Michel Ragon
Michel Ragon est décédé dans la nuit du jeudi 13 février à l’âge de 95 ans.
1924 – 1945
« J’ai voulu échapper à la misère, échapper à la pauvreté, échapper à l’obscurantisme et à un monde sans culture »
Naissance en 1924. Mère vendéenne, fille de domestiques de château, père vendéen, sous-officier de l’infanterie coloniale. Passe toute son enfance à Fontenay le Comte. Il est âgé de sept ans à la mort de son père.
Le certificat d’études primaires en poche, il émigre à Nantes avec sa mère en 1938 pour y chercher du travail. Il y connaîtra la vie de prolétaires, garçon de courses, débardeur et sera vite rattrapé par la guerre et l’occupation allemande. Pour éviter le STO il est engagé à la préfecture de Nantes au service des sinistrés et des réfugiés.
Lit beaucoup, dévore les livres par ordre alphabétique et entreprend de longues démarches pour rencontrer des poètes notamment le Nantais René Guy-Cadou. Il échappe à une arrestation pour faits de résistance, s’enfuit et se cache en Vendée. A son retour à Nantes, rencontre James Guitet alors étudiant à l’école des Beaux Arts et Martin Barré. Par la lecture de Caliban parle de Jean Guéhenno, il découvre que la littérature n’est pas réservée à la bourgeoisie et entreprend une correspondance avec Henry Poulaille écrivain prolétarien et personnage éminent aux éditions Grasset.
1945 – 1956
Une curiosité inlassable. Découvertes et premières publications
Arrive à Paris et habite dans un hôtel de charbonniers du xxème arrondissement. Alterne toutes sortes de boulots alimentaires d’où il écrira Drôles de métiers. Amitié avec Henry Poulaille qui dirige la revue Maintenant dans laquelle il publie ses premiers textes dont un sur Gaston Chaissac. Abandonne l’hôtel misérable pour une mansarde de la rue des Saints-Pères où commence une nouvelle existence faite de rencontres et de découvertes.
Publie ses premiers recueils de poèmes et son livre Les Écrivains du peuple. Fonde avec l’appui de Henry Poulaille, la revue Les Cahiers du peuple, dont il est le rédacteur en chef. Collabore aux journaux syndicalistes : le Monde ouvrier et l’Emancipation paysanne, au magazine de la résistance Unir en même temps qu’il se lie d’amitié avec le sculpteur Emile Gilioli, les peintres Atlan, Hartung, Soulages, Schneider, Poliakoff, Doucet etc. Organise une exposition Atlan à Copenhague.
En 1949, il participe à la grande aventure du groupe COBRA, rédacteur français de la revue et collaborant aux numéros 1, 7 et 10 de cette revue. Consacre un opuscule à Atlan dans la petite bibliothèque COBRA. Amitié avec Asger Jorn, Constant, Corneille, et Appel. Voyage au Danemark où il tente de rencontrer Céline alors en exil à Copenhague. Bouquiniste sur les quais de la Seine jusqu’en 1964.
En 1950, mariage avec Sally Ward. Fait de nombreux voyages en Grande Bretagne où il rencontre des peintres notamment Francis Bacon. Débuts à Cimaise revue consacrée à l’art abstrait. Publie Expression et non Figuration, un premier roman Drôles de métiers et une Histoire de la Littérature ouvrière.
1956 – 1962
« Une certaine façon de vivre et de voir l’art de notre époque » P.RESTANY
Publication de L’Aventure de l’art abstrait et du roman Trompe-l’œil. Organise l’exposition de peinture et de sculpture au festival d’art d’avant-garde dans l’unité d’habitation de Le Corbusier à Marseille où l’on peut voir un monochrome d’Yves Klein côtoyant une sculpture de Schöffer et de Tinguely et un ballet de Béjart avec une sculpture de Marta Pan. Michel Ragon raconte cet événement comme une révélation par et pour l’architecture.
