ALCHERINGA
PORTE-FENÊTRE
[…] Il s’agit donc de dire non à tous ces systèmes d’oppression, de domination, d’aliénation des corps et des esprits qui font l’emprise de la civilisation capitaliste, pour laquelle n’est véritablement réel que ce qui est produit par la rationalité marchande ou ce qui peut lui bénéficier. Il s’agit donc d’être encore plus qu’hier en écart absolu avec ce monde, d’être d’abord résolument inutiles dans le fonctionnement de sa machinerie, avant que d’avancer avec les joies de la désertion sociale et de la paresse créatrice, celles, pour nous évidentes, de l’exploration continue de l’imaginaire et de l’irrationnel pour enrichir une raison autre, qui sans craindre d’être portée par les ailes du mythe de la Révolution, nous donne à entendre que le réel est tout ce qui excède la réalité.
Aussi reprenons-nous collectivement la parole, après la revue S.U.R.R. (1996-2005) pour affirmer qu’il est un lieu où pensée poétique et pensée critique se joignent dans la volonté d’actualiser le projet d’émancipation que nous savons avoir en partage avec d’autres errants dans la nuit de l’époque. Le surréalisme : nous nous adressons à ceux qui l’attendent ailleurs qu’enclos dans les musées, les salles des ventes et les colloques universitaires. Allons donc ! Nous sommes quelques-uns, de par le monde, à prétendre que son mouvement réel, ce soir encore, est d’être le mythe nécessaire pour subvertir l’histoire absurde de ce temps et œuvrer au ré-enchantement du monde. Nous parlons depuis Paris, Leeds, Londres, Madrid, Prague, Stockholm, Chicago, Ottawa, Montréal, São-Paulo, etc. comme depuis de plus profondes forêts, de plus lointaines îles où les temps s’entrelacent tels les mailles de rosée de l’étoile d’un matin toujours à venir. Et ce que nous avançons aujourd’hui: Alcheringa,c’est parce que le temps des rêves – c’est la signification de ce mot dans une langue parlée par des aborigènes d’Australie – est «aussi celui de toutes les métamorphoses» (André Breton, Main première). Métamorphoses que nous nous éblouissons de voir à l’œuvre dans l’expérience fondamentale du rêve, qui transmet son économie à toute véritable aventure poétique. Aussi est-il a contrario quelque peu agaçant d’observer comment certaines recherches dans les neurosciences s’appliquent à cacher derrière l’étude positiviste du fonctionnement des organes cérébraux, l’élucidation du fonctionnement réel de la pensée. Le travail du rêve, le jeu de symboles dont il use avec une déconcertante prodigalité dont le secret nous est toujours remis, son aisance à tantôt disqualifier la vie diurne et à tantôt l’enchanter, même à longue distance temporelle, de cela nous ne voulons être que les farouches éveilleurs, comme certes tant le furent avant nous, et qui brisèrent leurs sabliers au sortir de la chambre noire. Oui, l’échelle du rêve, qu’elle serve à monter ou à descendre de l’inconscient à la conscience vigile est bien telle la nef des Argonautes ou le crible de Faustroll, un instrument de navigation qu’il nous importe de régler avec toujours plus de précision, pour en proposer l’usage à qui en voudra pour mesurer combien est plus immense qu’il n’est dit la lande mentale où s’inventent les désirs. Dès lors que se dégage un peu mieux l’horizon de celle-ci, que veulent encombrer sans vergogne les palinodies de l’échange marchand, ne voyez-vous pas que les yeux de la tyrannique gorgone se sont changés en boule de cristal? Il se peut que la lecture du journal, d’inutile ou d’accablante, devienne au souvenir du rêve matinal, soudainement révélatrice d’une mystérieuse correspondance entre la sphère subjective et le monde objectif. Le hasard?
