Colloque sur la Revue Blanche
Jeudi 29 janvier 2009. Colloque sur les Combats Républicains de la Revue Blanche, mais également grève générale en France. Le train de 8h17 est bel et bien annulé, mais aucun souci pour rejoindre Paris, puisque le TGV suivant, celui de 8h30 est maintenu. Comme d’ailleurs la plupart des autres trains sur la ligne. Le Capital n’a pas trop de soucis à se faire ! Direction les jardins du Luxembourg. Nous passons devant le lycée Montaigne où les lycéens ont fait flamber quelques palettes avant de partir en manifestation sauvage. Nous nous arrêtons devant la boutique José Corti. Nous feuilletons leur Vateck, puis nous nous rendons à deux pas de là aux éditions Honoré Champion dont les portes sont encore closes : leurs bouquins sont hors de prix et en plus, ils branlent que dalle ! De dépit, nous nous rendons au 15 de la rue Vaugirard où nous retrouvons nos lycéens juchés sur les fenêtres du Sénat, face à des dizaines et des dizaines de cars de flics qui se massent peu à peu dans le quartier Odéon. L’occupation est vaine, mais ils ont le mérite d’oser ; ils sont finalement contraints de déguerpir fissa. 10h45, c’est à notre tour de nous frotter de plus près à la bleusaille qui garde les lieux. C’est toujours un moment désagréable : papiers, fouille, portique, étiquetage. Le cérémonial est ridicule, mais les sénateurs au fond savent bien, eux, pourquoi on prend autant de précautions à l’entrée du sanctuaire. Le lard ne protège pas de tout.
Le colloque a lieu dans la salle Clémenceau et commence par une présentation superflue du programme de la journée par Yves Dauge. Faut bien justifier son salaire diront les grincheux. C’est ensuite au tour de Paul-Henri Bourrelier, l’auteur du remarqué La Revue Blanche, une génération dans l’engagement, de prendre la parole et d’introduire la brillante communication de Verdiana Grossi sur Gaston Moch. Nous avouons être très peu curieux du personnage et encore moins du thème qu’il semble incarner, le pacifisme, mais grâce à cette présentation de l’intellectuel engagé, nous savons un peu plus pourquoi. L’éclairage d’Hubert Lévy-Lambert sur les polytechniciens dreyfusards, lui, ne nous a pas passionné contrairement à l’intervention de Jean-Claude Lescure sur le mouvement esperantiste, qu’il entame sur cette citation de Charles De Gaulle, déclarant au cours d’une conférence de presse, le 15 mai 1962 : » Dante, Goethe, Chateaubriand, appartiennent à toute l’Europe dans la mesure même où ils étaient respectivement et éminemment Italien, Allemand et Français. Ils n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et qu’ils avaient pensé, écrit en quelque espéranto ou volapük intégrés. » Sacré Charles ! Jean-Claude Lescure en profite pour nous apprendre ce que fut le volapük, et commente l’investissement de nombreux anarchistes et pacifistes dans le mouvement espérantiste. Il rappelle néanmoins qu’ils ne seront pas les seuls à croire aux vertus de la langue universelle puisque des catholiques, mais également des militaires, tenteront d’apprendre l’espéranto dans une optique peut-être moins humaniste que ses initiateurs. La matinée s’achève sur l’intervention d’Alexandre Moatti mettant en lumière les liens existant entre le combat pour la paix et la lutte qui se joue autour du progrès scientifique à la fin du dix-neuvième siècle. De quoi nous donner faim.
