Rêve à Bizan
Histoire d’un Rêve à Bizan
Cette œuvre, a été écrite en 1907 par ce prestigieux signataire, qui fut considéré comme le plus exceptionnel génie que le Judo ait jamais eu. Elève réputé de Maître Jigoro Kano, il servit de modèle au roman « Sugata Sanshiro », une sorte de « Trois Mousquetaires » japonais…
Il y a bien longtemps, cette histoire fut racontée à un expert par un vieux samouraï aux cheveux de neige et à la barbe d’argent. Voici le récit qu’en fit cet expert, Shiro Saigo, la légende du Kodokan naissant, l’un des plus prestigieux expert du Budo de tous les temps.
«Dernièrement, je m’étais décidé à faire le tour de la presqu’île de Shimabara pour chasser. La saison s’amorçait excellente et j’avais bon espoir.
C’est alors que je me suis souvenu qu’à deux kilomètres du Château Shimabara, près duquel je me trouvais, il existait une source d’eau thermale Shinto, au pied d’une montagne appelée Bizan et je m’y suis rendu pour me baigner et me reposer.
Je l’avais découverte sept ans auparavant. À 1’époque il y avait beaucoup de curistes. Les hôtels étaient nombreux. Mais la guerre russo-japonaise avait tout détruit et il ne restait plus rien d’habitable.
Sur le seuil dé sa masure, piquée dans ce site désolée et enchanteur à la fois, la vieille gardienne vendait des gâteaux aux petits enfants qui venaient jouer sur ce mont sacré.
Je lui ai demandé l’hospitalité et elle accepta avec bonté en me disant : « Tout ce que je peux vous offrir, si cela vous convient, c’est un peu de riz et une mauvaise natte. Mais heureusement, un vieux samouraï célèbre viendra ce soir pour le bain et vous pourrez toujours passer la nuit à bavarder avec lui. Maintenant, allez donc vous baigner pour vous reposer des fatigues de la route ».
Quand le vieux samouraï fut entré, je lui adressai un profond salut. En me redressant, je vis ses cheveux de neige, sa longue barbe d’argent, et sur ses vêtements les armes de son maître, un bâton porté par des bonzes, si mes souvenirs sont bons. Tout en lui respirait la bonté d’âme. Je me suis présenté: « Je me nomme Shiro Saigo, je suis venu ici pour chasser. On m’a parlé de vous, serait ce indiscret de vous demander votre nom ? »
«Avant d’avoir renoncé au monde, me répondit-il, j’étais au service d’un grand prince à qui j’enseignais le kendo. Maintenant on me nomme « Furuneko Mushinsai ». Tout près d’ici sur la montagne je me suis construit un petit refuge dans lequel j’étudie toute la journée». ,
Je songeais: «Quel nom étrange! Si Mushinsai par sa signification « qui a renoncé au monde » est bien un nom de samouraï, Furuneko qui veut dire « le vieux chat » est bien curieux. Aussi, intrigué par l’origine de ce nom, lui exprimai-je ma pensée: «J’ai parcouru bien des contrées mais jamais encore je n’ai entendu un nom semblable! »
«Vous avez raison, me répondit-il en souriant, Furuneko n’est pas mon nom pas plus que celui de mes enfants. Il m’est personnel et a son origine dans une étrange aventure dont je fus le témoin il y a bien longtemps. Mais vous ne pourrez la comprendre si vous n’avez pas une certaine expérience des arts guerriers; excusez-moi, l’avez-vous ?»
«Oui, répondis je, je me passionne pour les arts martiaux depuis mon enfance. durant ces seize dernières années, j’ai étudié le judo avec le Maître Jigoro Kano, mais à mon grand regret je n’ai pas encore pénétré tous les secrets du combat. Je vous en prie, contez-moi 1’histoire de votre nom, l’apprendre de votre bouche me serait une grande joie ». C’est bien, dit le vieux samouraï après un instant de réflexion, pour vous je parlerai donc. »
« Il y a bien longtemps, j’étais jeune encore, je m’adonnais aux arts guerriers. Un soir, je ne sais trop comment, un énorme rat s’introduisit dans ma chambre. J’allais chercher mon chat Tama, très friand de rats. Mais dès qu’ils furent face à face, le rat lui sauta à la tête, une fois, deux fois, trois fois, avec la rapidité d’une flèche… et je suis navré de le dire, mon chat si fort, mordu au nez, s’enfuit. Quatre autres chats, réputés pour leur courage et leur force, furent mis en déroute de la même façon. Tous, avec leurs blessures à la gorge, aux yeux, aux pattes avaient un aspect bien lamentable. J’étais stupéfait. En voyant cela, j’ai pensé qu’ils avaient eu peur et j’ai pris mon sabre d’exercice de kendo – discipline que j’étudiais depuis longtemps avec ardeur – mais au moment d’être frappé à mort, le rat esquiva. Je m’énervais, frappant à droite, à gauche, en avant, en arrière, il évita le coup chaque fois avec la rapidité de l’éclair, une fois même, courant le long de mon sabre de bambou, il me sauta dessus, en plein front.
