Fin-de-siècle : fin de l’art ?
Appel à communication pour une journée d’étude (20 mai 2016, Universités Paris 3 – Paris 8)
Fin-de-siècle : fin de l’art ? Destins de l’art dans les discours et les pratiques esthétiques de la fin des XIXe et XXe siècles
Cette action est soutenue par le Campus Condorcet
Réfléchissant sur les résurgences des discours de décadence à la fin du XXe siècle, Pierre Jourde écrit : « C’est une idée reçue de vouloir à tout prix des fins de siècle décadentes, comme par une sorte de superstition numérique. Il reste que la seule existence de cette superstition lui confère une espèce de réalité, de poids dans l’imaginaire[1] ». Nous proposons de confronter deux fins de siècle du point de vue des discours qu’elles ont porté sur l’art. La fin du XIXe siècle et la fin du XXe siècle sont deux moments de crise caractérisés par de profondes mutations culturelles et esthétiques − voire de véritables changements de paradigmes artistiques (Nathalie Heinich) − dramatisées et radicalisées par la conscience de vivre la fin d’une époque. Le dialogue entre ces deux périodes, encore peu envisagé par la recherche, se situe dans le sillage de certaines études pionnières[2].
Cette journée se propose de se concentrer sur deux fins de siècle (et fin de millénaire concernant 2000) envisagées comme des moments de crise en même temps que des moments de conscience d’une nouvelle aube. L’angoisse de la fin est aussi pressentiment de ce qui advient mais n’est pas encore. Il s’agit donc de saisir la complexité de ces temps intervallaires où la littérature et les arts ne sont pas seulement des reflets d’une conscience historique mais des lieux où se manifeste la sensibilité à une historicité spécifique rendue possible par un sentiment d’urgence. La fin du monde, certes, mais « la fin du monde, en avançant » (Rimbaud, “Enfance”).
La fin du monde…
Le mythe « fin-de-siècle » : jeux de miroirs
L’un des objectifs de la journée consistera à analyser la constitution d’un mythe « fin-de-siècle » se cristallisant autour de dates fétichisées (1900 et 2000) comme l’explique Pierre Citti dans l’introduction de l’ouvrage collectif Fins de siècle : « L’expression fin de siècle tire son sens dramatique d’une confusion entretenue entre deux sens du mot siècle […] Les écrivains et leurs personnages fin-de-siècle […] ont affecté de prendre une période [selon Citti, unité de temps objective] pour une époque [selon Citti, ensemble de traits caractéristiques qui identifient un moment historique particulier][3] ». Comment les discours sur l’art transforment-ils une fin de siècle (période) en fin-de-siècle (époque), comment inventent-ils la légende de leur propre temps ? Comment la littérature et les arts, indépendamment des discours rationnels et des modèles scientifiques de la fin, participent-ils de cette construction mythique ?
Dans cette perspective, on pourra se demander comment l’imaginaire décadent de la fin du XIXe siècle est réapproprié par les artistes et les écrivains de la fin du XXe siècle dans un processus de récriture typique des époques ayant une conscience aiguë de leur situation intervallaire. Houellebecq décrivant notre société comme un agrégat de « particules élémentaires » rappelle par exemple les théories de Paul Bourget définissant la décadence d’une société comme un processus d’atomisation et d’individualisation.
Fin de l’art, art de la fin
Les fins de siècle voient la floraison de discours de la fin, discours eschatologiques et catastrophistes. Quelle place les arts (littérature, arts visuels, arts de la scène, etc.) occupent-ils dans ces discours? Sont-ils considérés comme la cause, l’effet ou le symptôme d’une société qui court à sa perte? Comment pense-t-on un art de la fin, un art de la décadence[4] ? Comment l’art lui-même se représente-t-il, se met-il en scène en tant qu’art de la fin ? Nous serions très intéressés par des communications envisageant les différentes formes d’iconoclasme et de destruction de l’art[5]. L’étude des discours sur les dangers de l’image et de son pouvoir de fascination est également encouragée.
… en avançant
Le « legs en la disparition » (Mallarmé, Un coup de dés)
La fin de l’art peut aussi désigner le passage d’un régime esthétique à un autre, facteur d’angoisse mais aussi de nouvelles expérimentations. La crainte de la disparition du livre nous semble emblématique de ces tensions. Qu’il soit menacé par l’essor de la presse, la littérature industrielle (fin XIXe siècle) ou par la dématérialisation et l’avènement du numérique (fin XXe siècle), le livre devient objet fétiche, objet célébré, vestige d’une culture en train de disparaître[6] mais aussi espace où s’élaborent de nouvelles formes. Plus largement, comment ce qu’Yves Michaud propose d’appeler « l’art à l’état gazeux » et la naissance de formes d’art de plus en plus volatiles, de moins en moins objectales, marquent-ils les fins de siècle et inventent-ils de nouveaux rapports aux œuvres ?
Fin des frontières entre les arts
Les rapports entre visuel et verbal, textes et images sont très souvent reconfigurés, réévalués et redéfinis par ces mutations et ces périodes intervallaires. La hiérarchie traditionnelle qui subordonnait l’image au texte est subvertie. Comme le note Anne-Marie Christin, la fin du XIXe siècle est caractérisée par un « retour à l’idéogramme » : sous l’impulsion de l’affiche publicitaire notamment, le texte tend à devenir image[7]. On pourra aussi se demander comment la dématérialisation des œuvres à la fin du XXe siècle change le rapport à l’art et les rapports entre les arts. Comment la littérature rend-elle compte d’une œuvre de plus en plus impalpable ou intermédiale ? En un mot, comment la littérature rend-elle compte de la disparition de l’objet artistique en tant que tel ? Et parallèlement, en quoi cet effacement de la frontière entre les arts peut-elle engager une redéfinition du fait littéraire ?
