Les âmes d'Atala

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Le Rire de Ravachol

Victor Barrucand
Le Rire de Ravachol. L’Endehors, n° 64, 24 juillet 1892
Repris dans le supplément littéraire de La Révolte, n° 45, 8-12 août 1892

Publié  dans ORIOL  (Philippe). Ravachol, un Saint  nous  est  né. Paris : L’Equipement  de  la
pensée, 1992. p.66-69.

Aux applaudissements d’une société lâche et complice la tête du libertaire est tombée sous le couteau légal. Ravachol est mort l’insulte à la bouche, ironique et méprisant, dominant de son dédain  la foule vile. Sans une défaillance, il a bafoué de son rire tragique ceux qui se frappaient eux-mêmes avec l’arme à deux tranchants dont ils jouaient pour leur défense ; et la victoire  morale  lui  reste  dans  l’esprit  de ceux  qui  constatent lucidement,  en dehors  des préjugés d’une civilisation policière.
Oh ! ce rire devant la sinistre machine – homérique dérision répercutée dans le silence de  l’estival matin où  toute  vie  voulait  sourire  !  –  il  donne  le  frisson  funèbre  ;  et la catin sociale, au pied de  l’échafaud, atteinte par  le sarcasme et le défi d’un criminel peu soucieux de  politesse mais  qui  apporte  dans  l’action une énergie  si  surprenante,  est  à  jamais  flétrie, comme si toutes ses infamies et son irrémédiable médiocrité lui étaient jetées à la face dans ce crachat qu’elle a mérité.

Son  gouailleur  blasphème  immuablement  figé  par  le  rictus  de  la  mort,  la  tête  du révolté, belle et  purifiée, demeure,  avec  je  ne  sais  quelle autorité  légendaire.  Eloquente et digne d’amour  en  sa misère vécue,  en  son  ignominie  soufferte, une  fascination  s’en dégage pour  les  faibles qu’elle conforte.  Avec  le  prestige  des  interprétations  et le  miracle  des sympathies altières, Ravachol apparaîtra peut-être un  jour comme une sorte de christ violent, tel que son  temps et les milieux qu’il traversa le pouvaient produire, et point si inférieur aux idéals désirables. On le rapprochera peut-être de cet autre supplicié – Jésus le Galiléen – qui, à quelques égards, fut un anarchiste, ainsi que le constate Ernest Renan.
Ils  voulaient tous  les  deux,  ces  démolisseurs  du  temple,  anéantir  la  richesse et le pouvoir,  et  non pour  s’en  emparer.  L’un prêcha  la  douceur,  l’esprit  de  sacrifice et  de renoncement,  l’affranchissement des entraves politiques par  le dédain, en vue de  la conquête du  royaume céleste  ; l’autre  prêcha  par  l’exemple  la  révolte contre  l’autorité abusive, l’initiative individuelle contre la lâcheté des masses, la revendication des pauvres au bonheur de la terre. Affranchis de l’égoïsme étroit, ils prirent une plus haute conscience d’eux-mêmes dans  l’humanité  ;  partis  du principe  d’amour,   malgré  d’apparentes  contradictions,  ils marchèrent à leur but; avec une volonté héroïque, ils enseignèrent au monde que les idées de patrie et de société, non plus que celles de culte et de Loi ne sauraient prévaloir contre le droit qu’a l’homme d’être heureux, dans ce monde a dit Ravachol, dans le ciel a dit Jésus.
–  Si la  poursuite  de ce  parallèle  n’offrait même  qu’un  intérêt  paradoxal,  il  n’y manquerait pas de coïncidences curieuses  : cet âge de  trente-trois ans où  ils moururent et le traître qui les livra dans un baiser, Chaumartin tenant l’emploi de Judas de Kérioth.

La  possibilité  d’un  tel  rapprochement  et penser que  le  supplicié de Montbrison peut exercer  par  l’exemple  de  sa  vie et  de  sa  mort  une contagion  salutaire,  sorte  de  moralité nouvelle sans obligation ni sanction, qui abrogerait l’ancienne Loi, ce sont des conséquences qui  feront  sourire ceux qui croient posséder  la vérité vraie hors de  laquelle  il n’est point de salut,  mais  pour  ceux  qui  ont  reconnu  le  néant  des  absolus  et  qui  savent  que  l’avenir appartient  aux  volontés  entières,  ils  ne  seront  point tentés  de  répondre  par  un haussement d’épaules et par un sourire suffisant au rire de Ravachol plus amer et plus fort que  le rire de Voltaire, cet autre démolisseur –

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6/12/2012

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