Les Petites Baraques
- Les Petites Baraques
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- (Sept ans)
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- — « M’man ? Laiss’-moi voir les p’tit’s baraques
- dis,… arrêt’ toi M’man,… me tir’ pas !
- Tu m’ sahut’s, tu m’ fais mal au bras…
- Aïe, M’man ! Tu fous toujours des claques !
- Ben vrai, c’ qu’y a du populo !
- M’man ? y rigol’nt comm’ des baleines….
- Quoi c’est qu’y leur jacqu’t’ el’ cam’lot ?
- Pheu !… c’ que ça pue l’acétylène !
- M’man, les « bolhommes » ! M’man, les « pépées »,
- les « ciens d’ fer », les flingu’s, les « misiques »,
- les sabr’s, les vélos « mécaliques » !
- oh ! Moman, c’ que j’ suis égniaulé !
- C’ qu’y coût’ cher « l’ ceval » du milieu ?
- Ç’ui-là qu’ est pus grand qu’eune enseigne ?
- J’ vourais l’avoir, moi, nom de guieu !
- Aïe, M’man ! Tu fous toujours la beigne !
- Quiens,… ton baluchon qui s’ défait !
- Y te l’ont r’fusé chez ma « Tante » ?
- C’est p’t-êt’ pour ça qu’ t’es pas contente ?
- Oh ! va donc, Moman, qué qu’ ça fait !
- N’ t’occup’ pas si tu n’as pas d’ sous,
- c’est pas pour m’ach’ter que j’ t’arrête ;
- mais rien que d’ z’yeuter les joujoux,
- moi ça m’ fait du bien aux mirettes.
- Si l’ dâb rentr’ pas mûr et sans l’ rond,
- quiens, tu m’ paieras eun’ tite échelle,
- eune orange ou deux sous d’ marrons ;
- va M’man, ça f’ra la rue Michel !
- Oh ! là là, c’ que j’ suis fatigué !
- On l’est pas h’encore à Saint-Ouen ?
- Pus qu’on trotaill’, pir’ que c’est loin,
- Oh ! Moman, c’ que j’ suis fatigué !
- La neige entr’ dans mes godillots ;
- ça fait du tort à mes z’eng’lures ;
- j’ai beau êt’ un gas à la dure,
- j’ai comme un lingu’ dans les boïaux !
- Tu sais, l’ sal’ môm’ de l’épicier ?
- Y fait son crâneur, son borgeois ;
- l’aut’ nuit, l’a eu dans ses souïers
- eun’ tit’ balance et des vrais poids…
- n’avec eun’ bell’ petit’ bagnole,
- eun’ boît’ de troufions, un guignol ;
- c’est « l’ Pèr’ Noël », à c’ qu’y paraît ;
- pour voir, dis Moman, c’est-y vrai ?
- — « Vous, qu’y nous a d’mandé, les crapauds,
- ’spliquez-moi c’ que vous avez eu
- de la part du « Petit Jésus » ?
- — « Nous, qu’on y a balancé, la peau ! »
- Alorss, t’ sais pas c’ qu’y nous a dit,
- M’man ? Y nous a app’lés « plein-d’-poux » ;
- — « Le Pèr’ Noël, c’est sûr, pardi,
- va pas chez des purées comm’ vous ! »
- Vingt dieux ! Du coup, moi, mes frangines,
- tous dessus on y a cavalé :
- ah ! qu’est-c’ qu’on y a mis comm’ volée !
- Dame aussi ! Porquoi qu’y nous chine !
- Pis… on y a cassé ses affaires ;
- pis après, on s’a fait la paire ;
- ben, tu sais pas c’ qu’y nous a dit ?
- — « Tas d’ salauds, j’ vas l’ dire à mon père
- et j’ vous f’rai couper vot’ crédit ! »
- . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- Oh ! là, là, Moman ! Quoi qu’y t’ prend ?
- Marée ! C’est lui la « mauvais’ graine » !
- Aïe ! Oh ! Soupé ! Merd’ c’ que j’étrenne !
- Sûr, on voit ben qu’ c’est l’ Jour de l’An !
Jehan Rictus, … le Cœur populaire, Eugène Rey, libraire-éditeur, 1920
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14/08/2018