Le Travail en Perruque
Dans le cycle sur les « Objets brisés » de la Bibli, une belle présentation de L’usine en douce. Le travail en » perruque « d’Etienne de Banville, paru chez L’Harmattan, collection Mémoires du travail, en 2001.
Le quatrième de couverture du livre dit ceci :
» La perruque dont il est question ici est un objet travaillé pour soi, réalisé durant le temps et sur le lieu du travail, avec les matériaux et le matériel de l’entreprise. Travail non prescrit, donc, réalisé en principe en cachette de la hiérarchie : détournement de temps, de matériaux et d’usage de machines, selon une clandestinité à géométrie variable, parfois totale, parfois assez relative. Pratique très largement répandue dans le monde industriel, et plus généralement dans le monde du travail salarié, la perruque connaît des situations allant de la répression systématique à une quasi-institutionnalisation, avec tous les degrés intermédiaires de tolérance. Enfin et surtout, l’objet réalisé n’est pas une marchandise : il n’est pas vendu, mais seulement conservé ou donné à des proches. La perruque demeure cependant ignorée par les discours officiels des organisations de salariés aussi bien que de patrons. Elle témoigne pourtant de la créativité des salariés, d’un plaisir au travail, permettant d’ouvrir de nouvelles perspectives. Abordée de manière latérale par d’autres travaux, la perruque est ici, pour la première fois, prise au sérieux dans l’ensemble de ses dimensions « .
A écouter ici :
Sur le même sujet, nous vous conseillons la lecture de Sortis d’usine de Robert Kosmann, paru aux éditions Syllepse, collection Les Utopiques, en 2018.
La définition que donne le Larousse du terme «perruque» nous permet d’entrer directement dans le vif du sujet : «Fraude de l’ouvrier qui, détournant quelque matière appartenant à son employeur, la détourne à son profit.» Cette pratique transgressive consiste donc à utiliser matériaux et outils sur le lieu de travail, pendant le temps de travail, dans le but de fabriquer un objet en dehors de la production de l’entreprise. Formellement interdite, parfois tolérée, la perruque exprime le savoir-faire des ouvrier·es astreint·es le plus souvent à des tâches répétitives et monotones. Entre tolérance et clandestinité, entre vol et dû, entre labeur et loisir, entre habitudes et transgressions, entre individualité et appartenance au groupe, la perruque est tout cela à la fois. La perruque permet de percevoir que les organisations humaines, même les plus rationalisées et les plus encadrées, comportent des interstices de «liberté» et c’est précisément dans ces espaces que se glissent les « perruqueurs ». L’auteur, fraiseur mécanicien, a pu interroger des dizaines de « perruqueurs » sur leurs bricolages et leurs créations. Il trace également un tableau complet des débats, des études sur cette contestation du travail prescrit.
« Un témoignage d’un salarié de Renault cité dans le livre permet de comprendre l’ampleur du phénomène : «Mon premier travail sur une perruque fut officiel. Il s’agissait de façonner les pédales, en bois composite, pour la construction d’un pédalo grandeur nature réalisé pour un directeur. Puis, devenu responsable d’un site laser de découpe, j’ai été amené à faire tout un tas de perruques dans divers matériaux (acier, matière plastique, bois, etc.) pour les copains. En fait tout ce qui pouvait se découper à plat : grille de barbecue, pièces diverses, porte-clés, pins, éléments décoratifs. […] Ce qui m’intéressait, c’était la perruque informatique.»
Malgré la désindustrialisation relative, cette pratique est-elle encore actuelle ? L’auteur s’interroge, à partir d’exemples récents, sur sa permanence et son expression dans les entreprises de services et dans les bureaux.
Des opinions émises par des sociologues, ethnologues et anthropologues du travail éclairent la discussion: «La perruque est non seulement une résistance ouvrière à l’ordre industriel mais aussi une forme de résistance au désordre industriel», les perruqueurs justifiant « un droit de préemption au nom d’une bonne gestion du gaspillage industriel ».
Un livre album illustré de 190 perruques en couleur à mettre dans toutes les mains » nous dit le prospectus !
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20/03/2021