Marcel Proust, «Du côté de chez Swann, Combray. Premières épreuves corrigées (1913), fac-similé et transcription»


Édition de Charles Méla
Tiré à 1 200 exemplaires, tous numérotés, le volume ne sera pas réimprimé. Publié en partenariat avec la Fondation Martin Bodmer, il s’adresse aux admirateurs de Proust, qui sont légion dans le monde entier, mais aussi aux lecteurs curieux de découvrir la création en devenir, aux collectionneurs, de même qu’aux érudits spécialistes de l’étude des manuscrits et aux institutions.

Dans la fabrique de «Du côté de chez Swann»
Ce n’est que du papier et de l’encre. De l’encre d’imprimerie – le tampon de l’imprimeur, qui donne une date qui va du 31 mars au 14 mai 1913 selon les pages, en fait foi – mais l’encre a aussi été déposée là, en abondance, directement à la main. Parfois, la plume a fait des pâtés, biffant des passages entiers à la hâte, mais elle sait aussi se faire délicate lorsqu’elle réécrit. Il y a de la colle et du papier, encore, rajouté. De petits morceaux, des «béquets», des «paperoles» couverts de signes tracés à l’encre eux aussi et qui se déplient au bas des pages, depuis les marges ou même par-dessus le texte. Les ciseaux ne sont plus là, bien sûr, mais on voit bien qu’ils ont beaucoup servi. Le tout est jauni, vieilli. Une sorte de patchwork sépia, collé sur de grandes feuilles et parcouru d’écritures fragiles, gribouillées. N’était la reliure précieuse – un maroquin brun en chèvre du Cap – qui protège le tout, on pourrait croire que ce n’est pas grand-chose.
Et pourtant. Voilà que vous vous sentez peu à peu étrangement ému devant ces épreuves de Du côté de chez Swann, noircies, griffonnées et remaniées en profondeur par Marcel Proust lui-même quelques mois avant la parution du premier livre d’A la recherche du temps perdu. A mesure que l’on déchiffre l’écriture de Marcel Proust, à mesure que l’on observe ses regrets et ses avancées, on comprend en effet pourquoi il y a là un trésor et pourquoi Charles Méla, directeur de la Fondation Bodmer à Genève, en est tombé tout simplement amoureux.
Rien ne prédisposait ce professeur de littérature médiévale à s’enticher à ce point d’un texte du début du XXe siècle. Pourtant, c’est par lui, qui est alors président de la Fondation Bodmer qui allait accueillir plus tard le musée du même nom, que ces épreuves corrigées de Du côté de chez Swann sont arrivées en 2000 à Genève.
Le lot numéro 73
Les notes, les manuscrits, les célèbres paperoles, les textes dactylographiés et nombre d’épreuves retravaillées par Proust sont déposés dans le fonds Proust de la Bibliothèque nationale de France (BnF). C’est là que convergent les chercheurs du monde entier et que reposent les véritables fondements de La Recherche. La Pléiade les a largement utilisés dans sa seconde édition des œuvres de Marcel Proust dans les années 1980. Le collectionneur Martin Bodmer s’était néanmoins intéressé à l’écrivain, explique Charles Méla. Avant d’acquérir ces épreuves de Swann, la Fondation possédait toutes les éditions originales de La Recherche ainsi que de quelques feuillets d’Albertine disparue.
Pour compléter cette collection en y ajoutant ces épreuves du début de La Recherche, il a fallu que le hasard s’en mêle. Un premier coup de chance pour la Fondation Bodmer: lorsqu’elles sont mises en vente par Christie’s le 7 juin 2000, l’enchère est à Londres, de sorte que l’Etat français ne peut pas les préempter. Second coup de chance: durant la vente, quand le commissaire-priseur frappe les trois coups, le «lot numéro 73» vient d’atteindre la somme de 1 600 000 francs. Précisément la somme que Charles Méla, qui suit la vente au téléphone, est parvenu à réunir grâce aux fonds de la Fondation et l’aide de mécènes privés (Monique Nordmann, Jean Bonna, le fonds de la famille Bodmer à Zurich): «Si quelqu’un avait renchéri, on le perdait, dit-il. J’étais heureux. La Fondation venait de vendre un dessin de Michel-Ange. On avait presque commis un sacrilège ce faisant, mais en contrepartie on acquérait un Proust…»
52 placards
Voici donc 52 placards d’imprimeur comportant chacun huit pages du livre à venir et qui composent le début de La Recherche. Y figurent «Combray» et la presque totalité d’«Un amour de Swann», tandis que «Noms de pays: le nom», la troisième partie de Du côté de chez Swann, n’y est pas. Ces placards ont été somptueusement reliés par leur précédent propriétaire, parfumeur et grand collectionneur Jacques Guérin. Celui-ci, qui a fréquenté Proust, les avait reçus directement de la veuve du frère de Marcel Proust. Il les conserve jusqu’en l’an 2000 et mourra quelques mois après leur vente à la Fondation Bodmer.