De celui-ci, de ses coïncidences pétrifiantes, nous n’avons de cesse d’en guetter les occurrences, de vouloir les provoquer sur le tissu des jours, dès lors qu’elles assignent à ceux-ci d’être dans leur décompte, les témoins d’une durée encore secrète où s’abolissent dialectiquement les dépossessions de l’ennui et les impositions de quelques-unes de nos légendes préférées ou de nos insouciantes rêveries. Nous voulons n’être qu’à la merci d’un temps désormais qualitatif, en lequel la sensation du sacré devient indissociable de l’expérience du merveilleux. Telles évidences que sont pour nous le matérialisme et l’athéisme trouvent en cela leur pierre de touche. Puisque cette pierre, qui un jour pour nous pourrait être philosophale, est toute mouvante d’images, de ces plurivoques objets de pensée qui sont les moments parfois splendidement indécis où se confondent, où ne se séparent pas encore le signifiant et le signifié des mots d’avec des impressions sensibles, en particulier visuelles, telles qu’elles agitent le débat intérieur au moment de la plongée dans le sommeil. L’imagination est alors ainsi, d’évidence, la reine des facultés; éprouvée comme la première organisatrice de notre présence au monde. Rien encore ne l’oblige à accepter la séparation entre subjectivité et objectivité, elle nous enseigne que sa puissance non pas dislocatrice mais unificatrice et transformatrice nous est nécessaire pour résister au flux d’images mortes dont usent les Circé du monde marchand pour geler l’esprit dans le miroir de ses objurgations.
Enseignement qui a tout l’allure d’un jeu: nous jouons beaucoup, nous n’aimons rien tant que jouer. C’est d’ailleurs très simple et il n’est jamais bien difficile d’inventer de nouvelles règles, de nouveaux protocoles pour que se créent en nos modestes assemblées d’étonnants moments d’intersubjectivité. On a assez évoqué la dimension libératrice de telles pratiques, comment de cette mise en commun de la pensée poétique peuvent surgir quelques moments d’utopie. Il nous apparait que la suite de ceux-ci peut être lue comme une histoire parallèle, une petite histoire encore, mais vue par la lorgnette kaléidoscopique du défi aux lampistes du Panthéon. Et une autre suite, se prolongeant en d’assez longues saisons, relatant des récits de rêve peut constituer les annales d’un imaginaire. En marge de celles-ci s’inscrivent les seuls évènements dont il vaut la peine de se souvenir, ou qu’il est si passionnant de prévoir. Il y a là, pour qui s’insurge contre l’odieuse injonction à devoir «vivre en temps réel» la bêtise de cette époque, l’invitation à s’ouvrir à un autre rapport au temps. ALCHERINGA : cette nouvelle revue du groupe surréaliste de Paris ne veut rien tant que d’inciter à conjuguer au temps du rêve l’insolente jeunesse de la révolte et de l’imagination sans entraves.
Guy Girard
Textes, poèmes, images, peintures et collages de
Guy Girard, Ana Orozco, Élise Aru, Alfredo Fernandez, Joël Gayraud, Bertrand Schmitt, Emmanuel Boussuge, Sylvain Tanquerel, Claude-Lucien Cauët, Hervé Delebarre, S. D. Chrostowska, Michel Zimbacca, Michael Löwy, Bruno Jacobs, Michèle Bachelet, Katrin Backes, Massimo Borghese, Eugenio Castro, Kathy Fox, Janic Hathaway, Marcos Isabel, Enrique Lechuga, Patrick Lepetit, Sergio Lima, Rik Lina, Noé Ortega, John Richardson, Michael Richardson, Ron Sakolsky, Eloy Santos, Pierre-André Sauvageot, Virginia Tentindo.
48 pages, 10 €.
Contact:
alcheringa.revue@gmail.com
La revue est feuilletable et disponible à l’acquisition à la librairie de la Halle St-Pierre (au pied de la butte Montmartre), et à la librairie Publico (145, rue Amelot 75011 Paris).
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28/06/2019