Procès de Saïd Djabelkhir : l’évitement jusqu’à quand ?
Sarah Haidar répond à nos questions dans le dernier Amer. Elle écrit des livres. Mais aussi des articles dans la presse. Ici sur la condamnation de l’islamologue Saïd Djabelkhir à trois ans de prison ferme pour « offense aux préceptes de l’islam ». Cela représente pour elle un précédent qui met en relief la jonction entre les pouvoirs publics et les forces les plus rétrogrades de la société algérienne.
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Qu’a donc écrit Saïd Djabelkhir pour être transporté de l’espace éphémère des polémiques et des commentaires virulents sur les réseaux sociaux à une salle d’audience bien réelle où il occupera le box des accusés pour ses idées ?
Ce sont essentiellement des coups de gueule contre le bigotisme ambiant et le refus de discuter les textes religieux ainsi que des petites phrases concernant l’historicité de tel ou tel récit sacré, ou encore certains aspects farfelus de la biographie de Mohammed fait par El Boukhari ou l’origine païenne de certains rituels islamiques.
La juge, en épluchant méticuleusement ses publications sur Facebook et autres déclarations publiques, assène alors à l’accusé : « Quelle est la religion de l’État algérien ? Savez-vous qu’il est interdit de toucher aux piliers de l’islam et aux rituels sacrés ? »
Quel est donc le terreau qui a permis l’éclosion de tels procès et l’interrogatoire décomplexé de citoyens sur leurs croyances et leur regard sur la religion, des procès où ce ne sont pas des articles de loi qui sont évoqués mais des versets et des hadiths ?
En réalité, ce qui surprend et indigne à la fois une partie de l’opinion publique ne réside pas tant dans le fait qu’un citoyen algérien se retrouve dans un tribunal pour de telles raisons que dans « l’ès qualités » de l’accusé.
Il s’agit, en effet, d’un universitaire, un intellectuel en somme, dont on ne cesse de répéter que sa place est sur une chaire de faculté ou dans un débat contradictoire télévisé et non pas dans une cour d’audience. Outre l’élitisme adipeux de ce genre d’argumentaire, on y décèle également un phénomène d’évitement.
Il est autrement plus facile de s’effaroucher devant le spectacle navrant d’un chercheur faisant face aux juges que devant les textes de loi ayant permis une pareille situation ou l’impossible remise en question du caractère justement intouchable de la religion en raison du tabou social qui entoure la question.
On ne peut décemment pas feindre d’oublier que le délit de blasphème existe bel et bien dans l’arsenal juridique algérien, qu’il a déjà permis la mise en accusation de dizaines de personnes et que certaines d’entre elles ont fait de la prison.
On ne peut pas oublier Farès B., condamné en 2010 à deux années de prison ferme pour avoir fumé une cigarette pendant une journée de Ramadan au même moment où des non-jeûneurs de Kabylie étaient relaxés à la suite de l’énorme mobilisation populaire et médiatique.
On n’oublie pas non plus que parmi les chefs d’inculpation retenus contre le facebooker Walid Kechida, figurait l’atteinte à l’entité divine et qu’un procureur vient de requérir cinq ans de prison contre la militante Amira Bouraoui pour offense à l’islam.
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Retrouvez l’ensemble de l’article de Sarah Haidar sur le site Middle Eye et son entretien dans la revue finissante Amer #9.
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30/05/2021