C’est la fin
Appel à propositions d’articles, pour le 15 septembre 2018 :
« C’est la fin », Le Pardaillan n°6
Le Pardaillan, revue interdisciplinaire de littératures populaires et cultures médiatiques, consacrera le dossier de son sixième numéro à la fin, en ce qu’elle constitue a priori l’ultime étape de toute œuvre. La fin se pose d’emblée comme paradoxale : point final d’une expérience (de lecture, de visionnage, de jeu…), elle est ce dont on ne cesse de s’approcher tout en redoutant d’y arriver trop vite. Repoussée et désirée tout à la fois, redoublée, multiple ou alternative, surprenante ou banale, prématurée, parfois brutale, et protéiforme, la fin est un lieu stratégique de révélation au sens photographique du terme. Qu’elle soit dénouement, révélation ou maintien en suspens, elle est, invariablement, ce qui termine notre expérience, et à ce titre dispose de modes d’apparition et d’enjeux bien spécifiques.
La fin s’impose, visuellement, dans l’oeuvre qui se termine. Le mot « fin », en dessous de la dernière phrase d’un livre, héritier de la mention explicit liber des moines copistes, vient officialiser l’inévitable. Il peut apparaître également, parfois assorti d’effets spéciaux, à la fin des films et des jeux ; les productions sérielles, quant à elles, optent pour un entre-deux qui signale la fin de l’épisode et la continuation future par le prochain – le fameux « C’est tout pour aujourd’hui » des Shadoks. Au-delà de ce titre final, c’est également toute une mécanique de la fin qui se met en place, et qui rend la fin à la fois perceptible et compréhensible ; ainsi le « boss de fin » du jeu vidéo vient couronner l’accomplissement d’un niveau voire du jeu tout entier, en soumettant le joueur à une difficulté supérieure à tout ce que le jeu a proposé jusque-là. Exactement comme il y a boss de fin, il y a dernière image d’un film, dernière phrase d’un livre, dont le poids et la signification se trouvent décuplés en raison de la responsabilité que leur confère leur position : que l’on pense, par exemple, à John Wayne se retournant dans l’embrasure de la porte dans Prisonnière du désert, ou à l’ultime « Mon panache ! » de Cyrano…
Finir un livre ou un film est une étape en apparence nettement définie : on se trouve à la fin lorsque plus aucune page ne s’offre à tourner vers la gauche, lorsque toutes les images ont défilé à l’écran. Mais qu’en est-il, par exemple, de l’idée de finir un jeu vidéo ? Le jeu vidéo narratif fait bien arriver le joueur à un fin au sens diégétique du terme, mais finir la quête principale ne signifie pourtant pas avoir épuisé tous les possibles offerts par le jeu. Quêtes secondaires, possibilité d’ajouter des « mods », nouvelles parties en speedrun… le jeu semble se prêter à un renouvellement vaste, alors même que sa dimension narrative est arrivée à son terme. Sans oublier les jeux non narratifs, qui offrent, à l’image de Minecraft ou des modes multijoueurs de Call of Duty, un usage illimité, qui ne serait jamais menacé par d’autre fin que la lassitude du joueur.
Certaines œuvres mettent d’ailleurs en scène la difficulté à accepter la fin, quand on aurait envie qu’elles ne se terminent jamais. La fin du dessin animé Les Aristochats est ainsi amenée à contrecoeur par les personnages des deux chiens Napoléon et La Fayette : alors que de nombreux signaux (terme de l’histoire, changement dans les couleurs et musique de générique) mettent en place le contexte de fin, le chien Napoléon tente une fois encore d’(ab)user de son autorité en proclamant : « C’est moi qui dis quand c’est la fin ». Mais la fin s’impose malgré tout d’elle-même, le mot symbolique venant heurter le personnage et le pousser hors de l’écran : cette fin comique, dans le cadre d’un dessin animé, signifie bien malgré son humour à quel point la fin fait violence, en ce qu’elle contrarie le fantasme de poursuivre indéfiniment l’immersion dans la fiction.
Se pose également la question des fins alternatives et des fins multiples, moyen à la fois d’enrichir l’oeuvre et d’esquiver le caractère définitif de la fin unique : les livres « dont vous êtes le héros » ou des jeux comme Spec Ops : The Line et Life is Strange, proposent plusieurs fins alternatives en fonction des choix du joueur, et des films comme Rashomon d’Akira Kurosawa ou La vie est belle de Franck Capra, proposent, eux, des fins différentes en fonction des points de vue envisagés ou de la situation temporelle. La pratique des scènes post-générique popularisée par les films Marvel est également un moyen de proposer une autre fin que la fin proprement dite du film, en offrant au spectateur soit une scène bonus, soit un teaser de la prochaine production à venir. La fin alternative peut aussi être celle que va constituer le fandom d’une œuvre ou d’un univers, pour pallier une fin considérée comme trop triste ou indigne.
En outre, la fin se construit également dans une relation étroite à notre imaginaire. Elle peut ainsi s’offrir comme horizon de construction des intrigues, comme dans le cas des fictions d’apocalypse ; un film comme C’est la fin de Seth Rogen et Evan Goldberg en tire même son titre, jouant sur la convention qui veut que la locution « the end » n’apparaisse normalement qu’à la fin des films.
Les contributions pourront porter sur l’ensemble du champ médiatique (littérature, BD, jeu vidéo, spectacle vivant, cinéma, musique et chanson, internet, etc), et seront particulièrement bienvenues les propositions transversales visant à explorer plusieurs champs médiatiques.
Les propositions de contribution, d’une longueur de 500 à 1000 mots environ, sont à adresser à luce.roudier [@] gmail.com pour le 15 septembre 2018 au plus tard. Si la proposition est retenue, l’auteur sera informé avant le 20 septembre, et l’article sera demandé pour le 1er mars 2019. La parution est prévue pour mars 2019.
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14/09/2018