Nous fuyons momentanément l’antre du Mal pour revenir se coltiner une heure plus tard le même cirque sécuritaire. Le public est plus nombreux que le matin. Un a priori nous fait penser que toutes ces bonnes gens n’ont pas dû débrayer pour venir assister en douce à ce colloque. Par contre, un petit détour par les toilettes sénatoriales nous fait dire que le sénateur ne pisse pas droit. C’est Jean-Yves Mollier, le spécialiste de l’édition moderne, qui inaugure l’après-midi en s’intéressant aux sources du renouvellement de l’édition française à la belle époque. Il est évidemment question de revues et de tactique littéraire. Intéressant, il va sans dire. Géraldi Leroy, lui, s’attelle au Péguy révolutionnaire, de la Revue Blanche aux Cahiers de la quinzaine. Tout cela mériterait qu’on s’y attarde car Péguy, vous le savez, est un individu complexe. Le titre de l’ouvrage de Leroy résume bien le sujet de l’intervention : Péguy entre l’ordre et la révolution. Mais pas le temps de gamberger ! L’intervention enlevée de Michel Drouin réveille un peu les esprits, les fauteuils du Sénat s’étant révélés un piège pour de nombreux auditeurs. A moins que ça ne soit le repas. Bref. Le secrétaire de la société internationale d’histoire de l’affaire Dreyfus, spécialiste par ailleurs de Suarés, nous parle de Georges et Albert Clémenceau dans cette même affaire Dreyfus, mais il est plus question d’Urbain Gohier et de son procès que du tigre et de son frère. Drouin prend le soin de revenir sur le scandale du pamphlet antimilitariste L’Armée contre la nation, et du procès qui s’en est suivi à l’occasion duquel Mirbeau, entre autres, sera appelé à la barre. Rappelons quand même que c’est le même Urbain Gohier, dreyfusard et antisémite, qui sera l’un des premiers à publier Les Protocoles des Sages de Sion en France et qui disait de Charles Maurras qu’il était un « métèque » et Léon Daudet un « Davidet » ou un « Ben Daoud ». C’est pour dire ! Puis vient le tour de Philippe Oriol, à moins que cela n’ait été le contraire, pour un bref mais vivifiant topo, en Fred Perry, sur l’attentat d’avril 1894 devant le Sénat, les anarchistes et Félix Fénéon. Philippe arbore d’ailleurs une petite barbichette du plus bel effet en hommage à ce dernier. Paul-Henri Bourrelier nous rappelle ensuite, peut-être un peu trop longuement, l’importance de Léon Blum et du groupe des normaliens engagés (Herr, Andler et Simiand) au sein de la revue. Le contraste avec l’intervention précédente est presque douloureux, mais résume parfaitement au final l’esprit de la Revue Blanche. Bernard Joly corrige le tir en enchaînant très rapidement sur l’antisémitisme en 1900 alors que Gilles Manceron s’étale sur la fondation de la Ligue des droits de l’homme, dont personnellement nous nous brossons. Nous aurions préféré l’inverse et surtout nous aurions aimé entendre la totalité de l’intervention de Cécile Barraud sur la « critique des moeurs » de la belle époque dans les colonnes de la revue ; disons qu’à ce propos, rien n’a vraiment changé et quand les hommes ont pris largement la parole, c’est celle des femmes qu’on écourte. Se gargariser de démocratie et de « combats républicains », ça prend du temps, et puis il y a les actes. Au diable les derniers, surtout si ce sont des dernières. De toutes façons, c’est la faute des grévistes. Vous comprenez, il faut que tout le monde puisse rentrer chez soi ! Ca n’empêchera ni Claude Estier de prendre largement la parole, ni Bernard Esambert de parler de guerre économique, mais réduira considérablement l’intervention de Céline Keller sur son aïeul Victor Barrucand. Dommage une fois de plus, nous aurions aimé en entendre davantage sur l’Akhbar, journal algérois dont Barrucand a été le directeur de 1902 à sa mort en 1934. Mais Yves Dauge soupire, il faut partir. Juste le temps de saluer Pierre Michel et nous fuyons définitivement le Sénat pour la place de l’Opéra où l’on s’amuse beaucoup plus.
Notons quand même la jolie petite exposition sur les dessins politiques d’Hermann-Paul, de Vallotton, d’Ibels, de Couturier, de Braun, Roubille, Rodier, Granjouan, Lossot et Iribe dans le Cri de Paris, entre 1897 et 1901 et la distribution à l’entrée du colloque du catalogue de 32 pages établi pour l’exposition organisée par Paul-Henri Bourrelier à Paris, en octobre 2007, sur la Revue Blanche et le Cri de Paris.
Laisser un commentaire
31/01/2009