Du discours érotique et pornographique dans le roman d’Afrique francophone.
Vers une « évolution » des mentalités ?
Dans l’imaginaire collectif, et en matière de sexualité, l’Afrique (semi-urbaine et traditionnelle) demeure, dans ses représentations et son imaginaire, un continent de pudeur. Elle passe pour un espace culturel où les « choses » du sexe ne se nomment pas (Beyala, 2003), où les pratiques ne seraient pas soumises à la franchise et à la liberté, toutes deux caractéristiques des mœurs sexuelles occidentales. À l’opposé de la désinhibition voire de la révolution sexuelle du monde occidental des années 70, la règle tacite en Afrique est une exhortation à l’inhibition, à la réserve. Alors que les Africains pratiqueraient la décence, la discrétion, si ce n’est l’ascétisme, les Occidentaux seraient – à la faveur d’une tradition de littérature libertine remontant au Moyen-Âge avec notamment Louise Labé et, plus tard, la philosophie du corps de Nietzsche, les utopies de Charles Fourier, les théories sexuelles de Sigmund Freud, les mouvements de contre-culture de divers ordres – les adeptes de l’idéologie hédoniste où le corps est un objet de consommation au même titre que n’importe quel produit.
Si, par exemple, les premiers textes de fiction de la partie francophone de l’Afrique subsaharienne, en abordant la sexualité, se sont distingués par une approche pudibonde et timorée, avec la nouvelle génération, l’heure est à l’ouverture (Bessora, Mabanckou, Tchak, Beyala, Kagni Alem, Couao Zotti, Miano et bien d’autres). En effet, Daniel Delas observe que l’implicite est le paradigme privilégié par les écritures de l’amour ou du sexe chez les premiers écrivains (Mission terminée (1957) de Mongo Beti, Le Devoir de violence (1968) de Yambo Ouologem, Les Soleils des Indépendances (1968) d’Ahmadou Kourouma, etc.). Cependant, depuis la deuxième moitié des années 1970 (par exemple La vie et demie, 1979, de Sony Labou Tansi), plus encore dès le milieu des années 1980, l’on est passé à une description explicite des relations amoureuses et sexuelles, avec des textes de plus en plus crus, violents, brutaux. De moins en moins de textes africains francophones contemporains font l’économie du motif sexuel. Les critiques parlent alors de littérature carnavalesque, transgressive, érotico-égotiste, de « romanciers [qui usent] d’images et de thématiques marquées par la sexualité » (Joubert 2003), d’une « écriture crypto-sexuelle » (Kestelot 2007), d’une tendance à la « pornographisation » (Dumas 2012) dans les littératures africaines francophones. Manifestement, tout cela rompt avec l’orientation didactique, politique, engagée des aînés, « le « militantisme nègre » prôné par le courant de la négritude [où] un écrivain africain devait forcément exalter les civilisations noires, parler au nom de la communauté, en général contre l’Occident, le colonialisme et le néocolonialisme » (Mabanckou 2016), ou encore la vague des pourfendeurs des dictatures postcoloniales.
Au-delà de la panique morale telle qu’on le constate, en général, à la réception critique de ces textes à l’érotisme en ré-majeur, c’est-à-dire dont la chair est tranchée/narrée dans le vif et l’impudeur, comment comprendre cette nouvelle donne thématico-littéraire, ces nouvelles tendances ascendantes de l’érotisme et de la pornographie des romanciers de l’Afrique francophone ? Est-ce une exploration/extériorisation des fantasmagories érotiques des auteurs ? Faut-il y (perce)-voir un discours de provocation mercantiliste ou de transgression et de remise en cause d’une certaine hypocrisie, d’un type de société ? Ou alors s’agit-il d’une transposition, au sein de l’espace romanesque, de l’évolution des mentalités africaines sur le plan de l’érotisme ? Au regard des mutations en cours dans les sociétés africaines, n’est-ce pas une représentation (discursive, romanesque et romantique) de l’être de désir de la femme ou de l’homme africains ? L’ambition de l’appel à contributions est de répondre à ce questionnement en explorant les axes thématiques suivants, lesquels ne sont évidemment pas exhaustifs :
– l’amour : analyse du vécu et de l’état amoureux, l’approche, la conversation amoureuse. En plus de la tendresse, de l’affection, du manque, de l’absence, de la présence, y a-t-il un processus amoureux, un art de la séduction qui est suivi ?
– la rencontre ou les plans-culs (Jean-François Bayart, 2014) : regard porté sur la prostitution, les unions libres et éphémères, les passades, les aventures, les amours ludiques, sans enjeu ou sans lendemain.
