L’orage sur les rives d’un lac
Avez-vous jamais vu, vers la fin d’une lourde journée d’été, un orage se préparer sur les rives d’un lac ? Des nuages courent dans le ciel, que des éclairs sillonnent de flèches aiguës ou illuminent de nappes éclatantes ; le vent tord les arbres, dont les branches gémissent en s’entrechoquant, soulève l’eau en hautes vagues, et des mouettes volent en faisant resplendir leurs ailes blanches parmi des rayons très pâles qui filtrent d’entre les nuages… Mais un coup de vent vient du nord : sans qu’une goutte d’eau soit tombée, sans que le tonnerre ait grondé, le ciel s’éclaircit, l’eau redevient tranquille, et, comme les autres jours, le soleil se couche à l’horizon dans ses vapeurs sanglantes et dorées.
Des phénomènes semblables se passent souvent dans l’homme, — rapetissés par la petitesse du cadre : soudain, des symptômes de passion le secouent, ses sensations se multiplient ou se renforcent, une pensée dominante l’absorbe, — et puis, la moindre des circonstances le rappelle à lui-même, et, le cœur vidé, il reprend ses occupations ordinaires. Un drame sans violence s’est joué en lui, qui l’a peut-être remué jusque dans les profondeurs les plus intimes de son être, et dont pourtant il ne reste d’autre trace qu’une résignation plus passive à la monotonie de l’existence moyenne…
Edouard Rod, « Préface », in La Chute de Miss Topsy, Henry Kistemaeckers, 1882
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13/08/2018