Dans la toile d’Arachné
Dans la toile d’Arachné, Contes d’amour, de folie et de mort, textes réunis, commentés et traduits par Sylvie Ballestra-Puech et Evanghélia Stead, Grenoble, éd. Jérôme Millon, coll. « nOmina« , 2019, 728 p.
Ce livre s’interroge sur le retour insistant du mythe d’Arachné (brillamment raconté par Ovide dans ses Métamorphoses) et de quelques figures connexes (Arachné et son frère Phalanx, punis d’inceste, Arachnos s’unissant à Tirésias) dans les textes littéraires modernes du xixe au xxe siècle. De la vaste littérature arachnéenne – qui inclut des romans, des pièces de théâtre, des poèmes, des essais et des articles scientifiques écrits avec un rare brio – il retient prioritairement la nouvelle fantastique moderne en y joignant quelques textes poétiques et discursifs éclairants. Il invite à explorer ces mythes dans des textes qu’on croirait très éloignés de fables antiques.
Le trajet de la tisserande mortelle qui osa défier Athéna dans un concours de tapisseries célèbre dans les arts et fut durement punie pour son talent et son audace se reflète dans la structure de l’ouvrage. Ses cinq parties s’arrêtent sur l’association insistante de l’araignée au diable en montrant l’influence de la Bible et de la littérature patristique (I. Araignées du diable); sur la figure de la femme-araignée, supposée dévorer son partenaire après l’union sexuelle, jusqu’à sa mise à distance par l’humour dans la nouvelle au xxe siècle (II. Amours monstrueuses); sur la figure de la mère-araignée étouffante, construite par la psychanalyse, et parfois déconstruite par des fictions ironiques (III. L’Araignée des familles); sur la toile d’araignée comme métaphore du psychisme et la transmission de la pensée coupable, le délire, la folie ou la phobie (IV. Une araignée au plafond); et sur la relation insistante de l’araignée à l’expression artistique – musique, écriture automatique ou tissage poétique (V. Araignées d’art).
Le livre réunit vingt-et-un textes en cinq langues (sept en français, trois en allemand, six en anglais, trois en italien et deux en espagnol), écrits entre 1842 et 1983. Il propose systématiquement l’original en regard des traductions. Cinq d’entre elles, reprises à des éditions existantes, sont revues et amendées. Sept autres sont proposées pour la première fois en français. Chaque texte est suivi d’une notice-commentaire qui en déplie la structure, l’imaginaire et la langue en attirant l’attention du lecteur sur une riche intertextualité qu’on tient pour une caractéristique frappante du mythe d’Arachné.
This book questions the insistent return of the myth of Arachne (brilliantly narrated by Ovid in his Metamorphoses) and some related figures (Arachne and her brother Phalanx, punished by incest, Arachnos uniting with Tiresias) in modern literary works from the nineteenth to the twentieth century. From the vast spider literature — including novels, plays, poems, essays and scientific articles written with a rare verve — it retains in priority modern fantasy short stories also adding some enlightening poetic and discursive texts. The book invites us to explore these myths in texts that seem far removed from ancient fables.
The journey of the mortal weaver who dared challenge Athene in a tapestry contest celebrated in the arts, and was severely punished for her talent and daring, is reflected in the structure of the book. Its five parts consider the insistent association of the spider with the devil by showing the influence of the Bible and patristic literature (I. Spiders of the Devil); the figure of the spider-woman, presumed to devour her partner after sex, but also distanced by humour in twentieth century short stories (II. Monstrous Loves); the figure of the stifling spider mother, constructed by psychoanalysis, and occasionally deconstructed in ironic fictions (The Family Spider); the cobweb as a metaphor for the psyche and the transmission of guilty thinking, delirium, madness or phobia (IV. Spinning Heads); and the insistent relation of spiders to artistic expression — music, automatic writing or poetic weaving (V. Art Spiders).
The collection presents twenty-one texts in five languages (seven in French, three in German, six in English, three in Italian and two in Spanish), written between 1842 and 1983. It systematically offers the original facing the translations. Five translations, taken from extant editions, are reviewed and amended. Seven others are given for the first time in French. Each text is followed by a commentary that unfolds its structure, imagination and language by drawing the reader’s attention to a rich intertextuality seen here as a striking feature of the myth of Arachne.
Sylvie Ballestra-Puech, Comparative Literature professor at the Université Côte d’Azur (Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature et des Arts vivants), has published in French, with Librairie Droz, Arachnes Metamorphoses. The Artist as Spider in Occidental Literature (Métamorphoses d’Arachné. L’artiste en araignée dans la littérature occidentale, 2006), Temple serena. Lucretius mirrored in Francis Ponge’s work (Templa serena. Lucrèce au miroir de Francis Ponge, 2013), and Reading Lucretius (Lectures de Lucrèce, 2019).
Evanghelia Stead, a literary translator competent in several languages, works on European literatures. She has already published in the «Nomina» collection Second Odyssey: Ulysses from Tennyson to Borges (Seconde Odyssée: Ulysse de Tennyson à Borges, 2009) and Tales of the Thousand and Second Night (Contes de la mille et deuxième nuit, 2011). She teaches Comparative Literature at the Université Versailles Saint-Quentin and is a senior fellow of the Institut universitaire de France.
Le conte « Arachné », un des joyaux de Cœur double, est intégré à une anthologie ambitieuse : un choix de vingt et un textes en cinq langues, écrits entre 1842 et 1983, explore les avatars du mythe de la femme-araignée avec lequel joue la littérature européenne depuis les Métamorphoses d’Ovide. Les deux autrices, spécialistes du thème arachnéen, ont privilégié ici, en l’accompagnant de quelques poèmes, le genre de la nouvelle fantastique moderne où sont travaillées savamment, entre terreur et humour, les composantes fantasmatiques d’un mythe « mineur » mais sécrétant indéfiniment le piège de sa toile de mots. Le trouble naît du désir transgressif et morbide, des incertitudes de la réversibilité comme du réseau intertextuel fascinant qui rappelle la tapisserie de l’héroïne ovidienne. La fin de siècle, représentée dans le domaine français par Jean Lorrain, Rachilde et Marcel Schwob, recourt à l’araignée pour figurer la femme fatale, l’amante ou la mère dévoratrice. Les textes sont présentés en version originale, avec en regard une traduction inédite ou revue, et sont assortis de longues notices à la fois informatives et profondément analytiques. Celle qu’Évanghélia Stead consacre à « Arachné », reprise de l’article « Arachné : le fil, la chaîne et la trame » (Marcel Schwob d’hier et d’aujourd’hui, Champ Vallon, 2002), éclaire magistralement l’art poétique de Schwob que ce conte illustre par sa charge symbolique comme par sa facture complexe. Le tissage étourdissant de ses motifs en fait non seulement un « conte d’amour, de folie et de mort », mais un « conte des contes ». [A. L.]
(info : Marcel Schwob)
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27/09/2019