Henri Maldiney
Philosophie n° 130 : Henri Maldiney
Éditions de Minuit, Juin 2016
La question de l’événement est cruciale au sein de la pensée contemporaine, notamment pour la phénoménologie. Mais c’est avec Maldiney que cette question passe au premier plan, au point que son œuvre entière se configure, à partir d’une compréhension du phénomène, sous la figure de l’événement. On découvre alors une appréhension renouvelée de l’a priori universel de la corrélation, formulé la première fois par Husserl. C’est toutefois dans une proximité avec Heidegger que Maldiney décrit le phénomène comme ce qui a l’initiative de sa manifestation (ce qui se montre en soi-même), étant entendu que lui seul, dans un débat avec Straus et Binswanger, élabore une pensée de l’événement, tirant toutes les conséquences, sur le plan de l’analytique de l’existence, de cette découverte que le phénomène se montre en faisant irruption. Il ne s’agit pas de reconduire son acception commune, celle du sensationnel ; l’événement reçoit au contraire le sens radical de l’impossible, de l’irréductible et de l’imprévisible – ce que nomme la notion maldinéenne de transpossible. C’est alors que Maldiney est en mesure d’élaborer une anthropo-phénoménologie novatrice, où le sujet de la corrélation est compris en tant qu’il est capable d’accueillir l’événement. Il caractérise ainsi le sujet par les notions de transpassibilité (capacité infinie d’accueil) et de transpossibilité, puisque l’épreuve de l’événement engage la transformation de soi à la mesure de son apparition au-delà de toute possibilité. Voilà ce que signifie ex-ister, être hors de soi, dans l’épreuve de la réalité. Loin d’être constitué (Husserl) ou projeté (Heidegger), l’événement est rencontré dans la crise comme ce qui bouleverse le monde coutumier et appelle l’existant à se transformer pour habiter un monde nouveau.
La phénoménologie de Maldiney se trouve en outre conquise selon la voie d’une esthétique-artistique qui conduit à une esthétique-sensible : l’apparaître de l’œuvre d’art, en son abstraction constitutive, dévoile l’apparaître primordial du monde, et décèle une compréhension neuve de l’existence. L’esthétique-artistique fraye la voie à une esthétique-sensible, phénoménologie du sentir où le sujet est abordé en fonction de cette première ouverture. On découvre donc une épochè esthétique (notamment picturale et poétique) qui permet de mettre hors jeu la métaphysique et engage une refonte de la phénoménologie. En ce sens, comme s’y applique le présent numéro, il est requis d’aborder l’œuvre de Maldiney dans sa confrontation avec certains philosophes majeurs – Hegel, Riegl, Heidegger, Merleau-Ponty –, afin d’examiner la figure singulière qui est la sienne et sa portée exacte.
Les contributions ici réunies sont autant de coup de sonde dans l’œuvre de Maldiney permettant d’en saisir les percées, en premier lieu celles qui sont relatives à l’existence, vouée au monde et requise par l’événement qui se donne comme ce qui donne à ex-ister. On comprend alors avec Maldiney que l’énigme du monde, découverte par Husserl, dépend de la surrection de l’événement qui en consacre l’ouverture et engage le secret de l’existence .— Frédéric Jacquet
Ce numéro a été coordonné par Frédéric Jacquet
Sommaire
Sarah Brunel
Penser l’altérité avec Maldiney
Françoise Dastur
Henri Maldiney, lecteur de Hegel
Raphaëlle Cazal
L’héritage de la conception riegélienne de la forme et du rythme dans l’esthétique phénoménologique d’Henri Maldiney
Claudia Serban
Du possible au transpossible
Frédéric Jacquet
Du sens du sentir : figures de l’être. Maldiney et Merleau-Ponty
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21/06/2016