La Pompe funèbre
1er juin 1908 : Marguerite Steinheil, le retour de “Pompe Funèbre”
Marguerite Steinheil et sa famille
Lorsqu’on assure la permanence du commandement au ministère pendant tout le samedi ou le dimanche, on représente pendant 24 heures le ministre de l’Intérieur (devenu Président du Conseil dans le gouvernement actuel). Pendant une journée, on prend toutes les décisions conservatoires au nom du ministre et il nous appartient de juger s’il convient ou non de le déranger si une difficulté grave se présente. Les conseillers des G. Clemenceau se relaient pour assurer cette mission en chaque fin de semaine. Ce jour-ci, c’est mon tour.
Vers cinq heures de l’après midi, le préfet de police Lépine m’appelle. Au son de sa voix, je sens que l’affaire dont il souhaite m’entretenir est grave.
” – Monsieur le conseiller, une femme vient d’être retrouvée ligotée dans son appartement de l’impasse Ronsin dans le XVème arrondissement. Son mari et sa belle-mère gisaient à côté d’elle, sans vie.
– J’imagine que si vous me dérangez, c’est que les victimes doivent être connues ?
– Exactement. Vous vous rappelez Marguerite Steinheil ?
– Oui, la dame dans les bras de laquelle le Président de la République Felix Faure est mort, en 1899. C’est elle la femme ligotée ?
– Oui, et dans une fâcheuse position. J’ai peur que cette affaire prenne rapidement une tournure politique, c’est la raison pour laquelle je souhaite que le Président ou son représentant soit immédiatement averti. “
Je passe au préfet quelques consignes sur les conditions dans lesquelles les informations sur l’enquête doivent nous remonter et raccroche.
Même si le drame qui vient de se produire ne prête guère à sourire, je ne peux m’empêcher de repenser à la fin tragi-comique de Felix Faure, décédé dans les bras de sa maîtresse Marguerite Steinheil. La presse de l’époque avait largement fait ricaner l’opinion publique sur les circonstances de cette mort. On raconte que le prêtre accouru avait demandé : ” Monsieur a-t’il encore sa connaissance ? ” . Un domestique avait alors répondu : ” Non, rassurez-vous monsieur le curé, elle vient de sortir par la porte de derrière “.
Les chansonniers avaient déclamé en parlant du Président disparu : ” Il voulait être César, il ne fut que Pompée ” . Je n’ai jamais su s’ils faisaient allusion au sens un peu exagéré du faste du rival politique de Clemenceau ou si, de façon plus polissonne, ils rappelaient que Marguerite Steinheil avait peut-être pratiqué une fellation au Président avant son décès. Toujours est-il que l’infortunée jeune femme avait immédiatement été affublée par tous les journalistes du surnom de “Pompe Funèbre” .
La mort de Félix Faure, il y a bientôt dix ans, en 1899
C’est donc “Pompe Funèbre ” qui revient aujourd’hui dans une autre affaire, dix ans après.
J’envoie immédiatement deux policiers porter un message d’information à G.Clemenceau à son domicile (il n’a pas le téléphone) pour qu’il n’apprenne pas l’affaire par les journaux du matin. En fin de courrier, je sollicite ses instructions.
Deux heures après, les deux fonctionnaires reviennent avec un mot assez court de mon Patron, décidément toujours en pleine forme :
” Puisque Pompe Funèbre est revenue, ne cherchons pas à enterrer l’affaire. Cela serait impossible : dans ce type de crime à grand spectacle, personne ne saurait garder le silence comme une tombe. Pour autant, je ne me se sens pas concerné et ai décidé, jusqu’à nouvel ordre … de faire le mort. “
Marguerite Steinheil
Lu sur le site « Il y a un siècle » : http://ilyaunsiecle.blog.lemonde.fr/2008/06/01/1er-juin-1908-marguerite-steinheil-le-retour-de-pompe-funebre/
Nous vous rappelons que vous pouvez télécharger ici même le PDF du premier numéro d’Amer, revue finissante où vous pourrez lire entre autres choses un article de Ian Geay intitulé Irrumations fin-de-siècle. Il y est question de cette pompe funèbre là et de bien d’autres bouches encore.
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1/06/2008