Les liens du sang
Les liens du sang – Errol Henrot – Le Dilettante.
Un soir, le père de François lui dit : «Tu as rendez-vous demain à 6 heures pour signer. Tu commences la semaine prochaine.» Il n’avait jamais cherché à connaître quels étaient les sentiments de son fils, quelles images il avait emportées avec lui, s’il était choqué ou indifférent. Six mois de stage, et l’avenir, ce serait l’abattoir, jusqu’à la retraite, ou la mort. Le fils n’avait pas eu le temps de demander : «A quel poste ?» il avait déjà refermé la porte. Mais là non plus, le doute ne dura pas. Le poste, ce serait le même que celui de son père. L’abattage. Son métier, ce serait tueur.
Ça n’est pas la chair, hélas, qui est triste, la nôtre et toutes les autres, à poils, à plumes, lisses, fripées ou rugueuses, c’est plutôt le traitement qu’on lui fait subir, le destin qu’on lui réserve. Vouée à l’assiette, fragile, consommable à outrance, voilà la chair animale passant du pré au croc, de la mangeoire au mandrin, via l’abattage et ses stations : transfert meurtrissant, Corral de la mort, percussion frontale, saignée, décarcassage, mise en barquette. Et tous ces geysers de sang soudain jaillissant, giclant dru, pour s’en aller croupir dans l’angoissant et fétide mystère d’une cuve souterraine. Une noria sanglante, hurlante, dont François, héros des Liens du sang, premier roman d’Errol Henrot, employé d’un abattoir industriel, endure, nauséeux et suffoquant, le remugle épais, les cadences malades et surtout l’atroce et mécanique gestuelle. La place est bonne, pourtant, qu’occupait également son père, son grand-père avant lui. A son taiseux de père, à sa mère morose, François préfère Robert, le porcher-poète qui vit à deux pas, et accouche sa truie plein d’une délicatesse et d’une prévenance exquises, ou Angelica, l’éleveuse pour qui «la chair a de la mémoire» et qui donc ne tue pas ses bêtes. La mort de son père dont la chair morte le hante, la dénonciation de l’absurde massacre d’une vache, l’altercation violente qui s’ensuit avec le directeur accule François à fuir, une fuite qui ne sera pas une prévisible cavale, mais échappée réelle, fusion au coeur somptueux d’un paysage devenu soudain ermitage cosmique. Ainsi va toute chair…
Ici, une émission de France Inter qui laisse la parole à Olivia Mokiejewski qui publie « Le peuple des abattoirs » chez Grasset, récit tiré de son immersion en tant qu’ouvrière dans un abattoir pendant plusieurs mois. (infos motspourmots).
Laisser un commentaire
16/09/2017