Futurisme ! nom de dieu !
On attendait la réponse au texte de Marc Dachy, sur le futurisme, paru chez l’Alamblog, et reproduit quelque part ici, en commentaire… la voici !!! Et elle émane de Didier Ottinger. Le débat est lancé !
« On les fusille et on leur fait les poches » (nouvel épisode)
Réponse à « Une avant-garde ridicule » de Marc Dachy.
Pour la communauté des « historiens de l’art » et des « critiques avertis » à laquelle en appelle Marc Dachy, une avant-garde ressemblait jusque-là à un groupe d’artistes fédérés autour d’un manifeste, adeptes d’une stratégie d’action collective.
Dans la version hyperromantique de l’avant-garde élaborée par Marc Dachy, celle-ci devient un « combat mené par des hommes isolés et sans appuis, dans un contexte où il peut apparaître impossible et inutile. » Puisque tout semble possible dans l’ordre de la subjectivité, demain, un historien de l’art audacieux nous apprendra que Donatello était bien une tortue Ninja.
Le texte concocté par Marc Dachy appelle, « à l’état brut, décousu », quelques remarques et précisions.
– À propos de l’apport artistique « très relatif » du Futurisme. En bon historien de Dada, Marc Dachy est bien placé pour mesurer à quel point « l’antitradition futuriste », la stratégie de « communication », les formes nouvelles de « performance », les recherches bruitistes, les « mots en liberté » futuristes ont fructifié dans le contexte de Dada d’abord, avant de constituer le bréviaire de l’ensemble des avant-gardes du XXe siècle. (Voir sur ce point Giovanni Lista, Dada, libertin et libertaire, Paris, Éditions l’Insolite, 2005.)
C’est Jacques Rivière qui, en 1921, dans La Nouvelle Revue Française, découvrait de troublantes similitudes entre l’activisme de Dada et celui du premier Futurisme. À propos de Tzara, il écrivait : « Il est fort sympathique, Marinetti l’était aussi. » La même année, c’était Marinetti lui-même qui constatait : « vous, les Dadas, je vous ai enfantés et vous m’êtes sympathiques. Et l’on n’est jamais si bien renié que par ses enfants. ». Un an plus tard, El Lissistky confirmait que « les dadaïstes sont semblables comme deux gouttes d’eau aux premiers futuristes de la période d’avant-guerre. »
– Le Futurisme : une « opération publicitaire » ? Voilà qui rappelle étrangement les propos de Breton, reprochant à Tzara d’être un « imposteur avide de réclame ! ».
– Le mouvement futuriste ne s’est pas vu confirmé par « l’évolution générale » Si l’assertion pouvait être démontrée, cette marginalité vaudrait, de facto, au Futurisme d’apparaître comme un groupe d’« hommes isolés et sans appuis, dans un contexte où il peut apparaître impossible et inutile », soit, selon la définition de Marc Dachy, comme une authentique et pure avant-garde. Plus sérieusement, comment nier, entre autres, la postérité dadaïste des lectures-performances découverte par Hugo Ball à Berlin en 1913 ? Celle du « tactilisme » de Marinetti, réinterprété par Raoul Hausmann avec son « art haptique » ? Dans leur « Livre des artistes nouveaux », Kassak et Moholy-Nagy confirmaient, dès 1922, le rôle historique du Futurisme comme avant-garde fondatrice du mouvement moderne.
– Le Futurisme fut lancé « par un seul homme. » Ne conviendrait-il pas de distinguer précisément, au nom de cette affirmation, ce qui relève de l’initiative d’un « homme seul » : le Manifeste fondateur et ses outrances rhétoriques, les manifestes suivants, celui des peintres futuristes italiens par exemple, dont le rédacteur principal, Umberto Boccioni, ne reprend pas ces excès à son compte. Pour apporter de l’eau au moulin de Marc Dachy : en 1915, Palazzeschi, Papini et Soffici ont jugé utile de distinguer Futurisme et Marinettisme (cf. l’article « Futurismo et Marinettismo » paru dans Lacerba, Florence, n° 7, 14 février 1915). Comment, en outre, refuser de voir dans le geste de Marinetti une part de burlesque assumé ?
– « L’indigence théorique des textes des Italiens » ? Voir, sur ce point, les textes de Boccioni et chercher, à la même époque, l’équivalent en termes de sophistication théorique. Considérer, par comparaison, la prose cubiste engluée dans ses appels à la tradition « nationale ». Où sont les textes, au temps du premier Cubisme, capables d’être placés face à ceux de Soffici ?
– « Le refoulé religieux » du Futurisme ? Un Himalaya d’ignorance ! Le premier Futurisme (le seul dont il est question dans l’exposition) a gardé de ses racines libertaires un profond sentiment anticlérical. C’est au nom de cet attachement aux valeurs anarchistes que Marinetti rompt, en 1920, avec Mussolini, lorsque précisément celui-ci fonde le fascisme italien, en affirmant sa fidélité à l’église. « Refoulé religieux » de Félix Del Marle qui, au nom de ses convictions franc-maçonnes, en appelle à la « destruction de Montmartre » ? Chercher (en vain) l’équivalent futuriste des délires mystiques d’Hugo Ball, ou ceux de Michel Carrouges !