Le brave guerrier que je suis en tremblait, à bout de force…
C’est alors qu’un voisin attiré par le bruit me dit : « Je connais un chat très courageux qui n’a pas son pareil, je vais vous le chercher, vous pourrez vous reposer ». Confus d’être aussi exténué en sa présence, j’acceptais.
Le chat qu’il m’amena était un très vieux chat. Je ne pouvais à première vue rien en espérer : ses canines et ses griffes étaient à demi usées et il avait de surcroît les yeux larmoyants. Il semblait même incapable de courir. Pas un instant, je ne pensais qu’il puisse tuer mon rat, mais puisqu’on m’assurait de son courage, peut-être avait-il une technique personnelle pour attraper les rats. Je le mis donc dans ma chambre. Aussi étrange que cela soit, ce gros rat qui avait mis en déroute tous les autres chats… et moi-même, habile kendoka, restait tout ratatiné de peur dans un coin !
Le vieux chat avançant avec calme, 1’attrapa doucement et le mangea paisiblement, sans qu’il oppose la moindre résistance !… C’était réellement incroyable.
Alors que j’allais assoupir, plus tard dans la nuit, il me sembla entendre dans le silence le murmure d’une conversation venu de la pièce voisine. Qui donc était là ?
Je regardais furtivement et je vis une assemblée de chat : le vieux chat et les jeunes. Ils l’avaient installé à la place d’honneur et accroupis devant lui chacun le saluait bien bas.
L’un d’eux s’avança et lui dis: «Nés pour attraper les rats durant des générations, nous avons perfectionné notre technique. Jamais jusqu’alors, nous n’avions connu de défaites… Nous sommes tous déshonorés avec ce rat formidable et pourtant vous, vous avez triomphé avec facilité de lui. Auriez-vous une technique spéciale? Voudriez-vous nous l’enseigner ? »
«Vous êtes jeunes, répondit le vieux chat, vos mouvements sont vifs, mais en vérité, vous ne connaissez pas le secret du combat pour être victorieux. C’est la seule raison de votre défaite. Bien que votre niveau d’évolution mentale diffère du mien, je vais vous révéler ce secret, en vérité fort simple. Mais auparavant, vous allez me conter l’histoire de votre pratique et m’analyser ce que vous éprouvé aujourd’hui en attaquant ce rat. »
L’un des plus jeunes, un chat noir, s’avança et dit: « Je venais à peine de sortir du sein de ma mère et je pouvais à peine ouvrir les yeux, que déjà je m’entraînais à attraper les papillons dans le ciel, les oiseaux dans le jardin et les petites souris dans la cuisine. Maintenant, j’ai beaucoup étudié. Je suis capable de sauter une barrière de deux mètres, je peux me faufiler par un trou grand comme un poing, courir sur une étroite solive aussi habilement que dans la rue, faire un saut périlleux, mordre, griffer bondir ou feindre le sommeil pour mieux surprendre, et bien d’autres choses encore. Chacun est d’accord avec moi pour reconnaître ma valeur mais je ne connais pas la raison de ma défaite ce soir. »
Le vieux chat lui répondit en souriant : « Vous avez bien fait d’étudier les principes et la technique. C’est en effet, pour que tout le monde puisse aborder la vérité fondamentale de la « Voie » que les grands experts ont arrêté les principes et la technique. Puisque la Voie est contenue dans ces principes, pour en connaître les secrets, vous devez étudier la progression de l’art. Mais quand vous possédez la théorie et que vous avez une technique efficace, si vous pensez que vous êtes un grand expert et que l’étude est terminée, vous êtes semblable à la grenouille au fond du puits qui est persuadée que le ciel est très petit… Bien au contraire, vous avez encore beaucoup à étudier pour comprendre que le secret de l’art ne réside pas dans la technique seule ».