André Malraux lui confie de nombreuses missions de conférences dans le monde entier.
Un long voyage en 1957 au Japon par cargo, où il séjourne plusieurs mois, lui permet de rencontrer l’architecte Kenzo Tange et le peintre Taro Okamoto. Il publiera un peu plus tard un récit Honorable Japon, et y consacrera un numéro spécial de Cimaise.
Au retour de plusieurs mois aux USA avec le peintre John-Franklin Koenig, il parle de deux femmes sculpteurs inconnues à Paris : Louise Nevelson et Louise Bourgeois, et annonce deux peintres dont nous entendrons parler, Robert Rauschenberg et Jasper Johns. Il publiera un roman Les Américains. Voyage au Chili où il rencontre Pablo Néruda ;
Son premier livre sur l’architecture paraît en 1958. Toujours de nombreux articles dans Cimaise, Arts et plus tard les Echos et l’Express, Jardin des arts. Ecrit plusieurs monographies de peintres et Le Dessin d’humour.
Un film de Jean-Marie Drot lui est consacré en 1961 : Michel Ragon, l’œil d’un critique.
Soutient Louis Lecoin en grève de la faim afin d’obtenir un statut d’objecteur de conscience et écrit : « Maurice Joyeux et Louis Lecoin furent sans doute les deux anarchistes qui m’ont le plus appris, ceux qui m’ont le mieux convaincu de la justesse de leur lutte ».
1963 – 1968
Mutation vers l’architecture. Passion pour la ville moderne et la démocratisation de l’architecture
Publication de Où vivrons-nous demain ?, livre manifeste qui marque le début d’activité militante pour une architecture prospective. Parallèlement, publie Naissance d’un art nouveau. Séjourne aux USA grâce à une bourse du département d’état où il rencontre Mies van der Rohe et Bertrand Goldberg pour qui il fera une monographie, Walter Gropius qui lui demandera de préfacer ses écrits théoriques : la Nouvelle Architecture et le Bauhaus, et les peintres Motherwell, Rosenquist, Christo, etc.
Commence un inventaire de l’architecture parallèle c’est-à-dire de l’architecture projetée sur le futur et fonde le « GIAP » qui a pour but de rassembler et d’être un lien entre les chercheurs de tous les pays. Fait à Genève à l’OMS un rapport sur la santé de l’homme dans les villes.
Invité par Paul Delouvrier, participe au groupe de réflexion sur le schéma directeur de l’aménagement de l’urbanisme de la Région Parisienne. Il soutient une critique engagée, comme médiateur entre l’architecte et le public, position relativement rare à l’époque dans la critique architecturale française.
Réalise avec Gilbert Bovay un film sur Alexandre Calder. En 1963, mariage avec Sara Moore. Publie son roman Les quatre murs. Président du syndicat des critiques d’art (AICA). Commissaire français à la biennale de Sao Paulo où il expose César, Raynaud, Guitet, Jacquet. Voyage au Japon où il est membre du jury de la biennale de Tokyo. Président d’honneur de la SPH (société protectrice de l’humour), préface une exposition de dessins d’humour au festival d’Avignon. En 1968, mariage avec Françoise Antoine dans la chapelle de Ronchamp construite par Le Corbusier.
1969 – 1980
« J’apprécie de vous voir toujours sur la piste de la véritable architecture, l’architecture et l’urbanisme solidaires, monolithes, indissociables » (lettre de Le Corbusier à Michel Ragon)
25 ans d’art vivant, recueil de textes d’un quart de siècles de critique d’art publié chez Casterman. Dans cette décennie, il écrira une longue Histoire de l’architecture et de l’urbanisme modernes en 3 volumes.
Fonde et dirige une collection de sciences humaines « Mutations- 0rientations » où il édite Jean Fourastié, Stéphane Lupasco, Pierre Schaeffer, Yannis Xénakis, Henri Lefebvre, Jean Baudrillard, etc.