– Marinetti « qui bâillonnait les tentatives d’émancipation » ? Comparer, une fois de plus, Futurisme et, par exemple, Surréalisme, pour mesurer l’écart entre un mouvement résolument ouvert aux prosélytes (Del Marle, Nevinson…) et un autre adepte des « procès », « exclusions », jugements inquisitoriaux (Dalì, Giacometti, Brauner…).
– « Tant pis pour le Futurisme russe » ? J’invite sur ce point à visiter l’exposition du Centre Pompidou. On y verra une section consacrée au Cubofuturisme russe. Dans le catalogue publié à cette occasion, on découvrira un texte de Jean-Claude Marcadé consacré à cette question. Quant à faire l’apologie des réticences russes à cautionner le Futurisme marinettien à Moscou en 1914, autant faire l’apologie du nationalisme slavophile ! (« Aujourd’hui, certains indigènes et la colonie italienne des bords de la Neva tombent pour des raisons personnelles aux pieds de Marinetti, trahissant le premier pas de l’art russe sur le chemin de la liberté et de l’honneur et courbent le noble cou de l’Asie sous le joug de l’Europe. » (Bénédikt Livchits, L’Archer à un œil et demi, Lausanne, L’Âge d’homme, 1971).
– À propos de la « confusion absolue » liée à la présence de Duchamp, Picabia, Kupka… dans l’exposition C’est que ces artistes, et quelques autres, n’ont pas reconnu au Futurisme le « ridicule » que vous lui prêtez ! (Les témoignages historiques, comme les œuvres produites à l’époque témoignent de la présence répétée de Duchamp dans l’exposition parisienne des peintres futuristes en février 1912.) C’est Apollinaire lui-même qui au Salon des indépendants de 1914 constate que « Cette année, le Futurisme a commencé d’envahir le Salon […]. Il semble qu’un certain nombre d’artistes parisiens se soient laissés influencer par les théories des futuristes. » Si une chose est démontrée, par les œuvres seules dans l’exposition du Centre Pompidou, c’est précisément cette filiation directe.
– Pour ce qui est du « mépris de la femme » Je recommande chaudement la lecture de l’article de Noëmi Onimus-Blumenkranz « Les femmes dans le Futurisme italien » qui fait le point sur cette question, démontrant que le Futurisme fut le mouvement moderne le plus ouvert aux femmes : « Entre les déclarations destinées à combattre le sentimentalisme pseudoromantique et la réalité des faits, il y a une très grande marge. » Dès 1912, est publié par Valentine de Saint-Point un Manifeste de la femme futuriste. Dès 1914, est créée au sein du mouvement futuriste une « action féminine » dont on peinerait à trouver l’équivalent dans les mouvements d’avant-garde de l’époque.
– « Comment le Futurisme italien est-il reçu ? » Pour minorer la réception française du Futurisme, vous jugez bon de faire appel aux clichés xénophobes véhiculés par le nationalisme des années 1910. À ce jeu pervers, pourquoi ne pas s’appuyer sur les remarques d’André Breton visant à démontrer que Dada était un mouvement de « métèques ». Appuyer une démonstration adressée aux « historiens de l’art » sur ce qui ressemble à des ragots de bistrot (les remarques de Fernande Olivier à propos des futuristes) sert-il vraiment la cause de l’avant-gardisme « solitaire et sans appuis » ?
– Le bellicisme futuriste ? C’est un fait ! Ajoutons en un, hélas à l’époque d’ampleur européenne. Apollinaire s’engage, puis s’émerveille : « Dieu que la guerre est jolie ! », Fernand Léger s’extasie devant la beauté d’une culasse de 75. Otto Dix se représente en 1915 en Dieu-Mars, Franz Marc et tant d’autres partent au front la fleur au fusil… Ajoutons que le bellicisme de Marinetti deviendra plus acceptable, lorsque celui-ci, à partir d’août 1914, militera pour l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés de la France et des alliés (ce qui arrivera un an plus tard).
– Le nationalisme futuriste ? Je renvoie, sur ce point, aux études de Kenneth E. Silver analysant les effets du nationalisme français sur le Cubisme. Pour ce qui est du Cubisme, voir les textes de Metzinger et de Gleizes qui en appellent de façon insistante à une « tradition française ». Voir aussi l’apparition, en 1912, d’une vague de peintures de cathédrales sur les cimaises des Salons parisiens, d’un art français « gothique » loué par Apollinaire, mesurer ses similitudes troublantes avec le « celtisme » de la droite maurassienne de l’époque.
Tant d’approximations et d’erreurs factuelles nous conduisent à rechercher les motivations d’un tel aveuglement (dont les effets semblent dépasser le seul cas de Marc Dachy). Quels comptes sont donc à régler avec le Futurisme ? Un problème, assurément, d’origine œdipienne. Comment un défenseur passionné de Dada peut-il décemment nier ce que le mouvement zurichois doit au Futurisme ? Un héritage visiblement bien lourd à porter, compte tenu de son assimilation forcenée du Futurisme au fascisme !
