Religieuse et putain
Eugénie Guillou, née le 14 septembre 1861 à Paris, est une ancienne religieuse devenue prostituée, proxénète et adepte du fouet, connue à travers les archives de la police parisienne du début du XXe siècle, retranscrites et publiées par Daniel Grojnowski.
Au cours de recherches aux Archives de la police de Paris, Daniel Grojnowski a trouvé le dossier d’une femme hors du commun : Eugénie Guillou, qui, après être entrée dans les ordres, est devenue prostituée puis maquerelle. Instruite, la « dame » prend volontiers la plume : d’abord pour plaider sa cause et se raconter, ensuite pour concevoir des stratagèmes érotiques dont elle compte tirer profit, enfin au titre de femme d’« affaires » pour monter ses petites entreprises. Née en 1861, Eugénie Guillou entre à dix-neuf ans comme novice chez les sœurs de Sion. Mais, le moment venu, sœur Marie-Zénaïde se voit interdire de prononcer ses vœux : elle quitte la congrégation, engage des poursuites et demande des dédommagements. Dès 1901, elle publie des petites annonces, sollicitant de se faire fouetter ou de pratiquer la fessée. Pour ses mises en scène, elle revêt l’habit de religieuse. Celle qui multiplie les pseudonymes ne fait pas le trottoir ni ne travaille en maison close. Elle reçoit à domicile, avant de fonder sa propre maison de rendez-vous. À partir de 1903, proxénète, elle déguise des jeunes femmes en mineures pour les corriger tandis que des messieurs espionnent derrière un rideau… Durant toutes ces années, la police des moeurs la surveille et multiplie enquêtes et rapports. En 1913, on perd sa trace.
On ne sait pratiquement rien d’elle durant les années qui suivent, de 1894 à 1900. Elle semble avoir vécu de ses services de gouvernante ou d’enseignante6 et apparaît brièvement comme bonne chez une proxénète.
Elle se fait à nouveau connaître cette fois en étant arrêtée pour prostitution en décembre 1902 et brièvement incarcérée à Saint-Lazare, puis en janvier 1903 lors d’une enquête sur ses activités de « femme galante » : selon une pratique alors courante, elle utilise les petites annonces de la presse pour proposer des rendez-vous. Elle s’y « pose en adepte du fouet, tantôt passive, jouant le rôle de victime complaisante, tantôt active, bourreau qui choisit de jeunes proies pour satisfaire des amateurs-voyeurs, et, dans tous les cas contre rémunération. Les tarifs qu’elle indique sont à la mesure des services très particuliers qu’elle rend ».
Elle fait preuve d’une imagination débordante dans la rédaction de ses petites annonces, et joue de la vogue du fouet à des fins amoureuses que connaît la fin du siècle. En 1903, illustrant son surnom de « La Religieuse », elle se fait tirer trois portraits en pied par un photographe, deux la représentant en religieuse, la troisième le sein dénudé : « elle utilise les désirs masculins comme gagne-pain. Mais elle situe son activité à un niveau élaboré. En effet, elle ne pose pas comme « corps à vendre », mais comme partenaire à la recherche de comparses-complices. D’où l’importance déterminante de sa tenue que la photographie divulgue et magnifie ». Pour Daniel Grojnowski, « quoi qu’il en soit, les voluptés qu’elle éprouve en se laissant fouetter ou en fouettant un inconnu relèvent d’une libido singulière, moins masochiste ou sadique qu’auto-érotique, puisque la mise en scène du scénario auquel elle prend part comme actrice, lui apparaît condition sine qua non de l’orgasme ».
Devenue proxénète et « femme d’affaires », elle ouvre successivement plusieurs établissements : une maison de rendez-vous rue de Berlin en mars 1903, un autre rue de la Victoire en décembre 1903, le commerce Beauty Salon rue de Turbigo en 1907 ; ce dernier devient l’Institut Beauty Palace en 1909, qu’elle quitte en 1911. Les années 1903-1907 semble avoir été les plus prospères : rue de la Victoire, elle a jusqu’à sept ou huit « filles » sous ses ordres, soumises au contrôle médical, et propose à ses clients de multiples services : « plaisirs lesbiens, pédophiles, bains et massages divers, voyeurisme. Un rapport de police, plutôt que les énumérer, préfère les mentionner par un double « Etc. » ».
Sa trace se perd en 1913.
Daniel Grojnowski, Eugénie Guillou, religieuse et putain : Textes, lettres et dossier de police présentés par Daniel Grojnowski, Fayard/Pauvert, 2013, 208 p.
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28/04/2017