Laissez bronzer les cadavres : sortie en Belgique
Il est 11 heures du matin. L’atmosphère est étouffante, l’ambiance solaire. Nous sommes au bord de la Méditerranée, en plein été. Mer d’azur, soleil de plomb… et 250 kilos d’or volés par Rhino et sa bande, qui ont trouvé la planque idéale : un village abandonné, coupé de tout, investi par une artiste et son alter ego masculin, tous deux en manque d’inspiration. Hélas, quelques invités surprises vont contrecarrer leur plan. Ce lieu paradisiaque, autrefois théâtre d’orgies et de happenings sauvages, va se transformer quelques heures plus tard en un véritable champ de bataille impitoyable et hallucinatoire.
Après « Amer » et « L’étrange couleur des larmes de ton corps », le troisième long métrage d’Hélène Cattet et Bruno Forzani (H&B) concrétise un vieux fantasme du couple : l’adaptation du roman éponyme (Gallimard, 1971) écrit par deux auteurs à la fibre anarchiste, Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid. Ce polar gorgé d’influences cinématographiques, dont la particularité est de raconter son histoire en temps réel, constituait une matière rêvée pour ces deux cinéastes méticuleux, adeptes de cinéma de genre et de délires bricolés en pellicule. On n’est pas déçus : chaque photogramme de « Laissez bronzer les cadavres » est un régal. Tourné en S16mm, c’est un festin d’idées de cinéma et de figures de style oscillant entre western-spaghetti et giallo, où chaque élément du décor (un village abandonné dans l’aridité du bord de mer corse), le moindre mouvement de pupille des personnages (notamment Elina Löwensohn, ex-égérie des films d’Hal Hartley, Stéphane Ferrara, ancien boxeur qui a joué dans « Détective » de Godard et dans plusieurs polars urbains aux côtés de Jean-Paul Belmondo, et Bernie Bonvoisin, chanteur du groupe de hard rock Trust, mais aussi acteur et réalisateur…), devient le détail onirique d’un kaléidoscope sous acide. À voir dans une salle de cinéma, absolument !
Au cinéma Nova à Bruxelles :
6€ / 4€
C’était l’été 1970. Le soleil cognait fort sur ce hameau provençal paumé sur les hauteurs des Cévennes, quelque part du côté de Pont-Saint-Esprit, là où vingt ans plus tôt, une partie de la population, frappée de folie furieuse rendue folle à cause du LSD balancé par la CIA ou de l’ergot de seigle, s’était entretuée.
Les deux jeunes types tapaient dehors, en pleine chaleur, les machines à écrire Hermès posées sur une grande table en bois. Il n’y avait pas d’eau courante, il fallait aller chercher la flotte à un puits en contrebas : siffler quelques bières bouteille entre deux Gauloises était plus simple, et plus stimulant.
Ils avaient tous les deux la vingtaine, et ils avaient un plan.
Ils allaient conquérir le monde avec leurs livres. Celui qu’ils étaient en train de taper, « Les cadavres bronzent avec indifférence », débordait d’énergie, parfois désordonnée, parfois millimétrée. Ce serait un Série Noire, et un bon. Avec deux ou trois autres romans, ce serait aussi, sans que nul ne l’ait vu venir, le point de départ de la grande saison du néo-polar français.
Quarante-cinq ans après, le film d’Hélène Cattet et Bruno Forzani a la même énergie démente, la même précision maniaque, le même débordement d’idées foutraque et jubilatoire.
Que ce duo détonnant vienne appliquer son style post-moderne si particulier, visible dès leurs débuts dans leurs courts-métrages autant que dans « Amer » ou « L’étrange couleur… », à ce roman écrit par Manchette et Bastid à la grande époque du western européen, c’était une belle perspective, franchement excitante. Car les « Cadavres », c’est avant tout un western transposé dans le cadre du polar, une histoire de bandits réfugiés dans un relais de poste qui prennent en otage les voyageurs de la diligence et luttent contre un courageux Marshall. Disons, un bon petit Budd Boetticher interprété par Randolph Scott, ou un bis italien.
Cattet & Forzani, passionnés du cinéma de genre transalpin, pouvaient trouver dans ce récit une source d’inspiration à la mesure de leur passion, de leurs références et de leur audace.
S’il m’a tant fait plaisir de les voir s’attaquer à ce Manchette-Bastid, c’est aussi parce que les adaptations précédentes des romans de mon père ont été banalisées et traitées sur un mode conventionnel, comme le tout-venant des films policiers d’hier et d’aujourd’hui. À l’opposé, la grande originalité de l’écriture cinématographique de H&B se joue des conventions et apporte du coup un résultat sensoriel inédit.
Enfin, mon père lui-même fut toujours un franc-tireur, une anomalie dans le paysage littéraire et cinématographique francophone. Que lui souhaiter de plus que la survie de ses écrits grâce à l’envie qu’il peut susciter auprès de brillants jeunes cinéastes ?
Doug Headline
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10/01/2018