Un peu de discernement permettrait d’assumer de façon plus paisible cette filiation douloureuse. Pourquoi ne pas se livrer à une étude sérieuse, portant sur la nature réelle, non fantasmée, du premier Futurisme ? On y découvrirait alors un groupe d’artistes dont l’engagement libertaire paraissait suffisamment convaincant à Félix Fénéon (qui sur ce point en connaissait un rayon !) pour qu’il leur ouvre les portes de la galerie parisienne dont il était le directeur artistique. Des artistes dont les valeurs plastiques (l’héritage du postimpressionnisme de Seurat et de Signac), dont les références philosophiques (Bergson) offraient une alternative crédible au formalisme et au traditionalisme cubistes.
Disqualifier le premier Futurisme au nom des dérives historiques qui ne le concernent pas est aussi tendancieux que de remettre en cause Dada sous prétexte que Tristan Tzara rejoint le PC stalinien en 1935, ou anathématiser le Picabia des années 1920 sous prétexte qu’il a chanté les louanges de Pétain aux temps de l’Occupation.
Rappelons que Boccioni meurt en 1915, que Russolo quitte le Futurisme quand Marinetti rapproche le mouvement du fascisme, que Severini, qui vit à Paris depuis 1906, est resté étranger à l’évolution politique de sa patrie d’origine, que Carrà enfin ne rejoint le fascisme qu’en reniant le Futurisme pour adopter l’esthétique néoclassique du Novecento, seule esthétique officielle du fascisme.
Didier Ottinger
Pour ceusses qui ont la mémoire courte, ou qui feignent de ne rien comprendre au débat, nous reproduisons le texte de Marc Dauchy…
Une avant-garde ridicule
« Homme de plume et de papier, Marinetti a fini dans l’académie fasciste de Mussolini comme un cheval de concours dans les lamentables arènes de sciure de bois de César, quand les vrais écrivains avaient quitté l’Italie fasciste ou y étaient emprisonnés, dans des camps de concentration ou bestialement assassinés. »
Moholy-Nagy (1946)
Le futurisme italien n’est pas un mouvement d’avant-garde.
Une avant-garde est un combat mené par des hommes isolés et sans appuis, dans un contexte où il peut paraître impossible et inutile.
Ce combat doit être essentiel en regard de ses objectifs, et transformer radicalement et durablement une discipline.
Il faut enfin, comme l’a énoncé Asger Jorn en 1956, que « la position gagnée par cette avant-garde soit plus tard confirmée par une évolution générale ».
A aucun de ces critères ne répond le futurisme italien.
L’évolution générale a infirmé le rôle du futurisme italien. Son apport artistique est très relatif ; il ne s’est guère vu confirmé par l’évolution générale. Il faut au contraire observer l’extrême caducité de ce mouvement, son usure significative à tous égards, artistique, théorique et, last but not least, idéologique.
Le futurisme fut lancé à grands renforts de moyens par un seul homme, opération publicitaire entreprise en première page du Figaro, Marinetti agissant ainsi comme l’homme de lettres Jean Moréas qui avait fait paraître le manifeste du symbolisme dans le même journal le 18 septembre 1886.
Un débat sur le futurisme italien en France ? Les dés sont pipés. L’histoire de l’Italie n’y est pas assez connue, l’intrication complexe du fascisme et du futurisme l’est encore moins. Il suffit pour prendre la mesure de cette intrication de lire les chercheurs qui ont établi que Mussolini emprunta aux futuristes des positions telles que le refus du doute ou du scepticisme et la théorisation de l’action violente. Il ne s’agit donc pas, comme tel ou tel nous y ont accoutumé en France, du cas de figure de l’artiste « engagé », fourvoyé ou compromis politiquement : le futurisme italien pose des problèmes spécifiques dès lors qu’il a inspiré la dynamique du fascisme mussolinien. Le débat sur cette question est impossible mais il ne présente guère d’intérêt en raison de l’indigence théorique des textes des italiens et de l’inconsistance des œuvres. L’évolution générale a tranché, Duchamp aurait dit « la postérité » : il n’y a pas place pour le futurisme italien dans la filiation subversive réfléchie qui relie Dada aux situationnistes, au nouveau réalisme et à Fluxus.
Si l’on ne peut établir une « identité » entre futurisme et fascisme, on sait en revanche que nombre d’éléments d’origine futuriste ont concouru à la mise en place idéologique du fascisme : la catharsis marinettienne, le futurisme comme contre-pied de tout réformisme, la violence considérée comme argument, la prétention du futurisme à dépasser par sa mentalité l’opposition entre subversion et conservatisme, le refoulé religieux, la volonté de confondre intimement collectivité et individu…
La mise en scène et la théâtralité de la machine fasciste est empruntée au futurisme.
