Siebert / Porcherie volume 4
Huit secondes, nouvelle initialement parue dans la Revue Métèque numéro 2 (je ne suis pas certain du numéro, les collectionneurs corrigeront), est une sorte d’histoire d’amour mélancolique sans inceste, pédophilie ni massacre, donc une grande première pour moi.
J’ai déambulé et jeté un oeil aux gens et à mon ombre qui parfois s’étirait comme un Giacometti. À une terrasse j’ai commandé un demi, eu droit en plus à une coupelle de chips, toutes les tables étaient occupées et tout le monde parlait fort en profitant du soleil, j’ai savouré tout ça un moment, ça faisait du bien. Je ne regardais rien en particulier et j’écoutais sans y faire attention des bouts de conversations et peut-être que ça me donnait l’air d’un type en train de réfléchir à des choses importantes mais c’était tout le contraire, j’étais vide de toute pensée, de toute phrase même, il ne me restait plus qu’une poignée de mots, « tiroir », « valise », qui me rendaient triste, j’essayais de les éviter, et mes émotions étaient réduites à rien, des petits bouts de peau se détachant tout seuls.
Quand je suis revenu à l’appart il faisait nuit, j’étais bourré et elle n’était plus là, la valise non plus. Le tiroir était refermé avec sans doute le cendrier dedans. Au lieu d’aller vérifier je suis descendu à l’épicerie m’acheter une bouteille de vodka et une brique de jus d’orange. C’est à mon retour que j’ai vu la lettre. Elle était posée sur la table, trois feuilles couvertes de son écriture, je l’ai froissée sans lalire et jetée à la poubelle.
Killing Hanouna est une fantaisie méchante et gore initialement parue dans Violences numéro 4 (là non plus, pas certain du numéro, Alzheimer me guette) et qui a eu son petit succès sur les réseaux sociaux et sur scène. Pour une fois que je fais marrer les gens, je vais pas bouder mon plaisir.
Les samedis suivants, de neuf heures à midi, si vous m’aviez cherché, vous m’auriez trouvé dans ma bagnole, garé en face du cabinet, l’air de rien, en train de lire le journal. Il ne m’a pas fallu guetter six mois pour apercevoir Hanouna entrer dans le cabinet avec sous le bras une caisse de transport pour chat. C’était mon troisième samedi dans la bagnole, j’avais potassé ses horaires, je pouvais pas me tromper. Il était sans son garde du corps, le fameux tocard dont tous les journaux se demandent s’il est armé ou pas – et tant mieux, j’avais pas envie de vérifier. Un quart d’heure plus tard il est ressorti du cabinet, n’avait plus sa caisse sous le bras et moi j’étais garé juste devant l’entrée. Ça m’a même pas pris trente secondes, de me précipiter sur lui, de lui chloroformer la gueule et de l’embarquer, c’était beau et simple comme dans un film, il a pas dû comprendre ce qui lui arrivait.
Lettre d’amour à ma fille est un texte violent et mélancolique initialement paru dans Violences numéro 1 (ah, celui-là j’en suis sûr, ouf !) et qui se situe dans la lignée de mes récits durs et tristes.
Tu connais mal ma vie, tu connais mal la vie en général. À huit ans tu es trop petite pour avoir une idée du cauchemar permanent qu’elle représente pour moi, mais dans cette existence affreuse qui me dévore vivant, comme plongé depuis l’âge adulte dans une piscine peuplée de piranhas à l’infinie patience, tu es mon seul moment de paix, mon unique bonheur.
En général je reste ainsi un quart d’heure, je ne pense à rien et c’est merveilleux, comme si tu me donnais de l’énergie, comme si auprès de toi je me rechargeais.
Ensuite je vais dans ma chambre à moi où généralement ta mère dort déjà, sinon c’est qu’elle regarde la télé et alors il faut que nous parlions un petit moment. Elle me raconte sa journée. Elles défilent toutes à l’identique, entièrement construites d’une routine solide comme du béton, indestructible, pourtant ta mère a toujours de quoi dire, jour après jour, année après année, anecdote amusante, détail, motif minuscule de joie ou d’agacement. Moi je ne raconte rien, pour quoi faire ? À quoi ça sert ?
Papi jute dans la sauce aux câpres est un long texte porno-culinaire à la fois drôle et atroce, édité par La Belle Epoque. Classique absolu pour certains de mes lecteurs et d’une débilité sans nom pour certains autres, il a été sélectionné au prix Sade 2015, ce qui a valu à Emmanuel Pierrat, son président, un quasi fou-rire quand il a été question d’indiquer les titres des récits finalistes devant le public du Silencio, où se tenait la remise.
La première fois que j’ai vu grand-père se branler, c’était un vendredi soir. Le lendemain serait mon quatorzième anniversaire, que nous fêterions en famille autour de mon plat préféré, de la langue de boeuf sauce piquante. La fête avec les copains serait pour le samedi suivant.
