La tête de veau
Sur le plat large que décore
Un cercle de persil nouveau,
Toute chaude et fumante encore,
Gît la triste tête de veau.
Elle gît, paupières fermées,
Blanche sur son oreiller vert,
Et de minuscules fumées
S’échappent du crâne entr’ouvert
Un réseau de petites veines
Qui se croise à son front pâli
Y sème de pâles verveines
Que la lumière encor pâlit.
La langue peu à peu gonflée,
En son bain de tiède vapeur,
Semble bleuâtre et granulée,
Le fin menton d’un vieil acteur.
Le dessus qui bâille révèle,
Sous la vapeur en fumée roux,
Les grains de riz de la cervelle
Et les cavités des os mous.
Deux roses, formant une aigrette
Sur l’ancre double des naseaux,
Semblent le panache ou la crête
De quelques fabuleux oiseaux.
… Le tête repose, lasse,
Sous les hauts flambeaux allumés,
Tandis qu’un rêve naît et passe
Devant ses yeux lourds et fermés.
Songes des natales prairies
Où folâtrent les jeunes veaux,
Où l’on entend les cris nouveaux
Des agneaux dans les bergeries.
Sa mère, l’ayant à son flanc,
Tournait un peu sa tête brune
En effleurant son ventre blanc
De ses cornes en demi-lune.
Il était roux et noir, portant
Au dos une tache jumelle
Et brusquait sa mère, en tétant,
De coups goulus dans la mamelle.
Au fond du pré les joncs pliés
Sifflaient au bord d’une rivière,
Des étincelles de lumière
S’accrochaient dans les peupliers.
… Sur le plat large que décore
Un cercle de persil nouveau,
Toute chaude et fumante encore,
Gît la triste tête de veau.
Gabriel Nigond.
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20/04/2018