heros-limite
Dans la lutte solitaire qu’il mène contre toutes les formes d’oppression et contre la pusillanimité de ceux qui font métier de les combattre, Ernest Coeurderoy a des accents qui annoncent Lautréamont et Rimbaud. L’outrance est chez lui l’expression d’une poésie qui rêve de s’emparer du monde pour le bouleverser et le restituer à l’être véritablement humain, séculairement victime d’un mode de gouvernement absurde et cruel.
Jours d’exil n’est pas seulement la fresque d’une époque dont l’histoire des idéologies a masqué et édulcoré la violence historique, c’est la vocifération d’un homme mis en cage par la mesquinerie de son temps, c’est un cri de liberté qui résonne fortement dans nos sociétés où la nullité tonitruante favorise le silence de la résignation et les complaisances de la servitude volontaire. Raoul Vaneigem
Imprimé clandestinement en deux volumes à Londres en 1854, Jours d’exil, œuvre somme de Cœurderoy (1825 – 1862) n’a bénéficié que d’une seule édition complète chez Stock en 1910. C’est une lacune éditoriale de près d’un siècle qui est comblée avec cette réédition complète qui reprend les introductions de 1910. Deux postfaces livrent quant à elles les enjeux contemporains de cette œuvre à placer au panthéon du romantisme révolutionnaire.
Jours d’exil représente en outre un formidable témoignage sur sur la vie quotidienne des exilés politiques au 19e siècle en butte à des tracasseries administratives singulièrement proches de celles d’aujourd’hui…
Mars 1525: 40’000 paysans fomentent une insurrection, ils démolissent des centaines de châteaux forts et confisquent leurs richesses. A leur tête, un jeune prédicateur exceptionnel, Thomas Munzer dont les discours radicaux inquiètent depuis longtemps Luther et les princes de l’Empire germanique.
En quatorze chapitres serrés, Maurice Pianzola retrace le destin de ce personnage marquant de l’histoire allemande qui se dresse contre les puissants de son temps en remettant au centre le premier message évangélique : la simplicité.
Omnia sunt communia – Toutes choses sont communes et chacun devrait recevoir selon ses besoins. Autant de devises répétées par Munzer durant l’ultime interrogatoire mené sous la torture avant sa décapitation.
Avec ce récit, Maurice Pianzola démontre l’existence d’une histoire souterraine de l’utopie révolutionnaire, dont l’expérience historique de Thomas Munzer et de « la guerre des paysans » constitue une des manifestations les plus remarquables.
En 1953, on commande à Henri Calet une série de reportages sur des gens de condition modeste vivant à Paris ou sa proche banlieue. Réunie sous le titre Un sur cinq millions, cette galerie de portraits hauts en couleurs paraît dans Le Parisien Libéré de mai à juin 1953.
Henri Calet donne notamment la parole à un chauffeur de taxi, à une femme de ménage, un concierge, un ouvrier spécialisé… Cette série de rencontres agit comme une série de petites nouvelles. Elles sont un témoignage d’une qualité exceptionnelle sur les conditions de vies des petites gens, sur la réalité et les transformations du travail dans le monde contemporain.
Réunie sous le titre Les deux bouts, la série de reportages paraît en 1954 chez Gallimard, dans la collection « L’Air du Temps », dirigée par Pierre Lazareff. Cet ouvrage remarquable est réédité par les éditions Héros-Limite pour la première fois depuis sa parution.
A l’heure où le pouvoir de la cartographie paraît sans limite, où, par la force et la vitesse de calcul, les artifices et les conventions qui l’ont rendue possible s’estompent de plus en plus et deviennent de plus en plus difficiles à discerner, son ambivalence doit être plus que jamais soulignée. A la fois remède et poison, la carte peut en effet figurer comme défigurer le monde, nous mettre en relation comme faire écran. A la réflexion, le cartographe n’est pas tant celui qui dessine la carte que celui qui va conserver en lui, coûte que coûte, la capacité d’être questionné par ce qu’il est en train de réaliser ou d’utiliser. Dans l’esprit d’Élisée Reclus (1830-1905) ce questionnement s’inscrit dans la volonté de nous en tenir toujours à la vérité géographique, quand bien même «toutes les représentations et tous les symboles de la vie sont sans grand rapport avec la vie elle-même», quand bien même «nos ouvrages sont dérisoires en regard de la nature». Il sait que c’est un cas de conscience pour les géographes et les cartographes de toujours montrer la surface terrestre telle qu’ils la savent être et non telle que l’on voudrait qu’elle paraisse. Conscience cartographique donc, marquant le chemin à parcourir jusqu’à la «cartographie vraie», ainsi que la distance nous en séparant encore. Écrits cartographiques rassemble les écrits cartographiques majeurs, pour une part inédits, d’Élisée Reclus et de ses proches collaborateurs, Paul Reclus, Charles Perron et Franz Schrader. Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin d’une cartographie capable de donner à sentir et percevoir l’unité terrestre, en son tout et en ses parties. Les objets (globes, cartes, reliefs) conçus et imaginés par Reclus et ses proches l’ont été dans ce but.
Sous la forme d’un journal, cette recension autobiographique s’étend sur près de trois années durant lesquelles le narrateur a enseigné en tant que suppléant dans des établissements scolaires des Apennins.
