Aux fleurs arctiques
Le cycle sur les kaijū continue avec la projection de Shin Godzilla lundi 30 avril 2018 à 19h.
Shin Godzilla, Hideaki Anno et Shinji Higuchi, 2016, vostfr, 2h
Pourquoi regarder ensemble des films de gros monstres, ou kaîju ega, du nom de ces films de genre qui, après King Kong en 1933, deviendront à partir du premier Godzilla (1954) une spécialité japonaise ? Pour le plaisir, d’abord, celui des effets spéciaux, du carton pâte et des maquettes, pour la magie du gigantisme. Et puis parce que ces gros monstres viennent des abysses ou du plus profond de la terre pour renvoyer à l’humanité l’image incarnée de la crainte que lui inspire son propre orgueil, sa propre démesure. Les ravages des Kaïju sont la réalisation fatale de la nécessité de détruire un monde qui sans eux n’en finirait pas de perdurer, et finit grâce à eux par s’écrouler dans une apocalypse cathartique.
Kaijū (que l’on prononcera kaizyû) signifie littéralement « bête étrange » ou « bête mystérieuse ». Il s’agit donc d’un terme japonais pour désigner des créatures étranges, particulièrement les monstres géants des films japonais appelés kaijū eiga. La notion japonaise de monstre étant différente de celle des européens, un kaijū est plutôt vu comme une force de la nature devant laquelle l’homme est impuissant et non pas comme une force du mal. Le kaijū n’est pas issu de l’univers religieux, ce n’est pas un démon et il n’est pas nécessairement mauvais ni bon.
Les kaijū et autres monstres géants peuvent être compris au sens large : de Godzilla à King-Kong en passant par Mothra, King Ghidorah, Gamera, Pulgasari, ou encore pour aller plus loin Moby Dick, les Anciens de Lovecraft, le monstre marin de Phèdre ou le Béhémoth et le Léviathan bibliques. Avec les kaijū, nous pouvons constater l’incroyable balancier entre divertissement et politique, analyser les allers et retours permanents entre « culture populaire » japonaise de la seconde moitié du XXe siècle et réappropriation et détournement de l’imaginaire collectif et de la culture post-traumatique des attaques nucléaires d’Hiroshima et Nagasaki, se croisant pêle-mêle avec des volontés de réalisateurs ou de producteurs d’exprimer une critique avec plus ou moins de sincérité et de réussite. Beaucoup de films de kaijū ont été des films d’exploitation assez grotesques, ce qui n’enlève rien à leur charme de série Z et au plaisir du connaisseur. De la série Z à budget fracassé au blockbuster léché de studio, il n’est pas difficile non plus de voir les kaijū eiga comme des odes jouissives à la sauvagerie, comme des critiques à la fois sérieuses et grotesques de la civilisation et de la normalité, des critiques pas moins destructrices que celles d’un anarchiste qui fut lui-même décrit en son temps comme un monstre géant et destructeur déferlant sur l’Europe qui tenait son Godzilla légendaire en la figure de Bakounine. Et si les kaijū n’étaient autres que des métaphores oniriques d’un désir de destruction, de révolution ?
Lorsque Bakounine, Déjacque et Proudhon invoquaient Satan comme figure de la révolte fondamentale contre ce monde, c’était déjà l’idée du kaijū qui frémissait d’exister. Décrit par le révolutionnaire russe comme « le génie émancipateur de l’humanité » et « la seule figure vraiment sympathique et intelligente de la Bible », Satan est identifié à la révolte qu’il symbolise. Nous voyons ici en Godzilla et ses acolytes mastodontesques un souffle symbolique similaire. Et d’ailleurs Tokyo après Godzilla n’est pas si loin des ruines de 1871 à Paris après le passage incendiaire des communards. Peut être bien, donc, que si King-Kong, Mothra et Godzilla ne sont pas effrayés par les ruines, c’est qu’ils portent dans leur cœur un monde nouveau.
Le reste du programme de mars à mai 2018 :
https://lesfleursarctiques.noblogs.org/?p=643
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30/04/2018