Pierre Loti photographe
Pierre Loti photographe
Alain Quella-Villéger, Bruno Vercier
Après Pierre Loti dessinateur (2009), voici Pierre Loti photographe. Une autre facette de cet artiste aux multiples talents. Un nouveau carnet de voyages, inspiré et largement inédit. Des voyages en Orient au fil desquels Loti, marin, promeneur, a composé, de 1894 à 1907, une œuvre d’un millier de clichés, dont plus de la moitié, les meilleurs, figurent ici.
Chronologiquement : la Terre sainte ; l’Inde et la Perse, d’où il rapporte deux saisissantes séries ; la Chine, la Corée et l’Indochine ; puis, avant l’Égypte, son cher Istanbul, dont il donne un foisonnement d’images, parmi les plus vivantes ; sans oublier des portraits de marins et de proches qu’il capte chez lui, à Rochefort et au Pays basque.
Des bords du Gange aux rives du Bosphore ou de la Bidassoa, de Jérusalem à Ispahan, le reporter Pierre Loti cède souvent le pas au romantique. Pénétré de l’évanescence des choses, il se hâte de les fixer de son regard d’artiste et d’enfant saisi par la magie de la photographie. Et il révèle du monde une vision pleine d’humanité, émerveillée.
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Sur lefigaro.fr, on peut lire cet article de Th. Clermont:
« Deux ans après ses dessins, ce sont des centaines de clichés pris par l’auteur de Pêcheur d’Islande qu’on découvre.
Regardez bien ces deux clichés, pris à une dizaine d’années de distance, au tournant du siècle. Ils résument toute la vie de Pierre Loti: un palmier tordu entre ciel et pierraille désertique, une goélette voguant entre deux continents, sur le Bosphore ; soit la soif du désert et l’appel du large, toujours rêvant à l’Orient, davantage vers la naissance du soleil. Ces photos ont été prises par Pierre Loti, qui s’était pris de passion pour ce nouveau médium une fois le cap de la quarantaine franchi, au moment où il entame la composition de son «Ramuntcho».
Plus qu’une découverte, il s’agit d’une véritable révélation. À travers quelque cinq cents images rassemblées pour la première fois dans cet album intelligemment édité, c’est l’oeuvre de Loti qu’on redécouvre, sous un prisme prodigieux. Alain Quella-Villéger et Bruno Vercier, qui nous avaient présenté il y a deux ans la passionnante oeuvre dessinée de l’écrivain, ont réalisé là un remarquable travail. L’officier de marine Julien Viaud (son véritable patronyme) est bel et bien sorti de sa longue traversée du désert littéraire. Enfin! Dommage que la découverte de la photo lui fût si tardive. Que ne donnerait-on pas pour avoir des images de son séjour à Tahiti, quand il avait vingt-et un-ans… Bien avant que Gauguin ou Segalen ne débarquent…
«Un reflet de l’âme»
«Partir, faire route, aborder, mettre pied à terre, reprendre la mer, partir et repartir, c’est la vie du marin. Il est né sous le signe de l’adieu. Le marin, qui a la conscience de lui-même, est l’homme qui se voit dans un perpétuel passage ; et il passe sa vie à tenir le journal de sa fuite. N’est-ce pas Loti lui-même, et le chrétien qui n’a plus Jésus-Christ? Il s’est fait turc, pour vivre dans la paix du moment. L’Oriental, dans Loti, est le pis-aller du chrétien qui manque le port de la paix éternelle.» Les mots du méridional André Suarès n’ont rien perdu de leur acuité. Tout est là. Tout est dit. C’était il y a presque un siècle.
Les chansons nubiennes des bateliers, la promiscuité des caravansérails, «les tambours caverneux du Ramazan», «les champs d’asphodèle du Moghreb sombre», «la foire cosmopolite» du Caire, les barils, les outres, les escales à risques, le regard de jais des jeunes filles… C’est là tout l’univers de Loti, avec pour hortus deliciarum, Constantinople, dite encore Stamboul. Il y effectuera une petite dizaine de séjours, et en reportera Aziyadé, puis plus tard Les Désenchantées. Il se poudre, passe ses yeux au khôl, porte le fez rouge et le caftan, met ses mains dans le henné. Laurent Tailhade dira méchamment: «La vieille Loti plus fardée que Clitandre.»
L’évanescence des choses
L’Empire ottoman occupe le centre de cet album, avec son long séjour entre 1903 et 1905, alors que l’académicien commande l’aviso-torpilleur Vautour. Il en tirera quelque 200 vues. Loti y a croqué, entre ombre et sépia, des paysages, des scènes de la vie quotidienne ou religieuses (prises dans la rue, sur le marché, dans les cafés…) des gréements, a saisi des portraits (son domestique Choukri et son majordome, rameurs de caïques), fixé les appontements sur le Bosphore, la mosquée baroque de Tophane. On pense au passage de son Journal (trois volumes déjà publiés aux Indes savantes): «Nous nous asseyons à la porte du cafedji qui fait face à la vieille fontaine de marbre et à ma maisonnette délabrée, Fénelon et moi demandant un café et un narguilhé. Et tout est comme autrefois, dans ce recoin immuable, tout, même les pampres jaunis et le ciel triste.» Une génération plus tard, Paul Morand ira à la recherche de ce Stamboul mythique et disparu, sans succès (La Nuit turque) ; l’Empire ottoman s’est écroulé. Loti a été son dernier témoin, son ultime reporter.
La technique photographique de ce «troubadour des réalités humbles» (Sophie Basch) est alors parfaitement maîtrisée: cadrage, sens des volumes, poésie arrachée au réel. Loti écrit avec sa «chambre obscure», d’abord un appareil Détective, puis un Vérascope Richard. Ses premières prises de vue remontent à son séjour en Terre sainte, à travers le Sinaï, Jérusalem, jusqu’au lac de Tibériade. Déjà, ses photos sont marquées par un certain tragique, «un reflet de l’âme».
Les témoignages les plus surprenants et les plus prenants proviennent de l’Inde, où il séjourne en 1900 (sublimes ghâts plongeant dans le Gange) et de la Chine au moment de la révolte des Boxers: jonques, hérons, tortues de bronze, musiciens des rues… Loti regarde, saisit et s’enivre de l’évanescence des hommes et des choses. Pour autant, il n’a pas oublié sa terre natale. En témoignent les nombreuses images prises sur la côte atlantique (Rochefort et Hendaye). Entre la procession de Roncevaux et des portraits de paysans charentais qui semblent sortis d’un tableau de Millet ou de Van Gogh, on y voit Loti en joueur de pelote basque…
Parallèlement, Arthaud publie cinq textes écrits entre 1895 et 1907 (dont Jérusalem, Vers Ispahan, qui narre sa traversée de la Perse, et La Mort de Philae, son journal égyptien), sous le titre Voyages au Moyen-Orient. »
http://www.bleu-autour.com/
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17/11/2012