Ridicule avant-gardiste d’opérette, girouette lyrique, chef de file manipulateur qui bâillonnait les tentatives d’émancipation , auto-caricature matamoresque et pathétique, Marinetti eût sans doute été un désopilant second couteau, une mouche du coche, dans Le Dictateur , si Charlie Chaplin n’avait eu d’autres chats à fouetter.
Le fait est que le futurisme ne rencontra pas le fascisme par accident et ne saurait être inclus au même titre qu’eux aux mouvements d’avant-garde du début du siècle lesquels sont d’ailleurs drainés par Dada qui se démarqua vivement et nommément du futurisme italien et plus globalement de tous autres mouvements par ses positions générales radicales et fertiles, atténuées ensuite dans le surréalisme.
Il y a va en effet de l’histoire des arts et de la pensée et du concept d’avant-garde. Considérer que les gesticulations italo-futuristes relèvent de l’avant-garde, c’est avaliser la pire acception bourgeoise sur le sujet. Et éviter la question de fond, d’ordre analytique : comment en s’affirmant comme une avant-garde radicale le futurisme italien a tourné en avant-garde ridicule, et en fin de compte en une sinistre pantalonnade. Une caricature excessive et ridicule, irréfléchie, sans rapport aucun avec un combat de fond en matière artistique ou sociale.
Les dés sont pipés.
En 1973, paraissait à l’Age d’Homme une anthologie de manifestes, documents et proclamations. On y lit dans l’introduction : « Nous avons ainsi supprimé un chapitre sur le futurisme politique qu’en un premier moment nous avions envisagé. »
L’exposition du Centre Pompidou s’intitule « Le Futurisme à Paris, une avant-garde explosive ». « Une avant-garde explosive » est le titre d’un volume de Larionov paru en France en 1978, il est donc ici détourné du futurisme russe au profit du futurisme italien à moins que ce sous-titre fasse écho, lui, au futurisme russe, ce qui crée une confusion. Parler du « futurisme à Paris » sans spécifier qu’il s’agit de la réception du futurisme italien à Paris revient à conforter une facilité embarrassante : il n’y aurait de futurisme qu’italien. Tant pis pour le futurisme russe que l’on ne saurait pourtant ignorer, que ce soit depuis le passionnant recueil de textes, Théorie de la littérature, publié dans la collection « Tel Quel » par Todorov en 1965, l’exposition « Poésure et peintrie » et sa section de futuristes russes en 1993, la fabuleuse exposition sur le livre d’avant-garde russe au MoMA en 2002, ou la publication d’importants extraits de l’histoire du futurisme russe de Markov dans le catalogue Poésure et peintrie (1993) ou la revue Luna-Park en 1985 et 2003. Sans compter enfin les textes de et sur Iliazd ou Larionov publiés chez Clémence Hiver, ou de Chklovski chez Champ libre, entre autres (comme le beau livre de Roman Jakobson, Russie folie poésie, paru en 1986).
Le titre de l’exposition indique aussi que le futurisme italien n’est pas le sujet de l’exposition, sujet de fond qui sera donc évacué, mais seulement sa réception, les œuvres italiennes étant mêlées à des œuvres de Duchamp, Picabia, Delaunay, Léger, Villon, Kupka et des futuristes et suprématistes russes. Confusion absolue donc.
Qu’est ce que le futurisme italien ?
En août 1911, Marinetti donne en français un ouvrage intitulé Le Futurisme. On peut y lire :
« La monarchie italienne doit avant tout consolider l’orgueil national en préparant la guerre. » (p. 59)
Dans le chapitre « Les premières batailles » :
« Chez les jeunes, ce que le cerveau n’avait pas compris, le sang l’avait deviné. C’est en effet au sang de la race italienne que nous nous sommes adressés…» (p. 78) « Gabriele D’Annunzio (…) plagia notre affirmation sur le mépris de la femme, condition essentielle pour l’existence du héros moderne. » (p. 78) « La paix prolongée (…) est fatale aux races latines. » (p. 88)
« Ne croyez-vous pas que la chasteté est la plus importante vertu d’un peuple ? » (p. 89).
Dans le chapitre « Trieste, notre belle poudrière » :
« Les faux aveniristes nous déclarent rétrogrades à cause de notre patriotisme et de notre amour pour la guerre. » (p. 101)
« Quand les internationalistes exaltent la paix, c’est ce qu’il y a de pire dans leur sang (ce qui tremble et pourrit) qui parle en eux. (…) C’est châtrer les races et faire une culture intensive de la lâcheté. » (p. 102)
« N’avez-vous jamais vu une assemblée de jeunes révolutionnaires ou anarchistes ? Eh bien : il n’est pas de spectacle plus décourageant. » (p. 104)
Dans le chapitre « Le mépris de la femme » :
« Oui nous méprisons la femme. (p. 105).