Si ces placards d’épreuves sont remarquables, c’est qu’ils ont été traités de façon très inhabituelle par l’écrivain: «Normalement, lorsque vous recevez les épreuves, après avoir livré un manuscrit puis un texte dactylographié, relève Charles Méla, vous ne devez plus corriger que les coquilles. Or Proust reprend certes quelques coquilles, mais il s’emploie surtout à tout modifier et à tout remanier! Or, en principe, à ce stade, il n’est plus du tout temps.» Mais pourquoi Proust est-il autant intervenu alors que le livre était sur le point de paraître? Le professeur a son avis: «Je crois que c’est une nécessité intérieure. Quand vous faites quelque chose, vous savez bien que vous n’êtes pas tout à fait arrivé au bout. Vous le sentez profondément. Vous continuez et vous reprenez.»
Les intermittences du cœur
Mais il n’y a pas que ça. Si ces épreuves de Du côté de chez Swann sont devenues si chères à Charles Méla, qui s’est attaché lui-même, comme un copiste du Moyen Age, à en retranscrire patiemment tous les méandres pour les rendre lisibles, c’est parce qu’elles possèdent une puissante charge symbolique. «Martin Bodmer voulait vraiment saisir le moment où une œuvre jaillissait pour la première fois. Il s’intéressait au moment de l’apparition, à l’émergence de l’art, comme lorsque la Vénus, vue par Botticelli, sort des flots. C’est ce qui fait que la Fondation possède ou recherche toujours les originaux les plus proches du moment de la création…»
Or c’est sur ce jeu d’épreuves (voir la grande photo de la page de gauche) que l’on voit apparaître pour la toute première fois ce qui sera finalement le titre général du chef-d’œuvre de Marcel Proust. Sur ces pages, sur ces grands placards sortis de l’imprimerie que Proust biffe Les Intermittences du cœur – le titre qui était prévu – et a écrit, d’une plume décidée, A la recherche du temps perdu. Le premier livre de La Recherche y trouvera aussi son titre définitif: Le Temps perdu devient Charles Swann, puis Du côté de chez Swann jusqu’à «Combrey», sous-titre de la première partie du roman qui de «Cambrey» trouve finalement son «o».
Il y a d’autres «premières» dans ces épreuves. Un certain «Vington» devient finalement – en passant par «Vindeuil» – le musicien Vinteuil, auteur de la fameuse sonate si chère au narrateur. Et l’on y constate aussi, souligne Charles Méla, que le fameux début du texte, «Longtemps, je me suis couché de bonne heure…», a failli disparaître au profit d’une autre formule. Finalement, Proust trace la variante et reviendra à la phrase initiale. L’histoire de la littérature a eu chaud!
Toutes ces découvertes, Charles Méla nous les explique face au manuscrit qu’il a passé des mois à retranscrire. Jean-Yves Tadié, l’un des grands spécialistes de l’œuvre de Proust, lui a en effet suggéré de publier un fac-similé de ces épreuves chez Gallimard, où il est directeur de collection, pour le centenaire de la parution de Du côté de chez Swann. «Je suis un médiéviste, certes Proust est très marqué par le Moyen Age, mais je ne suis pas un spécialiste de Proust, avoue Charles Méla. Et Jean-Yves Tadié n’était, au début, pas du tout sûr que j’y arriverais. Finalement, je crois qu’il est assez content de mon travail et de ma préface où je détaille quelques découvertes que j’ai faites au plus près du texte.»
Fac-similé à 1200 exemplaires
Si le précieux maroquin brun en chèvre du Cap et son extraordinaire contenu sont repartis dans les coffres de la Fondation Bodmer, le «patchwork sépia» constellé de ratures et de trouvailles, sorti tout droit de l’officine de Proust, sera bientôt disponible à l’identique. Le 17 octobre, Gallimard en publiera le fac-similé, un «hors-série luxe», une curiosité pour chercheurs et collectionneurs qui ne paraîtra qu’à 1200 exemplaires, dont quelques-uns seront mis en vente à la Fondation Bodmer. Comme l’original, ce grand ouvrage aura la dimension des placards et comportera les 25 premières planches, soit tout «Combray». Aidé d’une transcription en clair, on pourra y lire les biffures et les ajouts, en déplier les béquets et paperoles, entrer dans l’atelier de Proust.
Marcel Proust, «Du côté de chez
Swann, Combray. Premières
épreuves corrigées (1913), fac-similé
et transcription», Gallimard,
30 x 40 cm, 29 placards.
4 commentaires pour “Marcel Proust, «Du côté de chez Swann, Combray. Premières épreuves corrigées (1913), fac-similé et transcription»”
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29/10/2013
si vous l’avez à nouveau à vendre, contactez moi svp. Anne
Bonjour
je possède ce livre et je souhaiterai le vendre mais de préférence a des passionnés
si vous connaissez quelqu’un de sérieux le livre et neuf avec son carton de protection d’origine
Cordialement votre
M Mebrouk
Bonjour,
Je suis fan de Marcel! Je viens d’acquérir le Tome 2 un amour de swan et je recherche le tome un….dans mes moyens!
Merci de me dire combien vous en voulez.
Cordialement alain massias 0787961684
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