Du village reculé de Villalta dont l’univers traditionnel s’effrite inexorablement, à Bagni di Lucca, une bourgade au pied des collines où là encore la vie semble vouée à l’abandon, le narrateur s’interroge, doute, écrit. Les histoires et les contes lui font pressentir la possibilité d’une libération et, face au doute et à l’effondrement qui guette, la fondation possible d’un îlot de stabilité dans le monde. Autour de ce noyau de réflexion gravitent les enfants, les gens, les choses, la nature qu’on effleure et, entre les traits qui les esquissent s’ajoure, en silence, le fond commun des histoires.
Nombreux sont les auteurs suisses qui ont laissé une trace sonore: interviews, chroniques, conférences. C’est à partir de ces sources que La jongleresse de Charles-Albert Cingria a été constituée.
Le disque compact est constitué de deux entretiens, l’un avec Simone Hauert en 1946, l’autre avec Jo Excoffier en 1954 et débute par une conférence musicale de 1937. Il se termine par deux brèves lectures de l’auteur. Les documents sonores appartiennent aux Archives de la Radio Suisse Romande.
Préparé par Daniel Maggetti, le livret est complémentaire du document audio. Il offre une série de fragments inédits de Charles-Albert Cingria provenant du Centre de recherches sur les lettres romandes de l’Université de Lausanne, et un texte de Daniel Maggetti, Les syllabes argentées.
« Pour parler des plantes avec une certaine intimité, je ne suis, je l’avoue, ni botaniste, ni jardinier. Mais de temps à autre, j’ai pu m’échapper loin de la grande ville, dans les prés, dans les sentiers perdus. Plus d’une fois, dans l’ombre de la forêt sacrée, j’ai reposé des yeux fatigués par l’étincelant et bigarré tohu bohu de la vie parisienne. Au sortir de la bruyante Babylone, l’oreille se délecte au clapotis du ruisseau murmurant, au doux bruisselis des feuilles caressées par le vent du soir. Le cœur irrité par les injustices sociales ou les amertumes de la politique, s’apaise volontiers dans l’austère solitude de la montagne. Sans avoir encore appris le langage des oiseaux, je suis de ceux auxquels les arbres disent quelque chose. Dans un bosquet comme dans un salon, certaines physionomies me vont, et d’autres ne me reviennent pas. Telle fleur me plaît, telle autre me laisse froid. Je sais la forte patience du chêne, la grâce délicate du bouleau, l’élégante beauté de la rose, la tristesse du sombre sapin. Et vous les savez aussi, n’est-ce pas ? ».
«Élisée Reclus, ami de Kropotkine, compagnon de Bakounine. Pendant la Commune, ce grand géographe prit avec simplicité un fusil et entra dans les rangs. Prisonnier des Versaillais, il n’échappa à la déportation que sur l’intervention des autorités scientifiques anglaises. Réfugié en Suisse, il entra à la Fédération jurassienne où il joua un rôle prépondérant dans la définition du communisme anarchiste. Jusqu’à sa mort en 1905, il ne cessa de prendre position sur les problèmes pratiques et théoriques qui se posèrent au mouvement anarchiste.»*
Écrits sociaux rassemble les écrits qu’Élisée Reclus a consacrés à l’anarchie entre 1851 et 1904. Cette anthologie a été constituée par un jeune anarchiste italien, émigré en Argentine dans les années 1920: Severino Di Giovanni. Di Giovanni est un passionné de Reclus, il a en tête en ce début janvier 1930 de fêter le centenaire de la naissance du géographe-anarchiste en publiant ses œuvres complètes. Formé très jeune à l’art de la typographie, il rêve également d’une imprimerie qui lui permettrait de publier revue, pamphlets et livres libertaires. Le problème est qu’il est sans le sou. La solution : l’attaque à main armée, «l’expropriation» au sens anarchiste du mot. Il faut dire que le bonhomme n’en est pas à son coup d’essai. Marianne Enckell** nous rappelle ses hauts faits: «il fait sauter une banque après l’assassinat de Sacco et Vanzetti en 1927, puis le consulat italien de Buenos Aires quelques mois plus tard, et tant pis pour les victimes.»
Le premier volume d’Écrits sociaux sera ainsi «payé» par l’attaque à main armée du 20 juin 1930; lui et ses compères vident la caisse de la station de bus La Central. La police est désormais sur les dents, Di Giovanni se cache. Le coup d’État militaire du 6 septembre amène une répression accrue sur les milieux anarchistes, pourtant courant septembre le premier volume sort à 2000 exemplaires: typo soignée, lettrines et culs-de-lampe élégants, portraits et fac-similés, tirage de tête généreusement distribué aux amis.
Janvier 1931, toutes les imprimeries de la ville sont surveillées par la police. Le 30 janvier, Di Giovanni finit de corriger les épreuves du second volume. Les avertissements de ses amis n’y changent rien, il ira les porter en main propre à l’imprimeur, Genaro Bontempo. On le reconnaît dans la rue. La police, après une folle course-poursuite, l’arrête. Jugé le lendemain de son arrestation, il est fusillé le 1er février. Il n’avait pas trente ans.
Les Écrits sociaux paraissent en français pour la première fois, remplissant un vide étonnant. Nul ouvrage posthume d’Élisée Reclus n’avait jusqu’à alors – et depuis – réuni ses écrits anarchistes.
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19/10/2016