« Nous sommes persuadés que l’amour, sentiment et luxure, est la chose la moins naturelle du monde. Il n’y a de naturelle que la continuation de l’espèce. » (p. 105)
« L’amour, obsession romantique et volupté, n’est autre chose qu’une invention des poètes, qui en ont doté l’humanité. Ce seront les poètes qui le reprendront à l’humanité ! » (p. 106)
« La vie charnelle sera réduite à la pure fonction conservatrice de l’espèce et ce sera autant de gagné pour la taille grandissante de l’homme. » (p. 106)
« Le parlementarisme est presque partout une forme usée. (…) Le peuple ne peut et ne pourra jamais être représenté par des mandataires qu’il est inhabile à choisir. » (p. 107)
Dans le chapitre « L’homme multiplié et le règne de la machine » :
« Il faut préparer (…) l’identification de l’homme avec le moteur, facilitant et perfectionnant un échange continuel d’intuitions, de rythmes, d’instincts et de disciplines métalliques… » (p. 112)
« Aux plus passionnés des jeunes gens, je conseille l’amour des bêtes – chevaux, chiens ou chats – car cet amour peut combler d’une façon régulière leur besoin d’affection que la femme ne ferait qu’exaspérer par les bonds de ses caprices et la curiosité de ses flairs félins. » (p. 114)
Marinetti exalte encore « l’héroïsme injuste et cruel, dominant la fièvre conquérante des moteurs », « les belles morts continuelles et désinvoltes des aviateurs » et prétend substituer aux conceptions du temps et de l’espace la nouvelle esthétique de la vitesse, tout en précisant :
« Qu’il soit imposteur, perfide, assassin, voleur, incendiaire, le Progrès a toujours raison. » (p. 136)
Il s’extasie enfin devant « les tableaux de distribution, les compteurs, les claviers, les appareils de réglage et de communication et partout le riche éclair des manivelles luisantes ».
Et il « défend » l’Italie :
« Après avoir bafoué tous les étrangers qui nous considèrent comme des donneurs de sérénades, des cicérones ou des mendiants, nous les avons sommés de nous admirer comme la race la plus douée de la terre. »
« Le mot Italie doit dominer sur le mot liberté. »
Marinetti a par ailleurs écrit dans son manifeste La guerre et le futurisme que le futurisme « a toujours considéré la guerre comme l’unique inspiration de l’art, l’unique morale purificatrice, l’unique ferment de la pâte humaine. Seule la guerre sait rajeunir, accélérer, aiguiser l’intelligence humaine, soulager et aérer les nerfs, nous libérer du quotidien, donner mille saveurs à la vie et du talent aux imbéciles. La guerre est l’unique gouvernail de plongée à la nouvelle vie aéroplanique que nous préparons. »
Comment le futurisme italien est-il reçu ?
André Gide écrit en mai 1905 : « Visite d’un Marinetti, directeur d’une revue de camelote artistique du nom de Poesia. C’est un sot, très riche et très fat, qui n’a jamais su se réduire au silence. »
En 1913, il ajoute : « Marinetti jouit d’une absence de talent qui lui permet toutes les audaces. Il fait à la manière de Scapin, à lui seul tout le bruit d’une émeute après qu’il a mis quelques benêts lecteurs dans le sac : Par l’enfer ! Par le ventre ! (Et voici le Roi Bombance !) Il tape du pied ; il fait voler la poussière ; il jure, sacre et massacre ; il organise des contradictions, des oppositions, des cabales pour ressortir de là triomphant. Au demeurant, c’est l’homme le plus charmant du monde si j’en excepte d’Annunzio ; vertueux à la manière italienne, qui prend souvent la verbosité pour l’éloquence, le faste pour la richesse, l’agitation pour le mouvement, la fébrilité pour le transport divin. Il vint me voir il y a quelque dix ans et déploya des amabilités si incroyables qu’elles me forcèrent de partir sitôt après pour la campagne ; si je l’avais revu, c’en était fait de moi ; j’allais lui trouver du génie. »
Du côté des avant-gardes, les réactions sont plus exacerbées. Il importe d’en faire état puisqu’elles démontrent que nombre d’artistes et intellectuels ne se laissent pas abuser et s’opposent sur-le-champ à l’idéologie de Marinetti, sans attendre sa compromission avec le fascisme, son amitié avec Mussolini, sans attendre non plus que le fascisme ou Mussolini se révèlent.
Les futuristes russes sont agacés. Ils réservent à Marinetti un accueil hostile, ils lui opposent les plus pertinents arguments sur le plan poétique et dénoncent sa « naïveté impardonnable », sa « platitude insipide » et le « caractère national nettement exprimé. »
. Le mépris du poète Vélimir Khlebnikov, être subtil et délicat, doit être grand envers Marinetti pour qu’il se laisse aller à enfoncer Marinetti dans son nationalisme obsessionnel en usant de qualificatifs faciles et ostentatoires tels que « macaroni » et « pauvre italien ».