– le corps (d’amour) ou le corps extrême (Patrick Baudry, 1991) : en plus d’être l’objet du désir, le corps incarne d’autres réalités. Comment le corps est-il traité, envisagé, soigné ?
– les orientations sexuelles : en Afrique en général, en dehors de l’hétérosexualité entre adultes, les autres formes de sexualité (l’homosexualité en l’occurrence, la pédophilie, etc.) sont criminalisées. Qu’en est-il chez les écrivains contemporains ?
– le vêtement érotique et la nudité : Le vêtement a un lien étroit avec la sexualité. Voie de socialisation, il est un indicateur du poids qu’exerce la société sur l’individu et son corps ou de la liberté de ce dernier par rapport à ce corps. Les sociétés qui contrôlent la sexualité de leurs citoyens fustigent toutes formes de nudité. Barthes, dans Système de la mode (1967), l’assimile à une pratique sexuelle du fait qu’elle intègre le paramètre vestimentaire.
– la mise en mots du sexe : le sexe à maxima sous la plume des romanciers de l’Afrique francophone se caractérise par une remarquable inventivité du signifié. Ils exploitent ainsi la nature affective, corporelle, phallique, libidinale et sexuelle des mots. Il est question dans cet axe d’étudier les mots, les glissements de sens, les néologies, les connotations, les métaphores ou les images au moyen desquels s’exprime la sexualité chez les auteurs.
– le désir, le plaisir et la jouissance : quelles formes expressives matérialisent dans le corps du texte le plaisir, le désir ou la jouissance ? Quels sont les procédés auxquels l’écriture fait recours pour inscrire en son sein les instants de jouissance, la volupté ? Nous pourrons aussi aborder le plaisir, le désir et la jouissance comme thèmes ou un état propre à une mentalité ou un idéal de vie.
– la figuration des nuits d’amour : la nuit représente le lieu de tous les fantasmes et de toutes les tentations. La tradition chrétienne occidentale censure d’ailleurs la nuit qu’elle couple à l’amour, les deux étant source d’intempérance. Que connote la nuit dans l’imaginaire amoureux des Africains et qui serait repris par les écrivains ?
– le lit et autres lieux d’amour : au-delà du lit principalement associé au repos et à l’amour, quels autres lieux accueillent les ébats amoureux ?
– utopie ou idéologie : dans Le Monde du sexe (1968), Henry Miller affirme que le sexe est l’aube du monde, reconnaissant par-là l’influence de la sexualité sur l’organisation sociale. Quelles sont les préoccupations érotico-sociales, politiques, économiques ou symboliques qui en appellent à une transformation de la société, la sexualité interpellant le système de valeurs de toutes les civilisations ?
– etc.
Les résumés des contributions, d’une longueur de 500 mots maximum, accompagnés de cinq mots clés sont à envoyer au plus tard le 30 septembre 2017 aux adresses suivantes : floraamabiamina@yahoo.fr et bernardbienvenu_n@yahoo.fr ou bencoeurblanc@gmail.com. Les auteurs sont priés de préciser leur adresse e-mail ainsi que leur institution d’attache.
Calendrier du projet :
- 30 septembre 2017 : date butoir de réception des résumés de contribution ;
- 30 octobre 2017 : notification aux auteurs avec consignes de rédaction ;
- 30 janvier 2018 : renvoi des articles entièrement rédigés ;
- 30 mars 2018 : retour des articles aux contributeurs pour d’éventuelles corrections ;
- 15 avril 2018 : renvoi des articles définitifs ;
- novembre 2018 : date probable de publication de l’ouvrage.
Coordonnateurs scientifiques : Flora Amabiamina et Bernard Bienvenu Nankeu
Comité scientifique :
Anthony Glioner, Université de Sherbrooke
Pierre Fandio, Université de Buea
Michel Erman, Université de Bourgogne
Jean-Michel Devesa, Université de Limoges
François Guiyoba, Université de Yaoundé
Yves-Abel Feze, Université de Dschang
Pangop Kameni Alain Cyr, Université de Dschang
Zinelabidine Benaïssa, Université de Manouba
Jean-Jacques Rousseau Tandia, Université de Dschang
Jean-Claude Abada Medjo, Université de Maroua
Seck Aliou, Université Cheikh Anta Diop
Comité de lecture :
Voukeng Ngnintedem Guilioh Merlain, Université de Maroua
Kamki Alain Poaire, Université d’Ottawa-Canada
Mountap Mbeme Pemi Njoya Yaya, Université de Maroua
Njimeni Jiotang Clebert Agenor, Université de Maroua
Maurice Mbah, Université de Dschang
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22/09/2017