Qu'entendez-vous par "l'honnête cambrioleur" ?
Ce n’est pas que par copinage que nous vous encourageons à consulter le blog de Jean-Marc Delpech consacré à Alexandre Jacob ; il y a de la verve dans ces contrées là. Ce qui n’empêche pas quelques amitiés !
Pour ceux et celles qui n’ont pas lu Amer, nous lui avons demandé de nous en dire un peu plus sur le titre de son ouvrage « l’honnête cambrioleur ». Et généreux que nous sommes, nous en profitons pour publier le reste de notre conversation électronique (que nous n’avions pas dévoilé), histoire d’en finir sur ce point. Puisque nous sommes d’accord.
Jean-Marc : A vrai dire ce qui m’énerve, ce fut le cas, quand j’ai commencé à travailler sur Jacob, c’est cette espèce d’équation, conçue comme une vérité absolue, qui fait du marginal un exclu de la vie sociale et politique. De là aussi le qualificatif d’honnête pour Jacob. Bien sûr que l’utilisation de ce terme doit provoquer tout un questionnement pour le lecteur de par son caractère d’oxymore. Mais, dans cette optique, nous nous plaçons volontairement dans une réflexion qui a acquis les valeurs morales (pour ne pas dire libérales) sur l’iniquité du vol. Toute la problématique est alors centrée sur la justification du vol politique et anarchiste. L’illégalisme de Jacob est érigé en théorie par lui-même lors de ses différents procès. « J’ai préféré être voleur que volé » affirme-t-il d’ailleurs ou encore « Certes, moi aussi je réprouve le fait par lequel un homme s’empare violemment du fruit et du labeur d’autrui. Mais c’est précisément pour cela que je fais la guerre aux riches, voleurs du bien des pauvres. Moi aussi, je voudrais vivre dans une société où le vol serait banni. Je n’approuve et n’ai usé du vol que comme moyen de révolte propre à combattre le plus inique de tous les vols : la propriété individuelle. ». Autrement dit, j’ai essayé de montrer que nous sommes en présence d’un homme qui est certainement plus qu’un simple militant. D’où la fin de mon propos qui vise à casser vision de l’aventurier que l’on peut avoir et le mythe lupinien qui nuisent grandement au sens que Jacob a donné à ses actes. Il fallait aussi replacer l’homme dans son contexte : celui de l’anarchie, de la fin du XIXe siècle, etc. A partir de là, toute la vie de Jacob est conforme à son idéal de départ. D’où l’emploi du terme honnête et la 4e de couv que j’ai écrite. Le mot revient d’ailleurs constamment dans sa dialectique. Je crois que son utilisation énervait Jacob à cause de l’hypocrite contradiction qu’il sous-tend et qui fait d’un flic, par exemple, un être probe par définition tandis que lui, le bagnard, l’anarchiste, le voleur, ne pourrait pas constituer une référence dialectique. De plus tous les témoignages que j’ai pu recueillir, tant oraux qu’écrits, hormis peut-être celui de Jacob Law sur la période du bagne, révèlent cet homme au caractère trempé qui n’a jamais dérogé à SA morale anarchiste. C’est d’ailleurs ce qu’il écrivait à sa dernière compagne lorsqu’il affirmait, à 75 ans, préférer dans le cas d’une guerre sociale tuer un homme que d’égorger une poule parce que dans le cas d’une poule se serait faire office de bourreau. De là aussi mon agacement à lire le portrait qu’en dresse Jean Maitron, historien marxiste, et qui fait de Jacob l’exemple de l’échec des illégalistes.
Je crois que j’ai été un peu long. Mais le sujet me tient à coeur.
Bibi : Merci pour votre réponse ! Pour ma part, je suis toujours réticent à parler d’honnéteté dans le cas des anarchistes, non pas que ça n’aille pas ensemble (j’entends fort bien ce que vous en dites), mais qu’il y a un risque de nourrir la dissociation opérée par tant de « libertaires » à l’égard des illégalistes et partisans de l’action directe, et qui reconnaitront la probité de l’Ami Jacob pour mieux fustiger le manque de morale (c’est-à-dire le manquement à leur petite morale étriquée) des autres compagnons, moins prolixes quant à leurs actes.
Jean-Marc : Ca c’est le cas des historiens de l’anarchisme et de Maitron tout particulièrement quand il parle du « cas témoin » de l’illégalisme. Les autres comme Guérin par exemple utilisent souvent la lexicologie médicale pour parler des illégalistes et autres propagandistes par le fait. Quant aux anars, c’est vrai que le cas témoin Jacob leur est préférable dans son aspect mythique et plus particulièrement le rapprochement insupportable avec Lupin. Mais l’histoire de Jacob révèle d’abord une volonté politique de renverser le vieux monde au nom du droit à la jouissance des biens terrestres : « Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend » ou encore « Anarchiste révolutionnaire, j’ai fait ma révolution, vienne l’anarchie ». Ce qui se passe de tout commentaire et replace bien l’histoire de Jacob dans une dialectique volontairement politique, ce que d’aucuns assimilent vite fait comme un prétexte facile. Le dernier ouvrage de Manfredonia, à l’ACL, présente le mérite d’une nouvelle typologie de l’anarchiste qui permet d’intégrer désormais les Duval, les Pini, les Parmeggiani, les Schouppes, les Bonnot et autres …..
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18/09/2008