Robert Delaunay exprime sa réticence d’ordre plastique dans une lettre à Kandinsky en 1912 : « Les Futuristes, eux, ont plus de succès, mais peut-être n’existeront-ils plus quand on aura trouvé les vrais moyens ; car comme l’on dit en France ils ont tous jeté le manche avant la cognée. »
Le prétendu ralliement d’Apollinaire
Durant l’été 1913, Apollinaire signe seul le manifeste de « L’Antitradition futuriste » dont il est généralement considéré comme l’auteur, en particulier par André Breton dans les Entretiens de 1952, bien que le feuillet ait été composé typographiquement à Milan et semble l’avoir été par et à la gloire des futuristes italiens.
Apollinaire est pourtant réservé. Le 9 février 1912, il écrit dans Le Petit Bleu :
« Les futuristes, eux, n’ont presque pas de préoccupations plastiques. La nature ne les intéresse pas. Ils veulent peindre des états d’âmes. C’est la peinture la plus dangereuse que l’on puisse imaginer. Elle amènera tout droit les peintres futuristes à n’être que des illustrateurs. »
Le 10 octobre 1912, il écrit dans L’Intermédiaire des chercheurs et des curieux :
« Ni Boccioni ni Severini ne sont sans talent. Toutefois ils n’ont pas bien compris la peinture des cubistes et leurs méprises leur ont fait instaurer en Italie une sorte d’art de la dispersion, art populaire et tapageur. (…) Une discipline rigoureuse régit l’art des cubistes. L’arbitraire est la règle de l’art futuriste en dépit des explications et des manifestes. Les artistes futuristes soutenus par la caisse bien remplie du Mouvement futuriste, dont le siège est à Milan, voient leurs affaires prospérer, tandis que la plupart des jeunes cubistes dont l’art est le plus noble et le plus élevé qui soit aujourd’hui, abandonnés de tous, moqués par la presse presque tout entière, végètent dans la demi-pauvreté quand ce n’est pas dans le dénuement le plus complet. »
Apollinaire ne se laisse pas impressionner par l’organisation marinettienne. Pour lui, la partie est inégale, en raison du battage publicitaire.
Le 31 mai 1914, il se montre dubitatif dans Paris-Journal. En raison du manque d’éclairage de la salle d’une exposition futuriste à Naples, Cangiullo avait été faire provision de feux de Bengale : « Lueurs rouges, fumigation générale, des pétards éclatent aussi, une fusée traverse la salle, épouvante des dames et des demoiselles, hurlements, cris, éclats de rire. Marinetti empoigne un feu de Bengale enflammé et commence à parler de dynamisme plastique (ce en quoi il était en retard, car il y au moins trois mois que le dynamisme plastique est relégué au rang des vieilles lunes). Bref, Marinetti attaqua violemment le sentimentalisme passéiste, le pastellisme et l’aquarellisme mercantile des pseudo-peintres napolitains. Et pour finir, les peintres et le public exécutèrent en chœur la célèbre symphonie onomatopéique du parolibre Cangiullo, intitulée Piedigrotta. Après quoi, chacun s’en fut coucher. »
Picasso
Fernande Olivier, compagne de Picasso de 1905 à 1912, se fait l’interprète d’un sentiment général quand elle écrit :
« C’est à cette époque qu’un hiver, après le retour de Céret, les futuristes italiens firent irruption à Montmartre, convoyés par Marinetti, dont Apollinaire s’était toqué. Ils vinrent chez Picasso naturellement. Severini, ainsi que Boccioni qui mourut pendant la guerre, étaient des exaltés qui rêvaient d’un futurisme détrônant le cubisme. Toutes les professions de foi, dont ils n’étaient pas avares, ils les firent valoir. Ils tâchaient de se donner des allures bizarres, essayant de se distinguer physiquement, au moins, de faire sensation, mais leurs moyens étaient médiocres ; ils se rendaient souvent ridicules. »
Unanimité de l’avant-garde contre le futurisme italien
A New York, la poétesse Mina Loy, future compagne de Cravan, condamne le futurisme italien, qui, dit-elle, « combat le mal avec le mal ». Elle s’était fait connaître en publiant en 1914 des « Aphorismes sur le futurisme » dans Camera Work.
Au printemps 1914, Arthur Cravan, plus direct, et d’une plus grande ouverture de compas, déclare dans sa revue Maintenant :
« Ne pouvant me défendre dans la presse contre les critiques qui ont hypocritement insinué que je m’apparentais soit à Apollinaire ou à Marinetti, je viens les avertir que, s’ils recommencent, je leur torderai les parties sexuelles. »
En 1915, dans la revue Blast, les Vorticistes anglais sont très critiques, eux aussi : « Futurism, as preached by Marinetti, is largely Impressionnism up-to-date. To this is added his Automobilism and Nietzsche stunt. .» En novembre 1917, Max Jacob consacre aux « Mots en liberté » sa contribution régulière à la revue Nord-Sud, elle est circonspecte mais ferme dans la manière toujours nuancée de l’auteur.
