En dehors de la fin
Chose promise, chose due : comme nous l’annoncions il y a quelques semaines, voici une petite chronique du dernier roman de Stéphane Beau qui a eu la gentillesse de nous faire parvenir un exemplaire en échange de la revue finissante… Nous vous recommandons la lecture des autres ouvrages de Stéphane ainsi que la revue qu’il anime, le Grognard et les blogs qui lui ont trait… Encore merci à lui pour son indéfectible soutien !
En dehors de la fin
Léopold aime les bouquins. Certains éleveurs disent qu’abattre industriellement des bêtes qu’ils ont élevées n’est pas incompatible avec l’amour et le respect que l’on peut leur porter. Léopold était libraire. Il n’y a aucun lien. Ou presque. Mais le jour de ses trente ans, comme un punk qui se découvre, Léopold est parti faire l’ermite à Porcatol, bien au sud de la Loire, là où les insectes ont un drôle d’accent. Il vit entouré de livres qu’il a cessé de vendre, dans une cabane digne d’un néo hippie des Cévennes, mais sans la wifi, puisque l’homme vit sans eau ni électricité. Léopold, en gros, c’est le fruit d’une union scabreuse entre Stéphane Beau, l’auteur du roman, et le très à la mode Henry-David Thoreau, l’auteur de Walden.
Léoplod, « l’en-dehors-du-bois » donc, fait la connaissance de Colas, un chiard de 7 piges qui trompe son ennui perché sur un arbre et qui se fout de la gueule de l’ermite, rapport à son prénom, histoire de détourner l’attention du sien, qui n’est pas mal non plus. Bref, on apprend de la rencontre du Père et du Fils que la peste birmane s’est propagée comme une bonne vieille chtouille à l’ensemble du territoire urbain et menace aux heures claires les campagnes hallucinées et les villages illusoires de ses tentacules contaminées et militaires. La milice veille, l’armée parque. Le peuple tousse et souffre, sousse et touffre. En gros, c’est la merde et le début de la fin qui n’est qu’un commencement, ce qui fait irrémédiablement penser au roman post-apocalyptique de McCarthy, La Route, auquel fait explicitement référence l’auteur. La question se pose alors : était-ce bien utile de pratiquer un tel renvoi ? L’intérêt en cas de reflux gastro-oesophagien de porter la main à la bouche demeure de ne pas incommoder ceux et celles qui nous environnent en masquant ce qui aurait pu rester un parfum dans le texte mais qui, et c’est le propre de l’éructation, devient dès lors, plus que gazeux ou malodorant, une note discordante… Nous y reviendrons.
Le début de la fin, c’est celui du titre choisi par Stéphane auquel fait référence la phrase d’exergue empruntée à Jossot dans les En Dehors du troupeau : « J’ai dit adieu à tout ce qui vous passionne ; j’ai rompu avec vos traditions ; je ne veux rien savoir de votre société maboulique ; ses mensonges et son hypocrisie me dégoûtent. Au milieu de votre fausse civilisation je m’isole ; je me réfugie en moi-même ; je ne trouve la paix que dans la solitude. » Les en-dehors, comme le rappelle un peu artificiellement l’auteur dès le début du roman, c’est d’abord « une vieille revue » qui a connu deux époques : « une première série était parue, sous forme hebdomadaire, entre 1891 et 1893, sous la direction du fougueux Zo d’Axa ; puis une seconde série, bimensuelle cette fois, aux couvertures vertes, roses, bleue, avait pris le relais sous la direction d’E. Armand, infatigable promoteur de la fraternité amoureuse et de la pensée anarchiste et individualiste ». Et ce petit roman sans prétention est la preuve que la volonté de vivre en dehors du troupeau, autant dire hors de la société capitaliste qui est la notre, est un leurre : vous pouvez vivre tout nu sur la cime d’une montagne à sucer des glaçons, cela ne suffit jamais à vous extraire du monde qui vous compose puisque vous le composez. Suffit d’une peste birmane ou batave pour le rappeler !
