L’industrie du désir : tropes et rituels de la pornographie
Date limite : 1 janvier 2013
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Traditionnellement tenue au ban par la plupart des publications s’intéressant à l’image (sinon par celles spécialisées), la pornographie industrielle traîne encore malgré elle le voile d’un bien relatif tabou. Pourtant, codifiée presque à outrance, elle s’impose simultanément dans la vie civile comme un phénomène incontournable, occupant une place croissante dans les moeurs. Un éventail certes élargi mais très établi de tropes s’y succède de manière parfaitement cérémonielle – et bien qu’encore souvent l’ordonnance des génuflexions varie, elle conserve pour point d’orgue l’orgasme spectaculaire –, elle occupe dans la vie de l’individu un moment consacré à l’intimité et au repli sur soi, elle est partagée par chacun sans que son exercice ne soit pour autant nécessairement collectif.
Dans la postface de son plus célèbre roman, Vladimir Nabokov avançait que « dans les temps modernes, le terme “pornographieˮ est synonyme de médiocrité, de mercantilisme, et va de pair avec certain procédés très stricts de narration. L’obscénité doit se marier à la banalité parce que chaque forme du plaisir esthétique doit être remplacée en totalité par une stimulation sexuelle élémentaire […] Le pornographe est tenu de suivre une série de règles éprouvées et immuables s’il veut s’assurer que son patient sera comblé de son attente » (« A propos d’un livre intitulé Lolita »). La position du romancier a beau relever de l’autodéfense, elle porte tout de même un jugement qui paraît encore largement applicable de nos jours. Mais là encore c’est négliger par exemple l’explosion récente de la pornographie amateure et sa diffusion tout aussi massive permises par les moyens actuels.
Si le passage du film à la vidéo a sonné l’heure de l’industrialisation du porno et de la convergence entre désir érotique et société de consommation (Boogie Nights, P. T. Anderson, 1998), la massification rendue possible et alimentée par Internet semble de nos jours relayer au rang de vieilleries encombrantes ces vidéocassettes que Patrick Bateman n’arrête pas de dire qu’il doit rapporter (American Psycho, B. E. Ellis, 1991). Or, à partir du moment où chacun peut faire son propre film et le diffuser sur Internet, la massification du porno, sa projection sur la sphère publique de la toile et sa virtualisation subséquente se trouvent paradoxalement accompagnées d’une certaine recherche de réalité, ou tout du moins de son effet, et d’un retour à l’intimité familière du « fait maison ».
La question posée par ce numéro de la revue Proteus n’est donc pas celle d’une éventuelle qualité « esthétique » de l’imagerie érotique, ni celle de la frontière réglementaire entre l’art et l’obscénité sexuelle. Il s’agit plutôt de se placer d’emblée à l’intérieur de la pornographie comme sphère spécialisée, circonscrite et réglementée de l’industrie culturelle et d’examiner les modes de production, les codes visuels et les structures signifiantes qui lui sont propres. Ce qu’on peut y trouver, par exemple, c’est un rapport performatif au corps qui est à mettre en parallèle avec d’autres sphères du spectacle tel le sport de haut niveau (et, plus récemment, les Jeux Paralympiques), aussi bien qu’avec la performance, le cirque ou le théâtre contemporains.
En outre, les possibilités offertes par les nouvelles technologies transforment profondément diffusion et réception de l’imagerie pornographique, des conditions filmiques de sa production aux nouveaux genres inventés, angles de prise de vue, rapport entre réalité et fiction ou modes d’identification du spectateur. Comment la sélection peut-elle se faire dans ces conditions ? Quelle est la part de l’image dans notre rapport contemporain, quotidien au sexe, et dans quelle mesure ce dernier peut-il encore aujourd’hui renvoyer à la possibilité d’un espace intime et/ou autre, en marge des déterminations et des conventions sociales ? Quelle est la place du corps dans la virtualité de la géopolitique du désir tissée par une pornographie globalisée ? Et quelles sont les nouvelles articulations produites entre le privé et le public ? A l’époque du porno Art ou encore Women friendly, comment peut-on mettre à jour notre conception occidentale du regard, du voyeurisme et de la scopophilie, axée sur le regard masculin qui domine et contrôle (« Visual Pleasure and Narrative Cinema », L. Mulvey, 1973) ?
Pistes de réflexion
- Anthropologie de la pornographie
- Tropes, clichés et lieus communs du genre pornographique
- Dimension haptique et impression de réalité
- Caricature, parodie, humour et pornographie
- L’échange sexuel : économie politique du désir
- Temporalité de production, de diffusion, de réception, d’obsolescence
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4/12/2012