Un puissant chat tigré s’avança alors et prit la parole: «A mes débuts, j’ai entendu mon professeur enseigner que le secret de la victoire se trouvait dans la force de l’esprit: le chi. J’ai vérifié que lorsque l’on combat un ennemi, on doit le dominer par la force de notre esprit et qu’il est alors à notre merci. Bien que l’on ne fasse aucun effort particulier dans ce but, la bonne technique est prête à jaillir librement suivant les circonstances.
Par notre regard seul, chargé de chi, on peut faire tomber le rat qui court sur la poutre. C’est pourquoi, je n’ai cessé de tremper mon esprit. Maintenant mon corps est plein de force et il me semble que ma force s’étend à tout l’univers. En combat, j’ai toujours usé de cette force avec succès… Par quelle étrange magie ce rat m’a-t-il échappé ce soir? Avant même que j’ai eu le temps de remarquer son existence, tel un fantôme il n’était plus là, se déplaçant avec une déconcertante habileté: Ma technique favorite a été inefficace, la puissance de mon esprit aussi et de surcroît j’ai subi une grande défaite. Mon étude était probablement insuffisante, mais je ne sais pourquoi ? Voudriez vous avoir l’obligeance de m’éclairer ? »
Le vieux chat lui répondit gravement: « Cette puissance de l’esprit que vous avez étudiée, est une force temporaire car vous comptez sur elle. Il n’est jamais bon de compter sur quelque chose. Quand vous voulez soumettre votre ennemi, l’ennemi aussi veut vous soumettre. Supposez que vous vous trouviez face à une personne que vous ne puissiez dominer, qu’adviendra-t-il alors ? Par ailleurs, si vous sous-estimez votre ennemi, il peut fort bien vous mépriser aussi, et si d’aventure, il vous est supérieur, que ferez-vous ? Vous pensez toujours être supérieur, c’est très mauvais. Ce que vous avez senti dans votre corps et dans l’univers est bien une manifestation de l’énergie, mais votre esprit est encore loin du KOO ZEN NO KI du philosophe chinois Mooshi, qui veut dire « vision large ».
KOO ZEN NO KI est bien la force de l’univers, mais celle de votre esprit est une force passagère. Telle est la différence entre la force constante du courant et l’inondation d’une nuit. Je vais vous rappeler pour finir le vieux proverbe: « Le mouton enragé mord », il en fut de même pour votre rat. À l’instant critique de sa vie, plus rien n’a compté, sa vie, sa mort, son désir, sa défaite ou sa victoire. Il n’a pas cherché à protéger son corps et c’est là le secret qui a donné à son esprit la dureté de l’acier. Il est évident que vous ne pouviez le vaincre avec votre esprit ! La nature de votre chi est en quelque sorte de l’entêtement une des choses les plus nuisibles pour les arts martiaux. L’entêtement lie le corps et l’esprit pour le rendre semblable aux statues de pierre et paralyse l’activité. C’est pourquoi, il arrive fréquemment qu’un plus faible vous surpasse.
« KI NO KORI WA TEKI NI KOKORO O, OKU MONOTO, KANETE ZO SATORE ASANA YUNA NI » signifie: l’obsession de la victoire est l’état d’âme favorable à votre ennemi, c’est-à-dire contre vous-même. Il faut vous en souvenir chaque aube et chaque crépuscule.
Mon chi, au contraire, est celui qui anime aussi bien la force positive que la force négative, c’est l’esprit immobile et éternel.
Souvenez-vous de TENDEN SEIKA NO CHIKARA, qui vous conseille de mettre toute votre force dans l’abdomen. En surveillant bien ce point, étudiez-le très sérieusement.
Un long silence suivit ce conseil, puis un chat tacheté d’un certain âge s’avança lentement et dit: « Je pense que le secret de la victoire réside dans Ju et Wa, en d’autre mots souplesse et non-résistance. De même qu’avec un voile léger, on arrête une pierre, quand l’ennemi avance, je me retire sans m’opposer et quand il me tire, je le suis sans résistance. Longtemps, je me suis exercé à l’art de gagner en utilisant la force de l’adversaire conservant la mienne en réserve, mais ce soir, je n’ai pu contrôler ce rat avec mon Ju, ni le maîtriser avec mon Wa. Loin de l’emporter, j’ai accumulé les maladresses. Que dois-je penser de la maxime : « La souplesse l’emporte toujours sur la force. »
JU YOKU GO O SEI SU ? Voudriez-vous m’éclairer pour éviter qu’un tel doute ne rentre en moi ?
