Âme de boue [Amer #7]
A l’occasion de la sortie (enfin !) de Finitude, le nouvel album d’Âme de boue chez Danger records, écoutable, téléchargeable et commandable chez spielzeug muzak ICI, nous vous rappelons que vous pouvez lire une courte interview de Dasz dans le dernier numéro de la revue finissante (ça tombe bien) Amer. Et comme Dasz a répondu en deux temps aux questions qu’on lui a posé, on vous propose la seconde version qui est arrivée trop tard, alors que la revue était à l’impression. Les mêmes cinq questions donc, mais avec d’autres réponses que celles publiées dans la revue… C’est un concept…
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On parle beaucoup de nuit debout. Amer préfère l’Ame de boue. Le lien ? Peut-être l’inconfort nécessaire. A moins que ça ne soit la finitude qui est aussi le titre du prochain album du groupe à paraître en mai 2016 sur le label Danger et dont l’excellent titre C’est l’hiver est déjà écoutable. Vous comprendrez qu’on ne pouvait pas passer à côté de ce groupe de cold wave dont nous avions particulièrement apprécié le premier album paru en 2012 chez Treue Um Treue. On a posé cinq questions à Dasz.
Les âmes : Tu excuseras ce bon vieux calembour avec la nuit debout, mais puisque nous en parlons, on voit souvent, peut-être à tort, la scène cold wave comme une scène particulièrement imperméable à la politique quand elle n’est pas clairement tendancieuse (apolitique de droite en gros). Le froid ça conserve comme dirait notre ami perrache, sans vouloir vous mettre en boite. Ce qui alimente l’a priori. Comment perçois-tu, toi qui chante « c’est l’hiver » en mai, ce printemps 2016 qu’il convient de ne pas qualifier de français ?
Dasz : Je ne crois en rien, ni en dieu, ni en l’homme. Il n’y a que souffrance avec quelques rares rayons de soleil à attendre de nos tristes petites vies d’après moi. Et d’ailleurs la vie humaine sur terre ne va pas forcément durer encore longtemps si on en croit les prévisions météorologiques du moment.
Cependant, toute révolte émancipatrice est appréciable et même vitale car, comme l’art, c’est un signe de force et de dignité, une forme de noblesse de l’âme. Cela donne du sens.
Les fascistes de tous bords ont le vent en poupe en ce moment. Mais ils ne sont et n’ont toujours été que les laquais des systèmes dominants, l’expression directe de l’instinct grégaire et de la honte d’être des soumis. L’histoire nous dira si l’humanité préfèrera se vautrer ou se relever de sa « fin de l’histoire », situation forcément transitoire liée à cette ordre économique libéral en crise.
La wave étant un phénomène musicale directement inspiré du surréalisme entre autre courant d’avant-garde, de la culture DIY et proposant une rupture radicale avec le « rock à papa », elle ne peut accepter en son sein que des personnalités audacieuses et ouvertes d’esprit.
Même si aujourd’hui, il y a effectivement quelques apolitiques de droite comme tu dis très bien qui traînent là, perdus entre deux soirées hype, ce ne sont que des personnages secondaires.
Les âmes : L’âme de boue est le titre d’une nouvelle de Jean Lorrain parue le 09 novembre 1892 et publié dans les Âmes d’Automne dont le Chat rouge vient de nous offrir une très jolie version, comme à son habitude, sur papier bouffant. Maurice Barrès écrivait à son propos : « Jean Lorrain s’est adonné, avec un art incomparable, à l’analyse de ceux qui ne trouvent de joie qu’à utiliser la force surmenée de leurs nerfs. Il les suit dans tous leurs ébranlements, qui sont la pitié, la douleur et l’hallucination, mêlées et grandissants jusque à la mort. » Pourquoi avoir choisi ce nom de groupe ?
Dasz : J’ai découvert cette nouvelle de Jean Lorrain dans l’insert d’un de mes tout premiers disques : le très classique du goth « Deathwish » de Christian Death dans sa classieuse édition sur le label « L’invitation au suicide », et depuis des années, j’avais cet « Âme de boue » qui me restait dans la tête, pour son image et sa sonorité. Un jour, il m’a paru évident de l’utiliser pour présenter des morceaux.. J’aime cette image ambivalente d’une personnalité ni bonne, ni mauvaise mais comme « enlisée » dans ses propres méandres et son ennui. C’est un point de vue sur le monde qui convient bien à ce projet.
Les âmes : Dans Âmes d’automne, Lorrain sonde le Paris fin de siècle, celui de l’époque du Chat Noir, ses bouges, ses cafés, ses rues à filles, ses tripots équivoques, ses boutiques de luxe. Il en ramène toute une foule d’êtres de boue, des hommes, des femmes surtout, usés, rincés par la vie, mâchurés par l’ennui, ou brutalement exposés à la lie de ce qu’ils se cachent à eux-mêmes. De quoi parles-tu dans tes chansons ? Il y a plusieurs titres en allemand dans ton prochain album. Pourquoi ce choix ?
