Mauvaise
Voici une chronique lue dans le skinzine lillois Mauvaise :
Emile Cohl et André Gill
Finitude est une maison d’édition bordelaise qui donne, entre autres joyeusetés, dans le fin-de-siècle avec notamment cet Art de se conduire dans la société des Pauvres Bougres enseigné aux gens du monde, écrit par une mystérieuse Comtesse de Rottenville et initialement publié dans un recueil intitulé La Muse à bibi, en 1879. En fait se cache derrière les jupes de la comtesse éructante un des caricaturistes les plus en vue de la fin du dix-neuvième siècle, André Gill (1840-1885) qui ici, enseigne au bourge l’art de se conduire chez le prolo. André Gill a commencé à publier ses caricatures dans Le Hanneton, « journal des toqués » avant de rejoindre les rangs de l‘Hydropathe et du Chat Noir. L’anecdote raconte qu’il a peint une enseigne pour un cabaret Montmartrois s’appelant « A ma campagne » (après s’être appelé « Au rendez-vous des voleurs » et « le Cabaret des assassins »), en représentant un lapin dans une casserole, un litre de vin à la main. Le « lapin à Gill » est devenu avec le temps « Le lapin agile ». Bref. Le gus a de l’humour, tellement que ça l’a conduit à l’asile de Charenton après qu’il ait tenté de délivrer Blanqui qui, à l’époque, il faut le préciser, était déjà mort depuis plus d’un an.
Dans ce petit opuscule, édité à compte d’auteur (à l’enseigne de la « Librairie des Abrutis »), Gill renoue avec la tradition -très dix-huitième- des traités de savoir-vivre. Généralement, ces ouvrages ont pour tâche d’éduquer l’homme du peuple, en lui confiant les règles de bonne conduite qu’il convient de respecter lorsqu’on évolue dans la Haute. Ici, c’est tout le contraire. Gill donne une série de conseils avisés au bourge aventurier qui désire s’asseoir à la table du menu peuple et surtout à celui qui ne veut pas se faire botter le cul par le travailleur. En dernier ressort, s’il ne peut éviter la beigne, il lui apprend à la recevoir dignement, non pas en regard de sa condition d’honnête homme, mais aux yeux du prolo, puisque l’auteur prend soin, avec toute l’ironie qui caractérise sa plume, de souligner que ce dernier a bien plus de morale et d’honneur, en définitive, que ceux et celles qui l’exploitent. (Par ailleurs, si on peut se permettre, ce n’est pas sa qualité première, pas plus que la fierté d’être exploité. On peut être fier d’être prolétaire et vouloir la fin du prolétariat ! N’est-ce pas les ami-es ?) Allez ! Quelques extraits pour la route :
« Une supposition que l’honnête prolétaire vous invite à dîner. Ca n’est pas probable, mais enfin ! Je suppose. Faut tâcher de vous tenir ». « Lorsque vous rencontrerez un travailleur de votre connaissance, commencez par lui foutre une vigoureuse poignée de main. Après, ne vous essuyer pas la pince à votre mouchoir ou votre paletot, vous auriez l’air de dire que le pauvre bougre a les mains sales. Au contraire, soyez heureux d’avoir pu frotter vos pattes de feignant aux crânes abattis du peuple. Si l’honnête prolétaire vous offre une tournée, vous devez l’accepter sans faire le malin, san s parler de votre estomac ruiné. Si vous n’êtes qu’une andouille, c’est pas la peine de le faire voir ».
Ou enfin, « Sot et suffisant comme vous l’êtes, il vous arrivera plus d’une fois de froisser ou d’insulter le prolétaire. S’il vous en demande raison, faut lui en rendre raison. S’il vous propose de sortir, faut sortir. Evidemment, la perspective d’une ratapiaule vous fera ch..anceler dans vos calintes. N’importe ; vous avez manqué à un homme qui vaut mieux que vous ; faut se foutre un coup de torchon. »
« Après ça, vous ferez pas mal de rappliquer à votre turne, et de vous coller au pieu. Vous serez probablement moulu et courbaturé une quinzaine… Mais vous aurez la consolation de vous dire : -Je me suis conduit proprement. Une fois n’est pas coutume. »
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25/07/2008