Le vieux chat acquiesça et lui dit: «Le Ju et le Wa qui ont fait l’objet de vos études ne sont pas les mêmes qui permettent à l’inspiration naturelle de jaillir spontanément par le canal du « non-moi » et de l’innocence. Les vôtres ont été inventés de toutes pièces et vous les utilisez comme expédient, d’où votre défaillance aujourd’hui. Lorsque l’on est animé par l’égoïsme et que l’on recherche un profit personnel, l’intuition de ce qu’il a de mieux à faire ne peut circuler en nous. Votre esprit freiné par l’égoïsme ne permet pas le jaillissement divin de l’inspiration naturelle. C’est l’inspiration naturelle issue du « non-moi » et du « non-désir » de l’univers, par abandon aux variations naturelles du pouvoir positif et négatif, qui produit le vent et le tonnerre, les nuages et la pluie, le chaud et le froid, toutes choses sans principe. De même pour que le Ju et le Wa des arts martiaux puissent être d’inspiration naturelle, ils doivent être issus de notre « non-moi » et de notre « non-désir ».
Je me souviens que dans ma jeunesse un chat étrange habitait un village voisin. Jour et nuit, il semblait dormit. On aurait cru un chat de pierre. Personne ne se souvenait l’avoir vu attraper un seul rat. Pourtant il n’y avait pas le moindre rat aux alentours de sa demeure, et quand il se trouvait dans un autre lieu les rats disparaissaient alors. Je lui ai rendu visite pour l’interroger sur ce mystère. Il ne m’a jamais répondu. À plusieurs reprises, j’ai renouvelé ma question, mais il a gardé le silence. C’est alors que j’ai saisi clairement que lorsque la compréhension est venue, on ne parle pas, tandis que l’on parle beaucoup quand on n’a pas compris.
Si ce chat se taisait, ce n’est pas qu’il ne pouvait me répondre mais on pouvait dire qu’il avait approfondi les principes les arts martiaux par son détachement se soi-même et de toutes choses. » (N°25)
Je les écoutais ainsi depuis un certain moment. À la fin, ne pouvant plus me taire, je m’introduisis parmi eux et après avoir salué le vieux chat comme il se devait, je lui dis: « Je suis un homme d’arme et je l’ai toujours été jusqu’à présent, ceci pour vous dire que je ne suis pas un novice dans cette voie et qu’il y a déjà bien longtemps que j’étudie les arts martiaux. Je dois vous avouer que malgré tous mes efforts, je ne suis pas encore parvenu à pénétrer au cœur de ces arts.
Sans le vouloir et par un heureux hasard, il se trouve que j’ai entendu votre conversation au sens si profond. Il m’a semblé, en vous écoutant, avoir eu comme une révélation de ce qui est le plus difficile dans les arts guerriers. Je serai au comble de mes désirs si je pouvais en pénétrer plus encore les secrets fondamentaux.
Alors le vieux chat descendit lentement de sa place d’honneur et m’ayant salué bien bas dans toutes les règles du vieux protocole, me répondit gravement :
« Je ne suis qu’un humble petit animal. Comment pourrais je et comment se pourrait il que je puisse aussi savoir ce que peuvent connaître les hommes, Rois de la création… Mais, j’ai entendu dire autrefois par mon maître que les secrets de l’art d’attraper les souris et ceux des arts martiaux étaient les mêmes et qu’ils ne formaient qu’une et unique Voie. C’est pourquoi il se pourrait que je puisse faire l’impolitesse d’enseigner quelque chose à l’homme. Si vous m’assurez que vous ne vous offenserez pas, je suis prêt à vous dévoiler mon humble savoir à titre d’information. »
Comme je protestais en affirmant que loin d’être offensé, je serai des plus heureux, il poursuivit:
« Selon ma pensée, la véritable nature ou l’essence des arts martiaux ne doit pas avoir de temps, ni d’odeur, cela doit être quelque chose comme le vide, la mort, car elle se trouve partout bien vivante. C’est une chose incommensurable et merveilleuse qui agit toujours étrangement. Quand on se trempe dans cette essence, si incroyable que cela puisse paraître, les mauvaises pensées, les désirs, tout disparaît comme le brouillard est dispersé par le soleil matinal. Le soupçon, l’illusion et l’angoisse fondent complètement et vous êtes baigné par le véritable chi pénétrant au plus profond de vous-même. Vous éprouvez comme une immense satisfaction. Vous sentez aussi que la barrière entre la mort, le monde limité et illimité se dissout d’elle-même.
Le secret de la pratique des arts martiaux ne se trouve pas « principalement » dans la victoire ou la défaite, où l’on rivalise de techniques mais dans l’action d’assimiler son entité. Le secret pour y arriver est le profond détachement de soi-même et du désir de l’intérêt individuel.
