Descaves et Huysmans
» Jeune encore, il avait été admis dans l’intimité de l’auteur des Sœurs Vatard, il s’était pris pour lui d’une affection filiale et il l’assista avec quelques amis jusqu’à ses derniers moments. Huysmans avait deviné la fidélité de ses sentiments et l’institua exécuteur testamentaire avec des instructions précises : ne laisser paraître aucun inédit susceptible de près ou de loin de porter atteinte à sa mémoire.
Descaves accepta la charge qui lui était conférée et l’exécuta avec une rigueur qui lui attira souvent des critiques dont il était fier. Lorsqu’il entendait parler d’un manuscrit inconnu, fut-ce une simple lettre, il fronçait les sourcils, sa moustache hérissée devenait frémissante et il proférait des menaces. Il menaçait, de tout : de l’huissier, du tribunal, de lui-même, du mépris public, que sais- je encore. Et il triomphait parce qu’on le sentait agité d’une fureur sacrée, que personne n’osait braver. Il se traitait lui-même d’ours, mais n’affectait une grande rudesse que pour lutter contre ses propres attendrissements. Pour lui-même il était plein de scrupules. Lorsqu’il voulut écrire un ouvrage sur ses souvenirs d’Huysmans, il vint chez moi à Ligugé et je fus le témoin de ses émouvants combats. Souvent, voulant utiliser une pièce, il hésitait, se demandant s’il avait bien le droit de la reproduire. Il s’interrogeait longuement. Lorsqu’il ne pouvait sortir du doute, il s’adressait à son vieil ami l’abbé Mugnier et lui confiait son angoisse.
Honnête homme avant tout, il a écrit un jour : je puis avoir à regretter beaucoup d’erreurs. Je n’ai à me reprocher aucune vilénie. Peut-on ne pas disparaître avec sérénité lorsqu’on arrive à cette constatation au marnent de mourir ? Il songeait à l’avenir et s’effrayait de la manière dont serait respectée, après lui, la volonté de l’ami qui l’avait chargé de protéger sa mémoire. C’est dans cet esprit qu’il fonda notre association à laquelle il a transmis le devoir moral de lui succéder dans sa pieuse mission. Souvent il nous a entretenus de ses intentions. Aucune de ses recommandations ne sera oubliée. Sa pensée vivante demeurera parmi nous et nous éclairera pour perpétuer les désirs du grand écrivain qui nous a fait nous assembler dans une commune admiration ».
Maurice Garçon, Bulletin de la Société Huysmans, numéro 21, 1949 .
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13/07/2018