Dasz : Cela dépend.. J’essaie simplement de relever quelques moments du monde post-moderne.. Il n’y a pas de ligne directrice. Comme je suis tout seul dans ce projet, je ne réfléchi pas trop à l’avance et les textes sont ce qui a besoin de sortir de ma tête quand je me mets devant le micro.. Et j’ai des comptes à régler.. En général, j’ai une image en tête avec deux ou trois phrases et ça se développe en faisant. Je crois que mes textes sont assez simples en général..
En tous cas, le nouveau disque est un petit peu moins égocentrique que le premier.. Il y est par exemple évoqué un architecte devant sa table à dessin et devant son inutilité. Ou d’une « rue de l’ennui », où l’on grandi dans l’abondance, le conformisme et la dépression. Il y a une chanson qui parle de la servitude contemporaine basée sur la peur. Une sur le survivalisme et son incohérence. Mais la plupart sont juste l’expression directe et peut être parfois pataude de mes émotions du moment. Des bouts de ma vie quoi..
Sinon j’utilise aussi les mots pour leur sonorité, d’où les différentes langues utilisées, allemand que je ne maitrise pas bien, mais aussi anglais, polonais et espagnol.
Les âmes : Le titre de ton prochain album est « finitudes », terme particulièrement fécond à la fin du dix-neuvième siècle et qui a fait le succès des littératures décadentes, post-symbolismes et anteséculaires. Pourquoi ce choix et tant que nous y sommes, quelles sont tes influences et références littéraires et artistiques ? Es-tu sensible aux littératures finiséculaires que nous évoquons ?
Dasz : Le titre du disque est venu à la fin, lorsque je me suis rendu compte que quasi tous les morceaux jouaient d’une manière ou d’une autre avec ce concept, qu’il y soit question de limite, d’inutilité, de fin ou de déclin. D’où le collage que j’ai fait pour la pochette, avec l’inversion du symbole de puissance et de grandeur de la pyramide. Bien sûr, cela raisonnait avec l’obsession apocalyptique de notre époque et aussi une idée de l’homme moderne comme étant aliéné au dernier degré. Sur un autre plan, il y a aussi dans ce terme une forme de résignation et d’acceptation qui correspond au stade où j’en étais dans ma vie à la fin de ces enregistrements. Par ailleurs, mes goûts en littérature sont très éclectiques et je ne peux pas parler de références. D’autant plus que mes textes ne sont pas très littéraires justement.
Quoiqu’il en soit, même si les univers fin 19ème me touchent, je pense que l’imaginaire développé dans Âme de Boue est plutôt contemporain. Pour moi, une des grandes différences entre la spleen de la fin 19ème et le spleen actuel est géographique. Justement, le Paris fin de siècle actuel n’existe pas vraiment, le décors c’est par tout et nul part. On ne peut même pas le fuir le spleen 2016 !
https://www.youtube.com/watch?v=BZ5XsyKwdco
Les âmes : Tu joues également, si je ne me trompe, dans le duo franco-belge minimal wave Dolina dont tu as produit l’album « Four crystals », sur le label spielzeug muzak, à côtés des très bonnes compilations « Toilettes publiques » ou de l’excellent groupe serbe Konvoj Bonton Bajkera. Parralèlement à un certain engouement pour le post-punk, j’ai l’impression que la cold et la new-wave connaissent un certain regain
d’intérêt. Sans faire dans la sociologie de comptoir, on peut imaginer que cela dit des choses sur l’époque que nous vivons. A quoi attribues-tu ce sursaut d’une scène qui goûte pourtant la rigor mortis, à moins qu’il ne s’agisse de la mastication des morts, et comment décrirais-tu la scène actuelle ?
Dasz : Oui heureusement j’ai d’autres projets musicaux avec d’autres gens, ce qui m’évite de tourner en rond autour de mon nombril ! Principalement, je joue dans Dolina avec Najah (de :codes), et dans Illustration sonore, avec Cristina (Froe Char). Pour moi c’est vital d’avoir plusieurs projets, chaque projet ayant sa couleur et sa temporalité. Par ailleurs, je suis membre du label Spielzeug Muzak. Nous avançons depuis cinq ans sans planning au gré de ce qu’il nous paraît évident de sortir, selon les rencontres affectives et musicales. Prochainement « Toilettes publiques volume 3 », suite de ces compilations compilations trash-wave / synth-punk à succès !
Je ne connais pas toute la scène wave actuelle. Il y a tellement de petits groupes et de petits labels à travers le monde… Mais j’ai l’impression que depuis des années, l’audience est plus ou moins constante. Il y a eu effectivement une sorte de revival de la « minimal wave » il y a 5-6 ans ainsi qu’une déferlante de groupes simili joy division mais ça s’est calmé vite. Et heureusement les tentatives d’en faire un style hype n’ont jamais vraiment marché. Maintenant j’ai l’impression que les scènes se mélangent de plus en plus, et c’est très bien..
Un commentaire pour “Âme de boue [Amer #7]”
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17/08/2016
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