Dans un vieux proverbe, on dit: « Si tu as une poussière dans les yeux, le monde te paraît bien petit. Si tout disparaît de ton cœur, l’existence te paraîtra immense. » On trouve aussi dans le EKKYO (art de la divination) un passage particulièrement intéressant par l’enseignement que l’on y trouve : « Par l’immobilité complète, par le détachement de soi-même avec toutes pensées, votre intuition travaillera d’elle-même pour se mettre en contact avec le monde ».
Autrement dit, si vous rejetez toute mauvaise pensée, tout désir, vous serez entièrement, et sans que vous le sachiez, dans la Voie de la Nature et de l’Univers. Vous atteindrez ainsi à un plénitude de comportement aussi merveilleuse qu’étrange pour les autres.
Le prêtre zen qui a la révélation du ciel (KU) et veut obtenir ANSHIN RITSUMEI, c’est-à-dire la tranquillité de l’esprit, la vérité et la compréhension de sa mission, y parvient par différents moyens aux prix de dures souffrances : s’asseoir dans l’obscurité d’une salle de zen en plein hiver et se recueillir profondément dans le silence complet pendant de longues heures, s’enfoncer au plus profond des montagnes et des forêts, se faire asperger par l’eau glacée et purifiante d’une cascade tombant d’une hauteur de plus de mille pieds, jeûner et rejeter tout désir corporel. Ces souffrances pour atteindre l’entité, sont parallèles à l’objet principal de la pratique des arts martiaux.
Le vrai samouraï ne perd jamais la raison devant n’importe quel événement, il n’éprouve aucune frayeur ni se trouble devant la menace d’une lame étincelante, si grande que puisse être sa souffrance, il restera impavide aussi bien dans l’épreuve de l’eau que dans celle du feu, impassible même s’il est l’objet des pires injures et il ne s’enorgueillit pas d’aucune action si brillante soit elle. La raison de son pouvoir réside dans le fait qu’il a su comprendre la véritable nature des arts martiaux. Tout cela se rapporte à ce que l’on appelle « l’intuition réciproque » ou « la communication d’esprit à esprit », et pour obtenir cette intuition, il faut que vous vous éprouviez les uns les autres, que vous vous heurtiez réciproquement pour devenir plus brillants et meilleurs ensemble. Il faut passer par toute sorte de souffrances et s’est au cours de cette longue période que vous comprendrez et assimilerez naturellement, sans vous en rendre compte.
Aucun maître ayant eu la révélation de la Voie, si sage fut-il, ne peut donner une définition exacte de cette chose, ni lui donner une forme quelconque… Tu dois comprendre cela.
Le vieux chat finit là son explication puis disparut aussi subitement à mes yeux que s’il s’était dissout dans 1’air. Mais j’avais eu en écoutant son discours, comme le sentiment d’avoir atteint le fond même de la révélation.
Il y avait à cette époque plusieurs maîtres versés dans la Voie que je suivais, mais depuis l’histoire que je viens d’évoquer pour vous, je n’éprouvais plus aucun désavantage sur eux. C’était grâce au don transmis par le vieux chat. C’est pour ne pas oublier sa bonté que je me suis décidé à prendre pour nom: Furuneko…(Furuneko, le vieux chat). Là se termine mon histoire.
Le samouraï avait parlé bien longuement. Déjà, les oiseaux gazoui1laient dans les bois environnants et le sommet de la montagne BIZAN commençaient à se teinter des couleurs rougeâtres de l’aurore, Je le remerciais vivement de sa si intéressante histoire et après l’avoir salué respectueusement, j’allais lui exprimer le souhait de le revoir bientôt… À cet instant même, une voix retentit à mes oreilles et tout disparut dans le néant.
Tout étonné, je constatais que j’étais couché sur la natte de l’auberge. Je me relevais à demi et je compris ce qui m’avait réveillé… La vieille hôtesse de la masure venait d’annoncer que le petit déjeuner était prêt ! C’est alors que je réalisais que tout ce que j’avais vu et entendu n’avait été qu’un rêve !
Miaou-ou… Un cri plaintif et innocent sortit de dessous mes couverture et me fit tressaillir… C’était le gentil petit chat que j’avais mis hier soir avant de m’endormir, contre mes pieds en guise de bouillotte… »
RÊVE A BIZAN
paru dans BUDO INTERNATIONAL N° 25 – 11/96 dans la Chronique de Maitre Henry Plee
2 commentaires pour “Rêve à Bizan”
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17/11/2010
Merci infiniment pour cette méditation
Oss !