En mai 1920, le poète et collectionneur américain Walter Conrad Arensberg raille : « Le futurisme sera toujours une chose future. »
En 1920, Huelsenbeck écrit dans En avant Dada, l’histoire du dadaïsme : « La conception de Marinetti était réaliste et nous ne l’aimions pas. »
Tristan Tzara, Ungaretti
En décembre 1920, l’initiateur de Dada en personne fait preuve de la perspicacité la plus aigüe. Tristan Tzara écrit dans son Manifeste sur l’amour faible et l’amour amer, lu en décembre 1920 à la galerie Povolozky : « La poésie est-elle nécessaire ? Je sais que ceux qui crient le plus fort contre elle, lui destinent sans le savoir et lui préparent une perfection confortable ; ils nomment cela futur hygiénique . » Le 12 janvier 1921, Marinetti donne une conférence sur l’art tactile au Théâtre de l’Œuvre. C’est vraisemblablement Tzara qui rédige le tract intitulé « Dada soulève tout » où il s’amuse à pointer et singer les obsessions futuristes : « l’Italie, la patrie, les sardines, Fiume, d’Annunzio, l’héroïsme, les moustaches, la luxure, le passé, les odeurs, le génie le génie le génie, les pantalons de femmes ».
Pour conclure : « On vous présente aujourd’hui sous une forme pornographique, un esprit vulgaire et baroque qui n’est pas l’idiotie pure réclamée par Dada mais le dogmatisme et l’imbécilité prétentieuse ! » Le tract est signé par tous les dadaïstes de Paris sans exception ainsi que par Man Ray, Clément Pansaers, Huelsenbeck, Julius Evola, Gino Cantarelli, Varèse, Arensberg. Aux bêtises de Marinetti, les Dadas répondent par le sarcasme.
Lors de la « Mise en accusation de Maurice Barrès », en mai 1921, le poète italien Ungaretti, poussé par André Breton dans ses derniers retranchements, ironise sans perdre le fil : « Je ne me souviens plus de Marinetti ; j’avais trois ans lorsqu’il est mort. Il y a aussi un certain Marinetti qui est commis voyageur d’une fabrique de phallus. Je ne l’ai jamais connu. »
Vicente Huidobro
Dans Manifeste Manifestes (1925), le poète « créationniste » Vicente Huidobro note dans le chapitre « Futurisme et machinisme », texte écrit antérieurement à sa parution en volume :
« Les futuristes prétendent avoir apporté tous les matériaux pour l’art et la poésie que nous faisons et que font partout les poètes modernes. C’est absolument faux ; ce n’est qu’un rêve impérialiste à froid. Ils n’ont rien apporté du tout ; sauf un peu de bruit et beaucoup de confusion. Un art nouveau d’aspect, mais rien de nouveau, fondamental. Un art nouveau pour les onze mille vierges, mais non pas pour ceux qui s’y connaissent un peu. » Huidobro reproche en outre à Marinetti sa vantardise, de proclamer que « le futurisme (italien) a été l’impulsion , le point de départ de toutes les révolutions actuelles » alors que ses poèmes, même les plus modernes, sont plus vieux que Rimbaud, Mallarmé, Lautréamont et Saint-Pol Roux, sans avoir « fait un pas d’un demi-centimètre en avant après le symbolisme. » (…) « Chanter la guerre, les boxeurs, la violence, les athlètes, mais c’est plus vieux que Pindare. »
Il l’accuse enfin de faire l’impasse sur le cubisme, Picasso et Matisse qui existaient bien avant son arrivée à Paris : « Comment donc, cher ami, mais le cubisme existait déjà lorsque vous êtes venu à Paris, avec quelques poèmes style Carducci exalté et deux peintres impressionnistes qui ouvraient la bouche devant les tableaux de Matisse. »
Jorge Luis Borges, Duchamp, Ribemont-Dessaignes, Gertrude Stein, Moholy-Nagy
En décembre 1921, dans son manifeste Ultraïsme, Jorge Luis Borges se démarque de « la rhétorique exaspérée et la ratatouille dynamiste des poètes de Milan ».
Gertrude Stein, elle, exprime en 1932, avec son humour habituel, sa position dans l’Autobiographie d’Alice Toklas : « C’est vers cette époque que les futuristes, les futuristes italiens, eurent à Paris leur grande exposition qui fit tant de bruit. (…) Jaques-Emile Blanche en était tout troublé. Nous le trouvâmes dans le jardin des Tuileries où il se promenait en tremblant, et il nous dit : « Ça a l’air bien, mais l’est-ce en réalité ? – Mais non, répondit Gertrude Stein. – Vous me réconfortez », répartit Jaques-Emile Blanche. Les futuristes, menés par Severini, se pressèrent tous autour de Picasso ; il nous les amena tous. Marinetti vint aussi, seul, plus tard, je me rappelle ; mais en somme tout le monde trouva les futuristes ennuyeux. »
Marcel Duchamp, dans le catalogue de la collection de la Société Anonyme conçu pour Katherine Dreier, exprime sa réticence avec son élégance coutumière. « Le Futurisme, écrit-il, connut en Marinetti un dynamique animateur littéraire – mais le prince du futurisme fut Boccioni qui conçut les plus convaincants des manifestes. (…) Son décès prématuré fut certainement l’une des raisons de la faillite du mouvement dans son développement ultérieur. » Dans une note sur Severini, il enfonce le clou : « Le mouvement Futuriste abandonna sa carrière révolutionnaire avec la mort de Boccioni en 1916. »
En 1946, Georges Ribemont-Dessaignes publie Le Congrès des bourreaux. C’est une mordante satire du discours de Filippo Tommaso Marinetti qui a représenté en 1936 l’Italie au congrès des Pen Clubs à Buenos-Aires. Marinetti y devient « Olympio Olympini » et Ribemont-Dessaignes caricature à peine les grandiloquentes protestations de bonne foi du chef de file futuriste et fasciste, visiblement interloqué par les questions posées par ses collègues, alors qu’il stigmatise « l’intelligence » en tant que « conservatrice » par essence et « ennemie de la volonté de puissance » !