Invité deux saisons à l’université Mc Gill de Montréal pour transmettre à des étudiants ce qu’il a appris en autodidacte. Long séjour en URSS, invité par l’union des architectes. Conférences à Moscou et à Leningrad à des étudiants affamés de culture occidentale. La nuit rencontres avec des artistes dissidents comme Rabine ou Lev Nusberg qu’il accueillera plus tard à Paris. A partir de 1973, professeur à l’ENSAD où il enseignera pendant 13 ans.
Retour à l’humour avec son ami Jean-Pierre Desclozeaux et à la littérature prolétarienne avec une version augmentée. Par son Histoire de l’architecture et de l’urbanisme modernes , il deviendra docteur d’état es sciences humaines en soutenant à la Sorbonne la thèse : la pratique architecturale et ses idéologies. Lauréat de l’Académie Française pour l’histoire de l’architecture et grande médaille d’argent de l’Académie d’architecture.
Retrouvailles avec Henry Poulaille.
1980 – 1990
Racines
Il me semble que le roman « L’accent de ma mère »porte un sous-titre : l’esprit d‘un peuple. Henri Queffélec
A « la recherche du temps perdu » de la Vendée, publication de L’accent de ma mère, Grand prix du roman des écrivains de l’Ouest et qui débute un cycle littéraire consacré aux racines vendéennes. Ecrit un texte sur Xénakis architecte pour Regards sur Xénakis (Stock). Publie L’espace de la mort et une monographie critique d’un architecte : Claude Parent. Le 2ème volume du cycle vendéen : Ma sœur aux yeux d’Asie paraît en 1982. Préface la correspondance de l’ouvrier mineur Constant Malva. Membre du conseil d’administration du Centre National d’arts plastiques au ministère de la culture, il continue sa collaboration à Cimaise, Connaissance des arts, le Magazine littéraire, le Monde libertaire et Radio libertaire et préface le catalogue de la « Fabuloserie », musée d’art brut créé par son ami Alain Bourbonnais.
Succès du grand roman Les Mouchoirs rouges de Cholet tandis que parallèlement il écrit pour la CFDT le livre anniversaire du syndicalisme : Ils ont semé nos libertés.
Un hommage lui est rendu par le musée des Beaux arts de Nantes avec une exposition de ses amis peintres « Autour de Michel Ragon ». Hommage repris à Paris par Ante Glibota au Paris Art Center avec une très grande exposition et un catalogue. Abandonne l’enseignement et publie le 4ème volume du cycle vendéen La Louve de Mervent.
Elu membre d’honneur de l’académie de Bretagne, Le Marin des sables, roman vendéen de la mer paraît en 1988. Ecrit une grande monographie sur la peinture de Karel Appel de 1937 à 1957 tandis que paraît le tome 5 de l’art abstrait avec Marcelin Pleynet.
Une nouvelle édition de L’accent de ma mère est publiée dans Terre Humaine.
Publie Jean Dubuffet paysages du mental, Atlan mon ami, et préface l’album antimilitariste : Où vas-tu petit soldat ? A l’abattoir.
1990 – 2000
Utopie
Publication du roman de mémoire politique La Mémoire des vaincus, puis de La voie libertaire, et des entretiens avec Claude Glayman J’en ai connu des équipages. Simultanément paraît Les ateliers de Soulages. Le cycle vendéen continue avec Le cocher du Boiroux. Aux éditions Skira, Le journal de l’art abstrait.
Donation aux Archives de la critique d’art de ses propres archives de critique d’art. Réalise avec Alain Vollerin cinq K7 video d’une histoire des arts plastiques de 1945 à nos jours. Un peu plus tard plusieurs monographies sur K7 video dont Soulages, Zao Wouki, Guitet, Raynaud, etc.
Une maladie suspend ses activités pendant presque un an.