Des références, le roman en regorge comme une mise en abîme réussie mais peut-être involontaire de cette manie de libraire de référencer comme on pisse : nous retrouvons ainsi Han Ryner en clin d’œil à C. A., mais également Jünger, Huysmans et Jules Laforgue. Plus étonnant peut-être Benoît Malon en exergue à la troisième partie. Et celle que nous préférons et qui ouvre le second tableau, une citation très à propos de Joseph Proudhon : » Tous les jours, je me remplissais de mûres, de raiponces, de salsifis des prés, de pois verts, de graines de pavot, d’épis de maïs grillés, de baies de toutes sortes, prunelles, blessons, alises, merises, églantines, lambrusques, fruits sauvages. Je me gorgeais d’une masse de crudités à faire crever un petit bourgeois élevé gentiment ». Au delà de ces multiples références qui jonchent le récit, l’écriture de Stéphane dont c’est, rappelons-le, le cinquième roman, est simple et coulée et nous embarque insensiblement dans cette chronique doucereuse malgré la très équivoque trouée d’une énième victime féminine à coup de chevrotine. Nous avons même sourit à l’évocation du vieux Joulain qui aime l’eau autant que les chats : « je suis comme les fours, autonettoyant ! ». La troisième partie du roman, celle qui nous a le moins convaincue, peut-être à cause du personnage féminin qui lui donne son titre, n’en demeure pas moins intéressante puisqu’elle met en scène la manière dont l’État, à défaut d’éviter les catastrophes qu’il produit, met en place des dispositifs afin de les gérer socialement, une fois qu’elles se sont produites. C’est d’ailleurs l’un des thèmes abordés dans un ouvrage collectif récemment édité par Mutines Séditions et intitulé » Fukushima Paradise, pour une critique radicale du nucléaire » que nous ne saurions trop vous recommander de lire !
Bref, l’ambiance fin du monde est ici printanière, ce qui ne dénote pas particulièrement de l’idée que nous nous faisons de l’apocalypse, ni de celle que nous nous faisons du printemps (tiens, nous sommes le 21 mars). Seul bémol à l’ensemble, la fin, particulièrement déprimante pour tout ceux et toutes celles qui auraient la mauvaise idée d’associer le thème post-apocalyptique à l’utopisme qui n’a, rappelons-le, définitivement rien à voir avec l’angélisme dans lequel s’ébrouent nos survivants en queue d’aventures. L’espérance se niche bien plus souvent dans les ténèbres du monde que dans les trouées lumineuses qui donnent aux bois et aux forêts cet aspect tellement angoissant qu’on préfère encore se perdre dans un supermarché. Et ici de revenir à La Route, les chemins de traverse ne menant décidément nulle part ailleurs que vers cette fin que vient très étrangement commenter notre papivore et dilettante Stéphane Beau en parlant du livre de McCarthy : « Il se souvient qu’il s’était fait la réflexion que [l’auteur de La Route] n’avait pas osé, à la fin de l’histoire faire mourir l’enfant, préférant laisser planer un doute riche d’espoir sur sa possible survie dans cet univers d’apocalypse… l’infanticide, même en littérature, reste un acte transgressif majeur, un pas difficile à franchir, même pour un auteur de fictions…». Car à qui s’adresse cette réflexion ? Nous avons la faiblesse de croire que Stéphane Beau s’en prend à la fin de son propre roman lorsqu’il évoque d’une manière si incongrue celle choisie par McCarthy. On pourrait penser à première vue que comme dans La Route, l’enfant, le Fils au nom insigne, est épargné par l’auteur, tiède à transgresser ce qu’il dit être un tabou persistant en littérature, mais c’est un leurre. En réalité, c’est une scène d’infanticide particulièrement noire et pessismiste qui clôt le livre. Sans dévoiler l’issue du roman, disons que contrairement à La Route de Mc Carthy qui une marche sans relâche dans un roman que nous pourrions qualifier de la mobilité, Les En-dehors se termine comme on échoue chez les paysans : en s’embourbant. L’épilogue est une borne boueuse à l’humanité désormais posée. Ce que Stéphane tue à nos yeux, c’est l’enfant de la Route, le principe espérance. Si ce choix de massacrer l’enfant (notamment celui qui sommeille en chacun et chacune de nous, mais également en Léopold) est consciemment consenti par l’auteur, alors Les En-dehors est un roman noir particulièrement violent que nous vous conseillons davantage encore de lire !
Stéphane Beau, Les en dehors — La liberté pour horizon. (éditions du Petit Pavé)
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23/03/2012