« Le silence »
Appel à contribution pour le numéro 13 d’Alkemie
revue de littérature et de philosophie:
« Le silence »
L’absence de parole suppose-t-elle nécessairement une absence de communication ? La définition du silence n’obvie pas à cette méprise ordinaire que chacun commet lorsqu’il fait abstraction de toute inférence métalinguistique dans le processus du langage. Comme on ne peut exclure l’existence d’un silence absolu, non communiquant, on ne saurait ignorer le vacarme assourdissant de certains silences, semés à dessein dans les inflexions de la parole parmi lesquelles ils signifient tout autant, sinon davantage. Car loin de nier le langage, loin de le priver de sa fonction naturelle, le silence est apodictiquement consubstantiel à ce dernier : sans silence(s), nulle parole. De même que l’espace typographique confère à l’écriture sa respiration, le blanc sonore projette le discours au-delà de la matière audible, il l’exalte en opposant au néant sa structure labile faite d’interstices et de césures.
Or ce blanc, sitôt transfiguré en métalangage, cesse d’être silencieux et s’immisce dans la sémantique du message : ce qui est tu, singulièrement, se voit doté des attributs du dit. Autre méprise commune : l’absence de parole induit-elle une vacance de la pensée ? Bien au contraire. Le silence, en tant qu’espace privilégié de la parole non dite, est le siège même de l’esprit. Ses variétés contredisent l’apparente univocité dont on l’affecte et révèlent une large diversité des motivations qui le suscitent. On songe d’emblée au désir d’esquive, à la fuite, à la dissimulation, à la dérobade… Il suffit, par exemple, que le protagoniste d’une affaire « refuse de s’exprimer », selon les termes des médias qui réclameront son témoignage, pour qu’aussitôt l’ombre du soupçon plane sur les raisons de sa réserve. Mais (se) taire peut recouvrir une quantité d’autres intentions : la déférence ou le dédain, la connivence ou l’objection, la défense ou l’attaque, l’attente ou l’impatience, etc. Notons qu’il existe, pour chacune de ces motivations, un acte langagier capable de fournir un résultat analogue, ce qui nous confirme dans l’idée que le silence, quand il est intentionnel, est bel et bien constitutif du langage.
Cependant, il n’est pas toujours porteur d’intention ; la distance pragmatique séparant le taire et le tu marque la valeur des objectifs qu’on lui assigne. Les scories de la fonction phatique du langage telle que proposée par Jakobson, « poids mort » de la matière parlée, ne sont pas toutes substituables au vide, et inversement tous les silences ne sauraient trouver leur équivalence dans les mots. Preuve étant faite qu’il existe une forme de silence absolument démotivée, un « niveau zéro » de la communication impliquant la révocation péremptoire du signifié, la tentative d’une définition achoppe au besoin d’écarter toute idée de néant, nonobstant sa nécessité logique. Cette obscure négation du dit, conçue d’un substrat primordial ininterprétable, partage un lien patent avec le silence du monde, lequel, fût-il subi ou simplement observé, reflète comme un miroir l’image de son auditeur, et quand ce dernier s’y scrute en pleine conscience, ce qu’il perçoit n’est en aucun cas une vérité objective mais le résultat sensible de sa propre réflexion. C’est ici le procès de la perception qui confère au vide, parce qu’entrevu et vécu, une illusion de sens.
Pourtant, les efforts d’une interprétation s’avèrent fondamentaux lorsqu’ils recouvrent une ambition déterministe, voire eschatologique. La parole muette de la nature devient alors oraculaire et prophétique, elle répand un discours accessible aux seuls initiés. Aux sources de ce mutisme universel, l’homme n’a-t-il pas puisé l’essence de Dieu ? Si le dit est le territoire de l’équivoque, parce que son tumulte circonscrit les êtres dans leur solitude sensorielle et cognitive, le silence est à l’inverse ce lieu paradoxal où la pensée collective se constitue et s’exprime d’une même voix : celle du fonds primitif des civilisations sans âge, terreau commun de ce pour quoi l’homme est devenu cet animal grégaire que l’isolement et la finitude épouvantent. En somme, les consciences se disjoignent par le langage mais s’unissent dans le silence, la prière ou la méditation, car l’Un se réalise hors du fracas des mots.
Qu’en est-il de l’écriture, ce silence par excellence ? Et de la littérature en général ? La lecture unit-elle les âmes dans les mécanismes infraliminaires de l’imagination ? Ou au contraire exalte-t-elle les individualités perceptives en les dissociant de la pensée commune ? D’ailleurs, les livres sont-ils vraiment silencieux… ? Peut-on encore lire Flaubert sans que l’écho du « gueuloir » ne résonne dans nos têtes ? Même le monologue intérieur du stream of consciousness bruisse d’un florilège de voix en désordre ! Il se peut qu’une littérature « mentale », par le fait de sa discursivité, mette plus que toute autre l’accent sur l’importance du temps dans la représentation du monde, et notamment ce temps silencieux, élusif, délétère, chargé de l’angoisse des hommes face à la mort, ce temps primordial et unitaire précédant la totalité mondaine du monde – ce temps des origines dont le mutisme glaçant demeure un mystère.
Marc Bonnant
Le n°13 de la revue littéraire et philosophique Alkemie attend des contributions, inédites et en langue française, jusqu’au 1er janvier 2014. Les textes doivent être transmis au comité de rédaction, à l’adresse info@revue-alkemie.com (en format Word, 30 000 à 50 000 signes maximum, espaces compris). Nous vous prions d’accompagner votre article d’une courte présentation bio-bibliographique (en français), d’un résumé et de cinq mots-clefs en anglais et en français.
Date limite : 1er janvier 2014.
Site de la revue Alkemie : http://www.revue-alkemie.com
Mihaela-Genţiana STĂNIŞOR (mihaela_g_enache@yahoo.com)
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9/12/2013