Avec Les coquelicots sont revenus, la défense du monde paysan, puis Du côté de l’art brut celle d’un art hors norme. Ecrit deux livres de mémoire : D’une berge à l’autre et Le regard et la mémoire.
Publication d’une très grande monographie sur son ami Gérard Schneider.
L’utopie déjà présente dans Le marin des sables et Le roman de Rabelais est de nouveau abordée en 1999 avec l’anarchie et l’architecture dans Un si bel espoir. En 2000, Georges et Louise relate cette amitié étrange entre Louise Michel et Georges Clemenceau (l’anarchiste et le vendéen).
Dépôt d’un fonds d’archives littéraires à l’IMEC (Institut de mémoire de l’édition contemporaine). Richard Bohringer réalise un film pour France 2 d’après Les coquelicots sont revenus.
La revue Plein-Chant lui consacre un numéro spécial intitulé Michel Ragon parmi les siens. Hommage de la Vendée au romancier et critique d’art du XXème siècle par une exposition très prestigieuse en avril 2000 à l’hôtel du département de la Vendée. Reçoit le Grand prix Poncetton de la société des gens de lettres pour l’ensemble de son œuvre.
2001
Le temps du rêve. « Derrière le mur une petite fille chantait »
Retour à la Vendée avec Un rossignol chantait publié chez Albin Michel comme tous les autres romans. Réalise un film vidéo « Hugo et l’architecture, image du peuple » présenté à l’exposition Victor Hugo, l’homme océan à la grande bibliothèque de France à Paris.
Diffusion sur France 3 du film de F. Giré de la Compagnie des Indes : Les Itinéraires d’un autodidacte. Un livre avec l’ami Massin sur « Picassiette ». Puis le roman Un amour de Jeanne qui eût pu s’intituler Le grand amour de Barbe-bleue.
Participe au forum Xénakis à la cité de la musique à Paris et publie une grande biographie : Gustave Courbet peintre de la liberté.
La sortie dans la collection Omnibus (Presses de la Cité) de la réunion des romans vendéens sous le titre : Les livres de ma terre coïncide avec la parution de La Ferme d’en haut, lente écoute de la nature, de la solitude et de la vieillesse.
Paraît Le Prisonnier, roman renouant avec D’une berge à l’autre et la fascination des deux cultures. Participe à une monographie sur Zao Wouki
Disparition de son ami Jean Robert Arnaud, fondateur de Cimaise. Jacques Boislève publie deux longues études : l’une, Le mystère Ragon dans les cahiers de l’académie de Bretagne, l’autre, Les Mouchoirs rouges de Cholet dans la revue des Mauges et un entretien dans Place Publique : De la ville réelle à la ville rêvée.
A son ami Guy Rottier architecte membre du Giap, il répond : Ils ont cru que pour être proche du peuple, il fallait construire petit et renoncer à la recherche confondue avec l’intellectualisme. On ne peut pas être plus méprisant pour les classes populaires.
Publication du Dictionnaire de l’anarchie et d’un texte Soulages graveur à l’occasion de l’exposition des gravures de Soulages au musée de Strasbourg.
Réalise en 2010 une vidéo sur l’architecte Claude Parent. Plusieurs expositions hommage :
Voir demain l’architecture à l’école nationale supérieure de Bretagne ; Michel Ragon de la critique d’art à la critique de la ville à l’école supérieure d’architecture de la Villette. Colloque international ; Michel Ragon critique d’art et d’architecture à l’institut national d’histoire de l’art les 3, 4 et 5 juin 2010 (voir la vidéo).
Rencontre à Rodez autour du futur musée Soulages et toujours l’écriture avec la parution de Ils se croyaient illustres et immortels.
Le reste sur le site : http://www.michelragon.fr/bibliographie/
Et pour le livre critique sur Marx qui a pas mal fait grincer des dents :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3360440v.texteImage
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19/03/2020