci : « Son père, qui vivait avec une maîtresse, quittait la maison de bonne heure, à 5 heures, pour son travail. Après son départ la jeune femme prenait le petit dans soit lit et là lui touchait “son pipi” et lui mettait “son pipi dans son pipi” ; » en d’autres termes le masturbait et lui introduisait la verge dans son vagin quant elle était roide.
La femme fut poursuivie et comparut devant la Cour d’Aix.
Le Dr Schnell et le docteur Flavard furent commis en qualité d’experts. Ils trouvèrent la femme indemne de blennorragie apparente. Il n’a pas été fait d’examen bactériologique des sécrétions vaginales. Ces honorables confrères conclurent, qu’en l’absence de signes évidents de blennorragie, la masturbation et les frottements péniens avaient pu donner naissance à cette urétrite ; ajoutant, néanmoins, qu’un examen microscopique du mucus vaginal serait très utile. Pour qui sait la difficulté de reconnaître la blennorragie chez la femme, l’on comprend fort bien les hésitations des experts.
La femme fut condamnée.
Dans le New-York medical Journal [6] Robert Abble rapporte l’observation d’un enfant de trois ans qui, quelques jours après l’arrivée d’une domestique, atteinte de vaginite de nature douteuse, présenta un écoulement purulent, très riche en gonocoques, accompagné de douleurs à la miction avec oedème du pénis. L’écoulement vaginal de cette domestique renfermait le gonocoque de Neisser, aussi malgré ses dénégations, l’auteur américain n’en conclut-il pas moins à la contagion directe.
Le Dr Granwall (New- York medical Journal) [7] a observé dans sa clientèle un petit garçon de six ans et une petite fille de huit ans atteints l’un d’urétrite blennorragique, l’autre d’une vaginite de même nature. Ces deux enfants avaient été souillés par leur bonne, atteinte d’urétro-vaginite gonococcienne.
Dans son remarquable ouvrage, Tardieu [8] relate l’observation suivante :
« Le jeune L…, âgé de neuf ans, avait été, depuis un mois, victime des actes de débauche d’une jeune fille de seize ans et initié par, elle a un véritable commerce sexuel. L’examen de l’enfant et de la prévenue nous donne les résultats suivants :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« Le jeune L…, a la verge très petite ; il présente, outre une inflammation préputiale avec suintement blanchâtre, un écoulement urétral, abondant, épais, jaune verdâtre, manifestement blennorragique.
« L’inculpée, fille M…, était depuis longtemps déflorée. Elle était atteinte d’un double écoulement vaginal et urétral, de date non récente. »
Ici le doute n’est plus permis, la contagion est flagrante, manifeste, l’éminent médecin légiste ne fait d’ailleurs aucune difficulté pour l’admettre. Pour lui le simple frottement n’aurait jamais pu déterminer un écoulement blennorragique.
Pour plus de précision, il aurait fallu le contrôle microscopique, mais à cette époque il n’en était pas question.
Voici une dernière observation en tous points semblable à celle de Tardieu. Elle est contenue dans la thèse de Paul Bernard. Elle est aussi très intéressante, à un autre point de vue, l’âge de l’inculpée.
Il s’agit d’une petite fille de sept ans qui fut violée par un gardien de la paix ; de ce viol, il est résulté une urétro-vaginite intense. Un petit garçon de neuf ans eut des rapports avec cette fillette ; pour ce faire, la fillette s’étendait sur un matelas et couchait l’enfant sur elle. À la suite de ces rapports le petit garçon présenta une urétrite aiguë avec Phimosis.
III
La nature de l’urétrite des petits garçons est-elle toujours blennorragique et reconnaît-elle toujours pour origine la contamination directe ?
Nous croyons que l’on peut répondre par l’affirmative à ces deux questions.
L’urétrite des petits garçons est en tous points comparable à celle de l’adulte ; cliniquement elle en a tous les caractères ; bactériologiquement elle présente les mêmes micro-organismes, les gonococcie. Nous en avons démontré l’existence dans notre première observation et dans celles de Abble et de Grandall.
Récemment un auteur des Arch. für dermatologie, étudiant l’étiologie de l’urétrite des petits garçons, est absolument de notre avis. Il publie deux, observations (que nous n’avons malheureusement pas pu nous procurer) dans lesquelles il montre que cette urétrite a la même évolution, le même pronostic et la même étiologie directe.
L’urétrite qui peut survenir par manu propria ou par manœuvres pratiquées par une autre personne n’a jamais le même degré d’acuité, la même virulence, l’écoulement n’est jamais aussi abondant, aussi franchement purulent que dans l’urétrite blennorragique vraie. Cet écoulement simple peut contenir, au dire de certains médecins, Vibert, Bordas, Comby, le gonocoque de Neisser qui, habiterait normalement dans l’urètre et ne deviendrait virulent, ne manifesterait sa présence que sous l’influence d’excitations plus ou moins fortes. Au point de vue médico-légal cette question ne manque pas d’avoir une certaine importance, mais cette présence constante du gonocoque de Neisser dans l’urètre sain n’est rien moins qu’à démontrer et jusqu’à nouvel ordre nous croyons à la contamination directe dans la genèse de l’urétrite des petits garçons.
Nous pensons que chaque fois qu’un médecin sera commis par la justice pour examiner un petit garçon atteint de chaude-pisse, il ne devra pas se contenter de savoir si l’enfant a de mauvaises habitudes, ou s’il a été masturbé par la femme incriminée, ii procédera à l’examen minutieux des organes génitaux (urètre, vagin, utérus) fera l’examen bactériologique, s’il le peut, des sécrétions contenues dans ces organes et recherchera très attentivement la présence des gonococcie, en même temps qu’il fera le même examen de l’écoulement urétral de l’enfant ; et il n’oubliera surtout pas, si la chose est possible, d’examiner l’urètre de homme avec lequel la femme a habituellement des rapports. Ce triple examen permettra à l’expert d’éviter bien des oublis qui peuvent être nuisibles à la bonne marche de l’expertise.
P.-A. Lop, « Attentats à la pudeur commis par des femmes sur des petits garçons », Archives d’Anthropologie criminelle, de Criminologie et de Psychologie normale et pathologique, 10e Année, n°55, Éd. G. Masson, Paris, 1895, pp. 37-42.
Notes
[1] Tardieu, Attentats aux moeurs.
[2] Médecine légale.
[3] Tome XXXV, p. 462.
[4] Traite de médecine légale, 1862.
[5] Thèse, Lyon 1886, Attentats à la pudeur sur les petites filles.
[6] 13 décembre 1893.
[7] Juin 1893.
[8] Loco citato., p. 193
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22/02/2009