Les goûts de Thierry Gillyboeuf
À l’occasion du 36e Marché de la poésie de Paris, où le Québec sera l’invité d’honneur et qui se tiendra à la place Saint-Sulpice, du 6 au 10 juin 2018, Thierry Gillyboeuf, écrivain, traducteur et fin connaisseur de la poésie, revient sur le livre d’Éric Poindron, Comme un Bal de fantômes, éditions Castor Astral (collection « Curiosa & Cætera), qui a été élu Meilleur Recueil de poésie 2017 par La Cause Littéraire.
À en croire l’écrivain Pierre Michon, il y a dans ce livre « un charme très fort et je ne sais pas à quoi il tient en premier : la simplicité ? la rapidité apparente d’exécution ? la spontanéité savante ? Il me ravit. »
Par Thierry Gillyboeuf
On savait Éric Poindron ghosts’ writer, écrivain à fantômes – et non écrivain-fantôme « qui écrivait / à grand bruit / et à sa place / en secret / un livre inspiré » – hantant dans ses livres ceux qui peuplent son imaginaire érudit et fécond. On le découvre amateur de lépidoptères, comme certains de ses pairs, le plus célèbre étant Nabokov.
Mais les papillons d’Éric Poindron ne sont pas qu’insectes légers et chatoyants, ils sont autant d’émanations, de prolongements de ces fantômes que traque amoureusement ce curieux noctambule doublé d’un noctambule curieux. Il les capture, les épingle pour les libérer dans un bal virevoltant dont il orchestre la partition. Car Éric Poindron aime à papillonner : « la vie est une quête de papillons ». Il ne se pose jamais, il fait son miel de tout. Et tout ce qu’il prend dans ses filets est remis en liberté.
On est assuré de n’être jamais seul dans un livre d’Éric Poindron, et d’être toujours en bonne compagnie. Il convoque ses mânes, ses maîtres, ses fantômes, ses amis, ses objets. En un long poème liminaire, il en inventorie certains – et d’ailleurs, il faudrait presque ne plus dire un inventaire à la Prévert, mais un inventaire à la Poindron ! Et cette société hétéroclite qui gravite autour de ce singulier entomologiste du merveilleux, de l’onirique, compose en retour l’autoportrait de l’auteur en trafiquant d’utopie.
Dis-moi qui tu lis, dis-moi qui tu aimes… Comment mieux connaître un homme que par ses amis et ses lectures : « Des poètes / Et des camarades citoyens / Tout plein de poètes // Des fantômes bienveillants / Beaucoup de fantômes // Pour se souvenir que les choses qui existent n’existent pas pour rien ». Il y a chez lui du Villon et du Hardellet, du Nerval et du Cendrars, du Jarry et du Delteil.
Mais la truculence, la verve n’interdit pas la fragilité, la mélancolie, les failles. Et derrière les déclarations, les professions tonitruantes et généreuses, sont nichées de merveilleuses gemmes, comme ce poème à la mémoire de son père ou bien celui où Éric Poindron, en des accents dignes d’un Verlaine, d’un Levet ou d’un Follain, évoque son « enfance presbytère » :
La brume s’accroche à la forêt
La nuit chante la nuit
La nuit chuchote et chahute
L’herbe est noire et le presbytère allemand
C’est ma porte de secours
L’ombre tranquille passe et repasse à la fenêtre
Ce sont mes souvenirs tourbillonnants
Je revois le presbytère de mon enfance
Derrière les rodomontades bonhommes, les envolées où il donne toute la mesure de son entraînant dé-lyre, Éric Poindron sait endiguer cette vitalité débordante qui fait de lui un ogre d’érudition, pour, d’une voix feutrée, étranglée, distiller quelques textes à vif, comme on dit d’une blessure, qui donnent à ce recueil un équilibre, une justesse de ton.
Éric Poindron a su renouer avec la noble tradition de la poésie populaire, celle qui parle à tous comme à chacun. Il nous invite à le suivre dans son périple – « les petits voyages n’existent pas », nous prévient-il – dans « les coulisses du possible ».
Le poète n’a cessé
De voyager
Dans les nuits
Constellés
Blanches et noires
Pour
Vérifier
Ses rêves
Confrérie, fraternité, la poésie d’Éric Poindron est à hauteur d’homme(s).
Thierry Gillyboeuf est écrivain et traducteur. Fervent lecteur de Poésie, il est, entre autres, spécialiste de Remy de Gourmont, de Henry David Thoreau et Georges Perros.
Éric Poindron est aussi l’auteur de deux livres récents L’Étrange questionnaire… ou le livre qu’il vous faudra en partie écrire. Ou dessiner, éditions Castor Astral (collection « Curiosa & Cætera). Un livre « fantasque, érudit, malicieux, inclassable», selon l’écrivain Jérôme Leroy et L’Ombre de la girafe, un Voyage au long cou, éditions Bleu Autour, dans la nouvelle collection « Céladon ».
Laisser un commentaire
9/06/2018