Les luttes des putes [1]
Samedi dernier avait lieu dans la petite salle du centre Pompidou la seconde journée du colloque Borderline à Paris consacré aux économies du sexe. Pour la première table ronde de la journée étaient réunis Tim Leicester, coordinateur Lotus bus/Médecins du monde, Mathieu Trachman, Pascale Molinier, professeur de psychologie sociale à l’Université Paris 13 et Thierry Schaffauser, cofondateur du STRASS (Syndicat du travail sexuel). La discussion qui avait pour thème l’interrogative « Le sexe est-il un travail ? », était animée par Marie-Elisabeth Handman, maîtresse de conférences à l’Ehess, retraitée, et membre du Comité directeur de l’Institut Emilie du Châtelet. Et ce fut comme qui dirait un petit moment de grâce pour toutes les personnes présentes. Nous retiendrons notamment l’intervention avisée, juste -autant qu’il se peut- et claire de Tim Leicester dont l’intitulé était » La sécurité – physique et sanitaire – des travailleu.r.se.s », et qui parla plus généralement de la situation des travailleuses du sexe chinoises à Paris. Mathieu Trachman aborda quant à lui « Les émotions du travail pornographique » et Pascale Molinier la dimension souvent ignorée du care dans le travail sexuel. Thierry Schaffauser enfin présenta, en tant que pute, ce qui n’est pas rien dans un colloque très universitaire, le Strass, après être revenu sur quelques questions de sémantique et sur la question du sexe comme travail. L’échange entre les différents intervenants et avec la salle fut plutôt fluide et instructif. Vous pouvez semble-t-il réécouter l’ensemble des interventions sur le site de la BPI. Thierry Schaffauser conclut la rencontre avant de laisser la place à un autre débat (intéressant lui aussi et autour d’Imaginaires sexuels et rapports de pouvoir avec Michel Bozon, Florian Voros, Marie-Anne Paveau, Ovidie et Anne Laffeter) en annonçant la manifestation qui aura lieu ce soir, à Belleville, à 18h00.
Notez que cette nuit, mardi vers minuit, le même Thierry Schaffauser a été violemment interpelé sur le boulevard Barbès dans le 18e arrondissement alors qu’il distribuait des tracts et des préservatifs. Il lui a été reproché d’avoir parlé à une travailleuse du sexe. Rappelons par ailleurs que dans un livre publié aux éditions La Fabrique, Les luttes des putes, « Thierry Schaffauser, «pédé et drogué» comme il se présente, introduit une perspective marxiste de lutte des classes à la question prostitutionnelle. Membre fondateur du Strass donc, le Syndicat des travailleurs et des travailleuses du sexe, l’auteur est entré à 18 ans à Act Up pour militer puis a commencé à tapiner à 20 ans, porte Dauphine. Il ne prétend pas refléter «le point de vue des prostituées», mais espère «proposer une perspective à nos luttes et nos revendications dans une vision globale d’émancipation». Pour Thierry Schaffauser, les «putes» appartiennent, fondamentalement, à la classe ouvrière. L’enjeu est donc de lutter contre l’oppression, opérée par le système patriarcal et capitaliste. Avec une perspective historique fouillée et de nombreux exemples, il tente de remettre en cause la doxa abolitionniste. Non, la prostitution n’augmente pas lors d’événements sportifs de grande ampleur, non, toutes les prostituées ne sont pas des victimes de la traite, non, toutes ne souhaitent pas absolument arrêter, non, il n’y a pas que des femmes. » (Les Putes en lutte des classes, Quentin Girard, Libération, 14 octobre 2014)
Puisque nous y sommes, nous annonçons également la sortie de L’échange économico-sexuel, ouvrage collectif dirigé par Catherine Deschamps et Christophe Broqua tout juste dix ans après la sortie de La Grande Arnaque. Sexualité des femmes et échange économico-sexuel, ouvrage majeur de l’anthropologue féministe Paola Tabet, qui venait continuer dans ce livre important un travail long de vingt ans ,commencé en 1987 avec la publication de son désormais célèbre article « du don au tarif : les relations sexuelles impliquant une compensation » dans Les Temps Modernes. Vous pouvez lire ICI la chronique de l’ouvrage par Morgane Merteuil, elle même secrétaire générale du STRASS. Vous pouvez également écouter sur le site de la BPI l’enregistrement de la table ronde qui a eu lieu le vendredi 12 décembre dernier, toujours au colloque Borderline autour de la parution de cet ouvrage, mais cette fois, malheureusement, sans la présence et l’intervention des premiers et premières concernées, ce qui aurait peut-être permis parfois plus de pertinence dans les propos entendus.
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17/12/2014