Mélancolie ouvrière
Née le 23 février 1870 à Saint-Pierre-de-Mésage (Isère), morte le 7 mars 1913 à Tullins (Isère) ; ouvrière tisseuse en soierie ; militante syndicaliste de l’Isère ; auteure d’un récit sur la vie et les luttes de tisseuses de soie dans la région de Vizille.
Le film de Gérard Mordillat sur Lucie BAUD, Mélancolie ouvrière, sera présenté pour la première fois sur Arte vendredi soir 24 août, d’après l’étude de Michelle Perrot.
Lucie Baud
Institut CGT d’histoire sociale du Rhône
Au début de 1905, à la suite de l’annonce d’une diminution de 30 % à l’usine Duplan, Lucie Baud fit adopter le principe d’une grève et, après l’échec des négociations, le travail fut suspendu le 6 mars : deux cents ouvrières luttèrent pendant près de quatre mois, et ne reprirent le chemin des ateliers que le 30 juin, sur une solution de compromis. Lucie Baud avait conduit le combat, organisé des soupes communistes et des collectes dans les usines et pris des contacts pour susciter la solidarité. Le 1er mai notamment, elle avait été un des orateurs du meeting à Grenoble, avec Eugène David et Louis Ferrier, aux côtés d’Alexandre Luquet, délégué de la CGT, pour expliquer le sens de la lutte. Elle avait été à la tête de tous les cortèges, très imposants et, en avril, houleux et marqués par de violents incidents. Elle fut la première victime de la répression patronale, et renvoyée en même temps que cent cinquante de ses compagnes.
Avec la plupart d’entre elles, Lucie Baud partit pour Voiron (Isère) et y arriva en pleine agitation revendicative. Elle participa à la grève générale du printemps 1906, qui s’acheva sur un succès durable et amena une amélioration des conditions du travail féminin dans toute la région soyeuse du Dauphiné.
En septembre 1906, elle tenta de mettre fin à ses jours en se tirant trois coups de revolver dans la tête. Malgré la gravité de ses blessures, ses jours ne furent pas en danger. Dans des lettres, elle expliqua ce geste par des soucis de famille, mais on ne peut pas s’empêcher de le rapprocher de la dépression qui suivit les grands moments d’intensité des grèves.
Le syndicat qu’elle avait créé à Vizille survécut à son départ et, jusqu’en 1914, s’opposa victorieusement à l’action patronale. En juin 1908, Lucie Baud raconta sa vie et ses combats dans un article du Mouvement socialiste, de Hubert Lagardelle, qui est un tableau précieux de la condition ouvrière féminine dans l’Isère au début du XXe siècle.
ŒUVRE : « Les tisseuses de soie dans la région de Vizille », Le Mouvement socialiste, 15 juin 1908, repris dans Le Mouvement social, octobre-décembre 1978, et dans le livre de Michelle Perrot, Mélancolie ouvrière, op. cit.
SOURCES et BIBLIOGRAPHIE : Arch. Dép. Isère, 52 M 76 et 166 M 9. — Madeleine Guilbert, Les Femmes et l’organisation syndicale avant 1914, Paris, 1966, p. 119, 306, 390 et 463. — Michelle Perrot, Mélancolie ouvrière ; Grasset, 2012.
Lucie Baud naît en 1870 dans la région de Grenoble. Pauvre, elle commence à travailler très tôt dans une filature de soie. Mais la jeune femme accepte de moins en moins le comportement de la direction envers les employées. Un jour, une ouvrière s’en prend au contremaître qui tentait – une nouvelle fois – de la violer. Les suites de l’affaire confortent Lucie dans l’idée qu’il faut défendre les droits du personnel.
Téléfilm historique – France – 2018 Durée : 1h35
Réalisé par : Gérard Mordillat
Acteurs : Virginie Ledoyen (Lucie Baud) Philippe Torreton (Auda) François Cluzet (Pierre) Marc Barbé (Duplan) François Morel (Emile Morel)
Lucie Baud, née Lucie Marie Martin, devient ouvrière tisseuse de soie à l’âge de 12 ans, dans une usine textile de Péage-de-Vizille, pas très loin de chez elle. Elle se marie à 21 ans, le 14 octobre 1891, avec Pierre Jean Baud, de vingt ans son aîné, garde-champêtre de Vizille. Trois enfants naissent : Alexandrine (1892-1959), Pierre Auguste (1897-1898) et Marguerite (1900-1922); Lucie Baud continue de travailler en usine.
Elle est veuve à 32 ans, avec deux enfants à charge, devant quitter son logement de fonction. Quatre mois après le décès de son mari, elle fonde en 1902 le Syndicat des ouvriers et ouvrières en soierie du canton de Vizille, dont elle devient secrétaire2. Ce syndicat tenta de s’opposer à la diminution des salaires due à la mécanisation des techniques de tissage de la soie.
En août 1904 elle est la seule femme à participer en tant que déléguée syndicale au 6e congrès national de l’industrie textile à Reims3. Sa présence est saluée mais on ne lui donne pas la parole.
En 1905 elle déclenche la grève à l’usine Duplan de Vizille; la grève s’étend à d’autres usines et dure 104 jours. Les tisseuses de soie protestaient notamment contre des cadences de travail de douze heures par jour. Les apprenties étaient au travail dès l’âge de douze ans. Les commerçants, d’abord hostiles à ce mouvement, ont ensuite soutenu les quelque 200 grévistes, notamment en les nourrissant.
Licenciée elle est contrainte à quitter la commune de Vizille, elle s’embauche à Voiron à 30 km de là. Elle joua à nouveau un rôle de premier plan dans la grève de 1906, enrôlant les ouvrières italiennes. Mais la grève dite du 1° mai est un échec et elle est à nouveau renvoyée. Découragée, elle fait, en septembre 1906, une tentative de suicide qui la défigure4.
Elle déménage à nouveau et s’installe à Tullins où elle meurt à l’âge de 43 ans, en 1913.
Son rôle syndical aurait été oublié sans son témoignage5 publié en 1908 dans la revue Le Mouvement socialiste6 d’Hubert Lagardelle, repris intégralement et présenté par Michelle Perrot dans Le Mouvement Social d’octobre-décembre 1978 (no 105).
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19/08/2018