Moholy-Nagy, dans son magistral ouvrage testamentaire, Vision in Motion, en 1947 :
> « Ennuyé par les habitudes, il essaya de se libérer des conventions usées. Une manière immature d’exprimer ce sentiment de déprime l’a toujours projeté dans l’exhibitionnisme. Insolent, sans le moindre sens des responsabilités quant aux conséquences, il a voulu voir jusqu’où il pouvait aller pour épater le bourgeois. Les jeunes artistes d’Italie et de France furent heureux de prendre la tangente et de rallier une telle rébellion. Ils sentaient venir la tempête, la violence pour la violence, la réaction convulsive. Mais des démagogues comme Mussolini et Hitler, exploitant l’immaturité de la jeunesse, intégrèrent en toute conscience de telles âneries dans leur propagande, aggravant le danger de l’irresponsabilité de tels écrivains. Marinetti se jeta dans les mots en liberté. Homme de plume et de papier, il a fini dans l’académie fasciste de Mussolini comme un cheval de concours dans le pauvre cirque de sciure de bois de César, quand les vrais écrivains avaient quitté l’Italie fasciste ou y étaient emprisonnés, dans des camps de concentration ou bestialement assassinés. (…) On aimerait pouvoir penser que l’inventivité ne se trouverait que dans l’œuvre d’hommes qui ont un respect profond de l’intégrité de chaque homme, qui ont le sentiment d’une responsabilité sociale. Mais le cas de Marinetti est exemplaire de ce qu’une mésinterprétation, ou une interprétation malveillante, des signes impétueux d’une crise sociale imminente peut aussi être à l’origine d’inventions dans le domaine des techniques littéraires. De telles techniques n’ont pas nécessairement un seul sens. Les futuristes russes par exemple, et parmi eux le plus célèbre, Maïakovski, s’est tourné vers le communisme tandis que Joyce libérait les mots indépendamment de tout engagement politique ou même de toute connotation. » Les commentaires de Moholy sur l’immaturité, l’irresponsabilité, l’exhibitionnisme, la démagogie de Marinetti sont plus nets encore. Il rappelle, écœuré, les fanfaronnades de Marinetti au sein d’une académie fasciste mussolinienne.
Walter Mehring
Aux Etats-Unis, Walter Mehring écrivit en 1947 un livre qui a pour point de départ la bibliothèque perdue de son père. On y lit :
« Le chef de file des Italiens futuristes, F.T. Marinetti, était non seulement fils de millionnaire, mais encore un orateur né. Il sut persuader la poignée d’artistes qui formaient sa suite, impécunieux habitués de petits cafés, qu’il s’adressait aux masses en ébullition avant la lutte finale. (…) Jamais embarrassé lorsqu’il s’agissait de trouver quelque slogan tapageur, il découvrit les « idéogrammes typographiques » dont les zigzags devaient « accaparer le regard » et aussi une idée de ralliement politique désigné par le mot « fascisme » (qui, plus tard, lorsqu’il réclama la paternité, lui valut l’hostilité de deux concurrents, le bravo littéraire Gabriele d’Annunzio et le camorriste national Benito Mussolini). Dix ans auparavant déjà, lors de sa première apparition en public sur les places de Milan, – la ville la plus mécanisée du monde -, ce dernier déployait la parade caractéristique des dictatures : les gestes du dictateur romain, le laurier, le crâne tondu, la voix de mégaphone et l’anéantissement de l’individu : « Il faut abolir le moi dans la littérature ! » ainsi que la « recette » pour assassiner les masses : la guerre est la seule hygiène du monde. Quelle ordonnance futuriste, mais aussi quel vieux texte ! (…) Jusqu’à sa mort, passée inaperçue en 1944, dans le fortissimo des ses polyphonies futuristes-gaga, Marinetti devait proclamer ses convictions destructrices, par exemple lors du congrès international des écrivains. Courtisan du Duce, il s’écriait : « L’agressivité, le courage, l’héroïsme sont caractéristiquement futuristes et caractéristiquement fascistes ! » »
Etc.
Marc Dachy
Une première version de ce texte a paru dans la revue Critique dirigée par Jean Piel aux éditions de Minuit en janvier 1981 (n°404).
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8/11/2008