La journée d’étude sera interdisciplinaire (littératures de tous domaines linguistiques et histoire de l’art) et les communications en français pourront porter sur les pistes suivantes, sans exclusive :
Discours et rationalisations de la fin de l’art et de la littérature. Réécritures et représentations de la fin du XIXe siècle à la fin du XXe siècle. Imaginaires de la décadence, de la dégénérescence, de la maladie, etc. Fétichisiation de la date “ronde” (1900, 2000). Dématérialisation, fragilité, évanescence des oeuvres. La barbarie comme destruction et régénération de l’art. Iconoclasme, l’image comme puissance de fascination et d’aliénation. Nostalgie de l’œuvre d’art perdue, fragmentée ou transformée Pensées et pratiques de l’unité de l’art, subversion de la hiérarchie des arts
Calendrier et conditions de soumission
Les propositions de communication comprenant un résumé d’environ 300 mots ainsi qu’une courte biobibliographie sont à envoyer par mail avant le 1er octobre 2015 à l’adresse suivante : finsdesiecle@gmail.com
La journée d’étude sera organisée le 20 mai 2016 à Paris. Une partie des frais de transport et d’hébergement pourra être prise en charge par l’organisation du colloque.
Les communications pourront donner lieu à des publications.
Responsables
Cyril Barde (Paris 8, Université Vincennes Saint-Denis)
Sylvia Chassaing (Paris 8, Université Vincennes Saint-Denis)
Hermeline Pernoud (Paris 3, Université Sorbonne Nouvelle)
Bibliographie
Bourdieu, Pierre, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Le Seuil, 2015.
Christin, Anne-Marie, L’Image écrite ou la Déraison graphique, Flammarion, 2009.
Citti, Pierre (dir.), Fins de siècle, Presses Universitaires de Bordeaux, 1995.
Collectif, « Tombeaux de la littérature », Fabula-LhT, n° 6, mai 2009, URL : http://www.fabula.org/lht/6/gefen.html
Corbin Alain, Diaz José-Luis, Michaud Stéphane et Milner Max (dir.), L’Invention du xixe siècle. Le xixe siècle au miroir du xxe siècle, Klincksieck, 2002.
Demanze, Laurent et Viart, Dominique (dir.), Fins de la littérature, Armand Colin, 2012.
Ducrey, Guy, Tout pour les yeux : littérature et spectacle autour de 1900, PUPS, 2010.
Fureix Emmanuel et Jarrige François, La Modernité désenchanté : relire l’histoire du XIXe siècle français, Paris, La Découverte, « Ecritures de l’histoire », 2015.
Gamboni, Dario, La Destruction de l’art. Iconoclasme et vandalisme depuis la Révolution française, Les Presses du réel, 2015.
Gilli, Marita, Les Limites de siècles. Lieux de ruptures novatrices depuis les temps modernes, Besançon, Presses Universitaires Franc-Comtoises, 1998.
Heinich, Nathalie, Le Paradigme de l’art contemporain, Gallimard, 2014.
Jankélévitch, Vladimir, « De la décadence », Revue de métaphysique et de morale, n°4, Paris, Hachette-Colin-PUF, 1850, p.337-369.
Johansen, Ib (dir.), Fins de siècle / New Beginnings, Aarhus University Press, 2000.
Jourde Pierre, L’Alcool du silence : sur la décadence, Paris, Champion, 1994.
Marx, William, L’Adieu à la littérature, Editions de Minuit, 2005.
Marx, William (dir.), Les Arrière-gardes au xxe siècle, PUF, 2008.
Michaud, Yves, L’Art à l’état gazeux: essai sur le triomphe de l’esthétisme, Fayard, 2011.
Mitchell, William John Thomas, Iconologie: image, texte, idéologie, Les Prairies ordinaires, 2009.
Nordau, Max, Dégénérescence, Alcan, 1894.
Palacio, Jean (de), La Décadence : le mot et la chose, Les Belles Lettres, 2011.
Ruffel, Lionel, Le Dénouement, Verdier, 2005.
Stead, Evanghelia, La Chair du livre: matérialité, imaginaire et poétique du livre fin-de-siècle, PUPS, 2012.
Vouilloux, Bernard, La Peinture dans le texte : XVIIIe-XXe siècle, CNRS, 2005.
[1] Pierre Jourde, L’Alcool du silence. Sur la décadence, Paris, Champion, 1994, p. 72.
[2] Citons notamment Alain Corbin, José-Luis Diaz, Stéphane Michaud et Max Milner (dir.), L’Invention du xixe siècle. Le xixe siècle au miroir du xxe siècle, Klincksieck, 2002.
[3] Pierre Citti (dir.), Fins de siècle, Presses Universitaires de Bordeaux, 1990, p. 9.
[4] On peut penser au propos de Max Nordau dans Dégénérescence, Alcan, 1892.
[5] Dario Gamboni, La Destruction de l’art. Iconoclasme et vandalisme depuis la Révolution française, Les Presses du réel, 2015.
[6] On peut sur ce point penser à certaines études (Daniel Sangsue, « Démesures du livre », Romantisme, n°69, 1990-3, p.43-59. − Dominique Pety, Poétique de la collection au XIXe siècle, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2010) ou anthologies récentes (Les Fous des Livres, anthologie de Jean de Florensac, Le Chat Rouge, 2011) qui ont mis en valeur la fétichisation du livre au XIXe siècle.
[7] Anne-Marie Christin, L’Image écrite ou la déraison graphique, Paris, Flammarion, 2009.
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9/09/2015