J’avais été réveillé en pleine nuit par l’envie d’aller aux toilettes. En passant devant la cuisine j’ai aperçu de la lumière et entendu marmonner grand-père. Au lieu d’ouvrir la porte et lui demander si tout allait bien (grand-père, ancien résistant, avait survécu à Auschwitz et il lui arrivait encore de faire d’horribles cauchemars, il avait parfois besoin de réconfort, nous l’aimions tous beaucoup et depuis qu’il était veuf il ne se passait pas une semaine sans que nous l’appelions au téléphone), je me suis arrêté et j’ai collé mon oreille à la porte. C’était exactement comme s’il parlait à quelqu’un. Sa voix était agressive, bizarre.
J’ai entrebâillé la porte, à la fois inquiet et curieux.
Grand-père était debout devant le Frigo ouvert, dont seule la veilleuse éclairait la pièce, son pyjama aux chevilles. Dans une main il tenait le plat de béchamel où les câpres étaient figés et dans l’autre son sexe à moitié bandé qu’il trempait dans l’épaisse sauce tout en se masturbant.
Psoriasis est un de mes plus vieux textes, avec Batman (qui figure au sommaire de Porcherie 2). Je l’ai écrit en 2009 ou 2010 et suis bien en peine de me souvenir où il a été publié pour la première fois. En tout cas, c’est encore une histoire d’amour contrariée (enfin, vraiment très contrariée), entre un type souffrant de psoriasis (et de problème psychologiques) et une femme victime de violences conjugales, écrite dans ma manière de l’époque, c’est-à-dire très inspirée de Manchette.
Le quinze juin à vingt-trois heures Raoul Frissard, le visage hagard et dégoulinant de Côtes-du-Rhône, lança le poing en gueulant « putain de toi ». Claire Frissard, le verre vide encore à la main, ne vit rien venir et le reçut en pleine gueule. Elle lâcha le verre, bascula en arrière avec sa chaise, ses doigts se refermèrent sur la toile cirée qui servait de nappe et l’entraînèrent dans la chute. Elle se cassa le crâne contre le coin du meuble à vaisselle, l’ébranla, il y eut un bruit d’assiettes qui s’entrechoquent, tout ce que contenait la table, emporté par la nappe, tomba et se brisa. Le vin, la nourriture, le sang se mélangèrent. Elle resta sans connaissance. Son mari poussa un cri. Il se rua sur le téléphone et composa le 18. Au PARM de garde il expliqua que sa femme venait d’avoir un accident, s’empêtra dans ses phrases, attira l’attention de Vandrargues qui prit sa voiture et se rendit sur les lieux. Il arriva avant le SAMU, cela ne s’était jamais produit. Il observa pendant une minute. Une émotion contracta son visage grêlé de croûtes. Il sourit, découvrant ses dents jaunes. D’un coup d’incisives il prit à sa lèvre inférieure un bout de peau, le mâchonna.
Deux mille euros, enfin, est un très court texte, tiré d’un poème beaucoup plus ancien et inspiré par une série de photos qu’il illustre dans Bad to the bone numéro 11, relevant de ce genre que j’aime pratiquer et que je pourrais nommer « roman noir condensé » : là-dedans, il y a assez de trucs pour tirer un polar saignant et nerveux de longueur moyenne ; mais c’est une nouvelle d’une poignée de paragraphes seulement.
Toute la famille, ils sont dans la terre. Porcs, poulets, betteraves. Que des merdes gavées d’hormones et de pesticides, moi je m’en fous, à part Mac Do, j’aime rien. Deux cent euros c’est pas mal, alors j’enfile des bottes et je rejoins l’oncle sur le tracteur.
En chemin il m’explique.
— Les Maffre, ces enculés, ils vont plus faire les malins, tu entends ? Ils vont plus faire les malins du tout.
Il pue l’alcool, l’oncle. D’ailleurs, il récupère entre ses jambes un litron de rouge et en boit une bonne rasade, puis me passe la bouteille. Je suis pas supposé boire de l’alcool, moi, mais aujourd’hui ça a l’air spécial alors j’en avale une longue gorgée, ça me retourne le ventre.
Tout ça est sur le point de sortir et coûte 5 euros (+ 2 euros de frais de port) ; vous pouvez le commander auprès de l’éditeur (lescrocselectriques.com), de libraires complaisants ou bien directement en m’envoyant les sous, si vous voulez une dédicace (et si vous voulez commander aussi des exemplaires des volumes précédents, contactez-moi en réponse à cette lettre).
Paypal :
paypal.com/cgi-bin/webscr?cmd=_s-xclick&hosted_button_id=FLEKUTAWTUB4J
Chèque :
A envoyer à Christophe Siébert,
5 rue Sainte-Rose,
63000 Clermont-Ferrand
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26/07/2018