Duels et duellistes sur la scène française au XVIIe siècle
France Chicago Center, Paris, 16 mars 2018
La journée d’étude que nous présentons au France Chicago Center se propose d’analyser les significations et les enjeux – à la fois esthétiques, politiques, sociaux et intellectuels – de deux des figures les plus communes, mais les moins étudiées, de la production théâtrale du XVIIe siècle : le duel et le duelliste.
Entre les règnes d’Henri IV et de Louis XIV, le duel de point d’honneur constitue, selon les termes de Claude Sale, « la maladie qui affecte les parties nobles du corps de l’Estat » français. Pour une noblesse désorientée par les changements qui se produisent dans l’organisation sociale et politique du royaume, le combat singulier se présente comme un mode de sociabilité alternatif, une façon à la fois de se distinguer des roturiers enrichis et de marquer son indépendance face au pouvoir monarchique. Or la multiplication des affrontements dans l’espace social invite les gens de lettres à prendre position sur le phénomène et suscite une abondante production écrite. Les auteurs de publications d’actualité (Mercure françois, Gazette et Mercure galant) traitent du sujet avec un intérêt toujours renouvelé, alors que les chroniqueurs (Pierre de l’Estoile, Tallemant des Réaux) et les mémorialistes multiplient dans leurs ouvrages les relations de duels. Dans le même esprit, les affrontements deviennent, dans les œuvres de fiction, l’une des topiques qui se répètent avec le plus d’insistance.
Sur la scène des théâtres, plus spécifiquement, les représentations de duels et de duellistes occupent l’avant-plan. Pour les auteurs de tragédies et de tragi-comédies irrégulières des décennies 1620 à 1640, par exemple, le duel répond à une conception novatrice de la dispositio, fondée sur les notions de liberté et de plaisir. Le combat devient dans ce cadre un ressort dramaturgique privilégié, trouvant écho tant dans l’utilisation de procédés stylistiques spécifiques (stichomythie) que dans la forme des œuvres elle-même. Dans un esprit similaire, les auteurs comiques découvrent dans le personnage du duelliste ridicule, inspiré du matamore et du capitan, l’une des figures les mieux adaptées à leur visée de critique sociale et les plus propres à exprimer la progression de la civilité mondaine qui entre en conflit avec la morale héroïco-chevaleresque dont se réclame encore une partie de la noblesse. L’influence du duel, toutefois, déborde le seul espace circonscrit de la scène. Dans le champ littéraire alors en formation, les querelles entourant les questions de poétique dramatique s’expriment en effet dans une langue où « la métaphore du duel n’est pas rare » (Civardi). Tout comme le combat constitue pour la noblesse une façon de marquer son appartenance à une société de connivence exclusive, « la république des lettres apparaît [aux auteurs] comme une sorte de communauté » (Merlin) à l’intérieur de laquelle ils acquièrent le privilège et l’obligation de « ferrailler » pour défendre leur honneur. Les modalités du combat concernent ainsi tous les aspects de la production théâtrale, de la composition de l’œuvre à la polémique qui accompagne parfois sa représentation.
Or, en dépit de la place considérable qu’occupent les figures du duel et du duelliste dans le théâtre du XVIIe siècle, leurs représentations demeurent un champ d’investigation encore peu investi par la critique, qui n’y a traditionnellement vu qu’une « nécessité » (C. Scherer) dictée par les attentes d’un public avide de sensations fortes. Ni colloque ni journée d’étude n’ont été consacrés au sujet, et si quelques articles (Oiry, 2014 ; Perrier-Chartrand, 2016) ont été publiés sur la question, celle-ci n’a pas fait l’objet d’un travail d’importance depuis l’ouvrage de Norman A. Bennetton, The Social Significance of the Duel in Seventeenth Century French Drama (1938). Cette journée d’étude s’attachera donc à ouvrir un champ de connaissance encore relativement neuf pour la recherche littéraire et les études dramatiques. Cinq angles d’analyse, non exclusifs, seront pour cela privilégiés :
a) Le duel et la dramaturgie. De quelle façon le motif du duel conditionne-t-il des modes de composition particuliers ou la récurrence de certains types d’intrigues ? Quel rapport le duel entretient-il avec la doctrine classique, les unités, la vraisemblance et la bienséance ?
b) Les enjeux génériques du combat. Quels sont les similitudes ou les différences entre les représentations du combat dans les divers genres dramatiques ? Une typologie générale du duel scénique est-elle possible ?
c) Le duel dans l’histoire dramatique française. De quelle part d’imaginaire endogène les figures du combat singulier développées durant le XVIIe siècle sont-elles constituées ? Que doivent-elles aux traditions dramatiques étrangères ?
d) Les significations sociales et politiques de la représentation du duel. Dans un contexte où les autorités, engagées dans une lutte soutenue contre le duel, promulguent tout au cours du siècle de nombreux textes de lois pour contrer la multiplication des combats, la mise en scène des affrontements peut-elle constituer, au-delà de la question esthétique, une prise de position polémique de la part des auteurs ?
e) Les modalités des querelles touchant l’esthétique dramatique. Le recours au lexique relatif au combat singulier dans les querelles touchant l’esthétique dramatique n’est-il qu’une facilité rhétorique ou, au contraire, souligne-t-il des affinités formelles plus profondes entre le duel, ses protocoles, ses mises en scène et sa « liturgie », et la façon dont se structurent les rapports de confrontation dans le champ théâtral ?
Les contributions pourront prendre différentes formes en fonction de l’angle d’analyse privilégié par chacun des participants. Que ce soit par l’entremise d’une étude de cas particulier, d’une analyse comparative mettant en parallèle plusieurs œuvres ou d’une réflexion plus théorique, chaque intervenant contribuera à enrichir la connaissance du duel en tant que figure dramatique, mais aussi, de manière plus générale, en tant que modèle intellectuel.
Les propositions de communication sont à envoyer avant le 1 octobre 2017 sous forme de résumé en français ou en anglais (300 mots) à Julien Perrier-Chartrand (julienperchart@uchicago.edu). Les propositions seront accompagnées d’une brève notice biobibliographique, précisant l’université de rattachement et les coordonnées du participant.
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21/08/2017