Les femmes contre le changement ?
Les femmes contre le changement ? Engagements féminins entre conservatisme, réaction et extrémisme en Europe (fin XVIIIème – XXIème siècle)
par Elodie Serna · 14/10/2019
Des royalistes contre-révolutionnaires aux militantes réactionnaires, de la Duchesse de Berry à Sarah Palin, l’engagement des femmes au sein de mouvements attachés à la préservation de l’ordre social traditionnel est manifeste. En France, leurs supposés penchants cléricaux et conservateurs justifièrent d’ailleurs leur longue exclusion de la sphère politique. Si les sources attestent de leur implication, les conservatrices font pourtant encore figure de parent pauvre de l’historiographie des femmes et du genre. Les engagements féminins appréhendés comme des vecteurs d’émancipation, ont surtout été observés dans le contexte de la conquête des droits civils et politiques. De leur côté, la
plupart des travaux sur les groupes conservateurs ont d’abord été écrits au masculin. Leur rhétorique souvent virilisante – mais non spécifique aux groupes conservateurs – a contribué à masquer la réalité de leur mixité sexuée. Par ailleurs, le soupçon d’apolitisme pesait sur leurs militantes présumées influençables : en définitive, leur engagement n’était-il pas contre-intuitif ? Et finalement trop improbable pour être réellement fondé ?
Ce colloque international propose d’interroger une thématique longtemps négligée de
l’histoire des femmes qui s’inscrit dans un champ de recherche aujourd’hui dynamique. La recherche sur les femmes conservatrices trouve son origine dans les réflexions pionnières de Rita Thalmann qui dans les années 1980 a mis en lumière les liens ambigus entre nationalisme, nazisme et féminisme. Ses successeur-e-s ont démontré la participation active de femmes aux mouvements nazis et fascistes européens, non sans susciter d’âpres controverses. Par la suite, les colloques et les publications concernant les femmes engagées à la droite et à l’extrême droite de l’échiquier politique se sont démultipliés. Prenant acte de cette évolution historiographique, ce colloque entend questionner les conservatismes au sens large, notamment les mouvements réactionnaires et extrémistes, sous l’angle du genre en se focalisant sur les expériences féminines de l’engagement. Ce colloque s’inscrit dans une perspective internationale favorisant ainsi les approches européennes, comparatistes et transnationales. Le choix d’une période et d’un espace élargis invite à penser les continuités et ruptures sur le temps long et esquisser les contours et limites des engagements contre le changement, qu’ils soient qualifiés de réactionnaires, extrémistes ou conservateurs.
Axe 1 : Actrices, identités et trajectoires d’engagement
La focale sera ainsi mise sur les actrices et plus particulièrement sur les dispositions
biographiques qui mènent les femmes à l’engagement. Au-delà de la détermination de leur origine et du contexte social, religieux et politique dans lequel elles évoluent, c’est autant les dynamiques individuelles et collectives que les identités militantes ou partisanes qui seront au centre de l’intérêt.
À travers l’étude d’expériences, de pratiques, de vécus et de trajectoires de vie, l’on pourra également questionner les représentations et images véhiculées autour de ces engagements, identifier les ressorts, les moteurs tout comme les limites et les résistances notamment misogynes (masculines, normatives ou sociétales) que l’engagement de femmes a suscitées à différentes périodes et dans différents contextes et régimes. Les notions d’agency et d’empowerment pourront ainsi servir à sonder les rapports de pouvoir, le statut des femmes (exclues ? minorées ? tolérées ? acceptées ?) et leurs
éventuels combats contre la domination au sein des groupes et mouvements réactionnaires. On pourra plus globalement se demander quels sont les spécificités et enjeux genrés des mobilisations hostiles aux processus de transformation, de démocratisation et/ou de libéralisation.
Souvent qualifié d’engagement contre-intuitif, l’engagement conservateur, réactionnaire ou extrémiste de femmes sera également étudié à travers le prisme des féminités marginalisées ou subalternes en regard des rapports sociaux de classe, de race et de sexualité. Ayant trouvé dans le conservatisme une « patrie » politique ou idéologique qui a priori les exclut, ces femmes adhèrent à une pensée politique qui nécessairement entre en conflit avec leur identité ou position sociale. Invitant à adopter une perspective intersectionnelle, nous chercherons ainsi à comprendre les logiques des engagements féminins. Pourquoi rejoignent-elles les mouvements antiféministes et conservateurs ?
