A une religieuse
À une religieuse
Dans l’ombre du parloir, vieille petite sœur,
Je regardais vos yeux à la froide douceur,
Et vos blancs cheveux saints, et votre laideur sainte,
Et votre tempe étroite et si chastement ceinte,
Et votre croix de buis où mourait le Seigneur…
Ô misérable, ô trop heureuse pauvre sœur,
Vous n’avez pas su voir quelle était ma tristesse
Quand vous parliez de vos vieillards et de la messe
Du grand bonheur pour vous d’avoir, en tous pays,
Cette cornette blanche et ce noir crucifix,
Le don de préparer, en d’odorants mélanges,
Les baumes des jardins et l’haleine des anges…
Que je vous suppliais, sainte aux si pâles yeux,
Au vieux sourire usé, calme et minutieux,
Que je vous demandais de savoir, de comprendre !… ~
Et, sur ma tempe, hélas ! je vous montrais la cendre
Que mon amour si cher, si funeste a laissée…
Votre regard, ô sainte, était clair et glacé ;
Comment auriez-vous su me consoler, entendre ?…
Mon cœur désespéré faisait un long bruit tendre,
Un long bruit de ruisseau que la pluie a gonflé
Et qui, trop plein, trop lourd, tout seul s’en est allé…
Mais que voulais-je, au juste, en cette heure cruelle
Où j’avais au corsage une fleur sensuelle,
Sur les mains mon ardeur, mes bagues, mon courroux ?…
Ah ! quelle pénitente étais-je devant vous ?
Étais-je décidée à gravir le calvaire,
À crier mon remords vers un moine sévère,
À recevoir la grâce et la fureur de Dieu,
Les épreuves du fer, du silence, du feu,
À prosterner mon front contre les pierres dures,
À me laisser frapper par l’Ange des tortures ?
À réprouver mon charme, à renier mes doigts,
À donner mes cheveux à l’Homme de la croix ?…
— À te chasser de moi, maudite, altière et sombre,
Toi qu’aiment mon orgueil et Satan, à mon ombre ?…
Mes tourments, mes regrets, mes sanglots, m’accablaient,
Et vos vertus et vos ferveurs vous étoilaient…
La sagesse, sur votre front, tombait, oblique,
Ainsi que, d’un vitrail, une rose biblique…
Et moi, toute colère et toute impureté,
Au seuil de la maison de votre sainteté,
J’attendais… J’implorais… Mais quoi ? Quelle détresse !
Je ne pouvais quitter mon âme pécheresse,
Et je me détestais sans pouvoir, ô rancœur,
Désirer que le ciel m’eût donné votre cœur.
Car si vous m’aviez dit : « Asseyez-vous, ma fille,
Vous serez cette sœur qui, près de cette grille,
Coud le linge modeste et jaune des vieillards ;
Rien d’âpre, rien d’ardent n’emplira vos regards ;
Vous serez, dans ces murs, humble, stricte, économe ;
Vous ne connaîtrez pas l’amère odeur de l’homme ;
Votre taille n’aura ni grâce ni contour,
Mais elle ignorera les servages d’amour.
Vous serez prude, gaie et soigneuse : une nonne ;
Vous ne redouterez ni la mort, ni l’automne,
Ni la ride qui vient, ni le temps qui s’enfuit,
Et vous joindrez vos doigts pendant toute la nuit…
Vous serez bien prudente et bien nette et bien sage,
Vous n’aurez pas le culte impur de ce visage
Qui doit périr, qui doit s’effriter jusqu’aux os,
Dans l’horreur du silence et de ses deux yeux clos.
Ma fille, vous aurez la sécurité haute
D’aller au Paradis et de vivre sans faute,
Jésus pour tout espoir et pour tout souvenir…
Vous ne connaîtrez pas la honte de venir
Près de l’homme menteur, égoïste et farouche,
Et qui vous damne avec la tiédeur de sa bouche,
Et son étreinte forte et ses rudes cheveux.
« Et vous parle tout bas, Dieu sait pour quels aveux !…
« Asseyez-vous… Voici que vous m’êtes pareille,
Que la ruche de Dieu vous compte comme abeille.
Doucement, sous le voile entourant votre front,
Vos jours se fileront et se défileront…
Vous n’en aurez souci… Votre âme sera stable,
Et vous aurez le pain — le vrai ! — sur votre table,
Et sur votre lit blanc, l’or de votre Seigneur.
Sa bague, à votre main, prouvera votre honneur…
Et quand s’annonceront les éternels orchestres,
Les anges dont, jamais, le chant ne doit tarir,
Vous sourirez dans l’heure heureuse de mourir,
Tandis qu’en votre Dieu vous vous verrez fleurir,
Et que se fermeront vos paupières terrestres…
« Asseyez-vous, ma fille… Ayez la paix, ô vous
Qui souffrez dans vos bras, vos seins et vos genoux,
Dans votre humanité périssable et mauvaise.
Prenez ce nouveau cœur… Jetez ce qui vous pèse,
L’amour qui vous coûta votre âme, votre effort,
Votre amour tout pareil — voyez !… — à du bois mort…
Laissez-vous. Laissez tout… Le bon vent vous accueille.
Remettez-vous à lui, sainte petite feuille…
Venez… Ici, l’on aime… Ici, l’on a sommeil…
Ici, c’est le bon seuil et c’est le bon soleil,
L’attente souriante et la Vierge Marie,
Et, tous les jours, la nef qui va vers la Patrie… »
Je vous aurais dit non, ô bienheureuse sœur,
À vous blanche de gloire et ointe de douceur,
À vous qui prenez part aux moissons immortelles,
Sainte, à vous qui avez, dans les calmes chapelles,
Vos prières, toujours, par l’Esprit agréées…
Ô sœur, j’aime si fort mes pauvres mains créées,
Et mon frère imparfait, l’homme à la chaude voix,
Qui me fait tant de mal, mais qui baise mes doigts.
Je n’aurais pas voulu votre magnificence,
Et, comme vous, garder toute mon innocence.
Condamnez mes péchés au feu de votre enfer.
Sachez que j’eus mon ciel parce que j’ai souffert,
Et que, dans une extase encor plus que divine,
De l’homme que j’aimai j’évoquai la poitrine.
Je préfère rester la pauvre Ève qui meurt
Dans le bruit indécis et triste de son cœur,
Celle que tout séduit et qui de rien n’est sûre,
À qui tout est embûche, à qui tout est blessure,
Que rien ne récompense en raison de son mal…
Mais qui fait ce beau geste humain et nuptial
De dénouer sa robe et de donner sa gorge.
Car l’homme, en plus de sa moisson de vin et d’orge,
Veut le corps de la femme et son tendre sanglot.
Allez, heureuse sœur, je préfère mon lot ;
J’ai l’orgueil de souffrir simplement pour la peine…
D’avoir un cœur humain dans ma poitrine humaine…
Cardez votre bonheur plein des anges des nuits,
Votre félicité près de l’unique Maître…
Moi, je veux demeurer la femme que je suis…
Et pourtant, et pourtant, je succombe de l’être !…
Hélène Picard, Les Fresques, 1908
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21/06/2019