Noir Puma XIII
La treizième dépêche du Noir Puma est sortie avec au sommaire Anne Smith, douze salopards, l’odyssée d’un cycliste solitaire, un communiqué qui sent la pisse des insurgés du Chiapas, un nouvel extrait de notre texte dédié au travail d’Alain Galan (publié dans le Noir puma papier hélas épuisé), et un texte d’Aurélien Lémant que nous reproduisons ici à propos de Lettres à sa fille de Calamity Jane par Anna d’Annunzio (cf Amer, revue finissante #6) :
« Elle aussi met des heures à arriver, Anna D’annunzio. »
So long calamity, so long Noir Puma, so long road…
Manifeste : Aurélien Lemant à propos de Lettre À Sa Fille, de Calamity Jane et de Noir Puma.
La Chatte et le couteau
Maintenant qu’on y pense, les cow-boys, on les voit toujours de dos.
Le pouce qui démange, Parkinson des ligaments, l’ongle drague la ceinture, compte les balles, gratte la crosse, dégaine trop tard ou fait pan bien comme il doit. Assis en cercle autour du feu ou à la table du joueur buveur, des as sous le chapeau et de la merde dans la tête. Puis surtout, le santon qui prend trois heures à disparaître à l’horizon, Clint Eastwood ou Lucky Luke, cheval à la main, comme si le soleil ne brûlait que pour lui, projo oublié au fin fond de la vallée. D’autres se sont faits flinguer en plein jour d’avoir cru à cette pauvre fable.
Anna d’Annunzio n’est pas un cow-boy de cinéma. C’est de face qu’elle agrippe le monde, par devant, sans tricher, et le canasson qu’elle tire sans effort descend de la colline avec elle, vers l’auditoire patient enroulé dans des couvertures de fortune. Elle aussi met des heures à arriver, Anna d’Annunzio, elle sinue, elle perdure, elle chantonne du lichen plein les yeux la complainte de la femme qui a vu et qui sait, mais n’en fait pas toute une montagne. Elle déguste sur le chemin le temps qui la sépare encore du texte à vivre, comme Camus dit que Sisyphe doit goûter sa descente dans la plaine où son rocher l’attend entre deux éboulements.
Durant cette arrivée qui s’étire, ce générique sauvage qui hypnotise son spectateur comme devant une toile peinte par le vent, tout a déjà commencé. Calamity Jane d’Annunzio installe mentalement une dramaturgie de cailloux et de foin, de sueur et de mouches, et le monde se couche pour écouter.
C’est l’histoire d’une femme qui s’est bâtie à la force de soi, avec sa chatte et son couteau, une légende passée par la scène et les livres autant que par les exils véridiques ou les fusillades tarées. Ça sent la poudre et la cyprine, le cuir qui n’a pas connu le savon depuis plusieurs semaines, mais quelque part on entend un enfant qui dort. On peut raconter ce que l’on veut, vraies ou pas, les lettres à sa gamine de cette dame à tout faire qui a tout fait, éclaireuse pour un pays imaginaire où tout s’est inventé au fur et à mesure sur le corps des Indiens ou le trou gorgé de boue des mines d’or, ça parle davantage d’avoir des seins comme d’autres ont des couilles, et de les porter à cheval là où personne n’osait même poser le regard autrement qu’en rêves et parlottes. Et sous le nichon comprimé par la sangle, une bastos plus grosse que toutes les munitions : la coupe débordée de son propre sang, celui de la mère qui n’a pas oublié.
L’enfant c’est le public, et il ne veut pas voir la femme regagner le désert et lui tourner le dos, il ne veut pas qu’elle se transforme en homme qui fuit, shérif qui pleure ou pistolero qui fait semblant de ne pas crever. A cause d’eux tous, Calamity Jane, c’est un alcool pour quand les nuits sont trop dures et les pentes trop raides.
Et c’est le seul western auquel on peut croire.
Aurélien Lemant
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21/09/2017