Quels compromis trouvent-elles ? Comment négocient-elles leur position dans des rapports potentiellement asymétriques entre femmes ainsi qu’entre les femmes et les hommes? Comment ces engagements évoluent-ils selon les pays, les époques et les luttes (anti)féministes?
Axe 2 : Motivations, causes et raisons d’agir
Un tel sujet place le sens de l’engagement au coeur de la réflexion. L’engagement, défini de
façon générale comme mobilisation volontaire pour défendre des intérêts ou une cause, pose ici avec acuité la question de l’émancipation et de la signification qu’elle a pour les protagonistes historiques.
Pourquoi certaines femmes se mobilisent-elles pour défendre un traditionalisme qui de prime abord semble contraire à leurs intérêts de femmes ? Comment légitiment-elles – en tant que femmes – un engagement qui, au regard de l’ordre patriarcal défendu par la plupart des mouvements conservateurs, semble transgressif ? Se disent-elles « féministes » ? Sont-elles pour ou contre le changement ? Pour ou contre le « progrès » ? Défendent-elles l’ordre établi ou souhaitent-elles le subvertir par un bouleversement révolutionnaire ? On pourra ainsi interroger la cause et la teneur des combats qu’elles mènent (religieux, néonazi, nationaliste, culturel, identitaire, pro-vie, etc.), des projets de société qu’elles défendent (chrétienne, anti-multiculturelle, etc.), des régimes politiques qu’elles soutiennent (autoritarisme, monarchisme, dictature, démocratie illibérale ou libérale etc.) et des discours et représentations qu’elles véhiculent sur la place que doivent y tenir les femmes (mères, compagnes, combattantes, etc.).
Axe 3 : Modes d’action et d’organisation
Il s’agit, enfin, d’observer comment ces femmes s’organisent et agissent sur le terrain.
Certaines pourront privilégier l’action spontanée, collective ou individuelle (pamphlets, actions coup de poing et attentats, etc.), d’autres des actions plus structurées et coordonnées (campagnes, manifestations, initiatives citoyennes, etc.). Que ce soit à travers des groupes clandestins, des associations, des cercles intellectuels, des mouvements sociaux ou des partis politiques, c’est aussi la question de leur rapport au pouvoir, aux institutions et à la violence qui est en jeu. En quoi leur engagement est-il spécifique? Quel est l’impact de ces engagements féminins sur les mouvements conservateurs et/ou féministes ? Quelle en est la réception, autant nationale qu’internationale? Existet-
il une forme de transnationalité de l’engagement conservateur ou réactionnaire de femmes? Peut-on identifier des phénomènes de convergence ou de mimétisme, de circulation ou de transferts de ces modèles d’engagement dans l’espace européen?
Les propositions de communication (500 mots max.) muni d’un titre, ainsi qu’un bref CV sont à déposer avant le 15 novembre 2019 sur la plateforme dédiée:
Le colloque se tiendra les 12 et 13 mars 2020 à l’université Rennes 2. Les frais de déplacement et d’hébergement des participants seront pris en charge, dans la limite des fonds disponibles.
Comité d’organisation
Fanny Bugnon, Université Rennes 2, Tempora
Camille Cleret, Université d’Angers, Temos
Valérie Dubslaff, Université Rennes 2, ERIMIT
Tauana Gomes Silva, Université Rennes 2, Arènes
Solenn Mabo, Université Rennes 2, Tempora
Comité scientifique
Paola Bacchetta, Gender Studies, Université de Californie (Berkeley, USA)
Christine Bard, Histoire, Université d’Angers
Magali Della Sudda, Science politique/histoire, IEP de Bordeaux
Bernhard Gotto, Histoire, Université de Munich/Institut für Zeitgeschichte (Allemagne)
Françoise Thébaud (ém.), Histoire, Université d’Avignon
Fabrice Virgili, Histoire, Université Paris 1
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27/10/2019