La Part du rêve
Appel à propositions d’articles, pour le 10 septembre 2021
La part du rêve
Le rêve dans la culture populaire et médiatique : représentations, enjeux pragmatiques
Le Pardaillan n°10
Pour son dixième numéro, Le Pardaillan, revue interdisciplinaire de littératures populaires et cultures médiatiques, se propose d’explorer un nouveau thème transversal : les rêves, aussi bien au sens de leur représentation que des gestes interprétatifs qu’ils suscitent, de leurs usages narratifs et diégétiques. Thème traditionnel et très ancien, en peinture notamment, le rêve y montre son caractère protéiforme, traversant les époques, les courants et les techniques picturales, que l’on choisisse de représenter le rêveur (Le Songe du Chevalier, Raphaël) ou le rêve lui-même (Le Rêve, Odilon Redon), ou encore de personnifier le rêve (Le Cauchemar de Füssli) ou ses émissaires (Le Songe de saint Bruno, Eustache Le Sueur).
Ce numéro a donc pour but d’explorer les modes de représentations et d’utilisations du rêve dans le champ populaire et médiatique. Mettre en scène le rêve implique en effet des enjeux de représentation : comment figurer l’invisible ? Comment les représentations du rêve varient-elles en fonction du ou des médias mis à contribution ? Mettre un rêve en mots est une opération très différente de celle qui consiste à le mettre en image, cette image pouvant elle-même être fixe (peinture, dessin, BD…) ou mobile (film ou série, animation, jeu vidéo…). Ces différentes modalités peuvent d’ailleurs être combinées : La maison du Dr Edwardes de Hitchcock propose ainsi un rêve filmé, qui se joue dans des décors peints et conçus par Dali, et raconté par la voix off de Gregory Peck qui incarne le rêveur. On pourra, à ce titre, questionner les dynamiques d’adaptation : dans la Nouvelle Rêvée de Schnitzler, le personnage d’Albertine raconte son rêve d’adultère à Fridolin, son mari, avec précision, tandis que ce dernier ne dit rien de l’aventure onirique sous le signe du fantasme qu’il a réellement vécue la nuit précédente, aventure d’ailleurs à laquelle le rêve d’Albertine fait écho. L’adaptation de la nouvelle par Kubrick, Eyes wide Shut, prête à Nicole Kidman (Alice, l’Albertine contemporaine) des paroles cruelles et méticuleuses lorsqu’elle raconte son rêve. A l’inverse, tout le film suit l’aventure d’un jour de Bill (le Fridolin New-Yorkais) et représente sa longue nuit fantasmatique.
Le rêve pose également la question des réalités alternatives, dont la représentation “plus vraie que nature” semble parfois plus réelle que la réalité : ainsi Peter Ibbetson et Mimsey se rejoignent-ils chaque nuit dans leur propre dimension onirique. La trilogie Matrix se construit tout entière sur une ambiguïté entre rêve et réalité, le rêve étant par ailleurs une réalité virtuelle bien plus active que la réalité (dans laquelle, en fait, les personnages inconscients sont maintenus dans des cuves). Dans sa dimension de réalité alternative, le rêve constitue par ailleurs un pilier efficace pour des intrigues de science-fiction, qui se construisent sur une approche scientificisée du rêve : dans l’épisode “San Junipero” de la série Black Mirror( ep.4 saison 3), le rêve, tel que la science l’a rendu possible, donne accès à une infinité de réalités où l’on peut adopter une autre apparence, un autre âge. Dans Inception, le rêve est carrément une opération de création d’un monde, et c’est une autre version de l’interprétation scientifique du fonctionnement du rêve qui est le point de départ de toute l’intrigue.
Car le rêve n’est pas qu’une question de représentation: il concentre également des enjeux narratifs et diégétiques, et peut relever d’usages pragmatiques différents. C’est parfois à travers leurs rêves qu’on en apprend davantage sur un personnage (les rêves prémonitoires de Harry Potter dévoilent partiellement le lien qui l’unit à Voldemort et dont l’explication n’est fournie que dans le septième volume de la série). C’est aussi le schéma onirique qui ponctue la série Twin peaks de Lynch, orientant le détective Cooper dans son enquête car distillant des indices.
Le rêve peut également servir de point de départ ou de bascule de l’intrigue (dans La Licorne noire de Brooks, tout commence suite aux rêves trompeurs envoyés par l’enchanteur Meeks aux personnages principaux), ou encore être l’élément de sa résolution (dans Insidious, entrer dans un état de rêve projette dans une dimension parallèle et permet de sauver l’esprit de l’enfant possédé). Et dans certains cas, le choix du rêve comme cadre diégétique a des impacts pragmatiques majeurs sur la forme de l’œuvre elle-même : dans le jeu vidéo Weird dreams, le fait de se trouver littéralement dans un rêve impacte directement la conception du gameplay du jeu.
Le rêve a également sa part d’ombre et peut à l’occasion revêtir les atours maléfiques du cauchemar. L’enjeu peut alors devenir de ne pas dormir, comme lorsqu’on risque la mort dans ses rêves dans Freddy, les griffes de la nuit. Le rêve tel qu’il est utilisé dans les films d’horreur et les thrillers (qui se passent d’ailleurs souvent la nuit) bouscule le rituel du coucher paisible et la sérénité du dormeur ; c’est également ce qui arrive à la famille Simpsons lors de certains épisodes spéciaux de Halloween, dans lesquels les trois histoires horrifiques sont introduites par les rêves des personnages (voir par exemple le Simpson Horror Show II, S 3 ép. 7).
Enfin, toutes les variations alternatives du rêve peuvent être étudiées également pour ce dossier : rêves éveillés, songeries et autres états de transe, qui peuvent aussi bien faire pénétrer dans une autre dimension que bien projeter une hallucination sur le réel. Dans Sept ans de réflexion, le personnage principal se met littéralement en scène dans des péripéties hyperboliques au service de son délire de conquête amoureuse effrénée, qui compensent sa vie quotidienne décevante. La série Scrubs construit ses effets comiques sur les rêveries éveillées nourries par l’imagination débridée du personnage principal, et dans Shining les hallucinations et visions éveillées participent de la dimension onirique et terrifiante du film.
Toutes ces pistes, qui n’ont bien entendu pas vocation à être exhaustives, peuvent être explorées pour ce dossier, et les contributions pourront porter sur l’ensemble du champ médiatique (littérature, BD, jeu vidéo, jeu de rôle ou de plateau, spectacle vivant, cinéma, musique et chanson, internet, etc), et seront particulièrement bienvenues les propositions transversales visant à explorer plusieurs champs médiatiques.
Les propositions de contribution, d’une longueur de 500 à 1000 mots environ, sont à adresser à luce.roudier [@] gmail.com et à heloise.bertongrall [@] bbox.fr pour le 10 septembre 2021 au plus tard. Si la proposition est retenue, l’auteur.e sera informé.e avant le 30 septembre, et l’article sera demandé pour le 31 mars 2022. La parution est prévue pour mai 2022.
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15/06/2021