Bethsabée par Claude Louis-Combet [2]
Il y a deux semaines, je recevais un paquet expédié par les éditions José Corti, que je remercie chaleureusement ici d’intercéder à la gentillesse et à la fidélité de Claude Louis-Combet, contenant son nouvel ouvrage dont la sortie est prévue l’année prochaine, c’est-à-dire très prochainement, le 05 janvier 2015 pour être précis. Il s’agit de Bethsabée, au clair comme à l’obscur nouvelle œuvre mythobiographique écrite par celui qui en a théorisé le genre, autour de la figure d’Hendrickje Stoffels, amante et modèle du peintre Rembrandt. Claude m’avait fait lire les très belles premières pages de ce nouveau roman alors que nous enregistrions Blesse, ronce noire, chez lui. J’étais reparti de Besançon troublé, et parfaitement frustré, comme tout bon amant. C’est aujourd’hui le sang parfaitement froid que je découvre la suite de ce récit dont le thème nous ravit, évidemment.
L’histoire nous apprend que Hendrickje Stoffels (1626-1663), entrée au service de Rembrandt après la mort de Saskia et l’internement de Geertjhe, devint la maîtresse du peintre. Elle fut sa dernière compagne, son modèle de prédilection et la nourrice de son fils, Titus. Tous les biographes la présentent comme une femme entièrement dévouée à son maître dont elle fut le principal soutien dans les années noires qui suivirent sa faillite et la liquidation de ses biens.
Dans ce livre, le narrateur, qui est tout sauf un historien, s’applique à composer l’image mythique du couple d’amants impliqués ensemble dans la création de l’œuvre comme dans celle de leur vie. Le lien qui les unit s’enracine, d’essentielle façon, dans la part la plus obscure de leur être, dans cette ombre dont Rembrandt déploie la matière en ses toiles, et qui sans cesse enfante la seule lumière nécessaire – expansive, chaleureuse, mystérieuse, pure révélation de l’intériorité.
C. L.-C.
Bethsabée, naguère et à jamais… Quand elle posait, nue, dans l’atelier, assise sur un monceau de tapis et draperies, Hendrickje n’en revenait pas d’exposer son ventre immense au regard du Maître et de tous les hôtes de la nuit, cachés dans les recoins, qu’elle ne pouvait distinguer, mais qui l’observaient et dont le désir rendait l’ombre sensible comme la corde d’une vielle. C’était toujours ainsi : le Maître lui-même lui ôtait ses vêtements dans la chambre où ils avaient dormi et ensuite il l’entraînait, comme il eût tenu la main d’Ève au premier jour, dans le labyrinthe de la grande maison, jusqu’à l’étage, au bout du monde, là où s’ouvrait le plus reculé de ses ateliers. En chemin, on s’arrêtait à chaque miroir. On eût dit que le Maître voulait faire moisson de reflets avant de s’installer à son chevalet. Il lui soupesait les seins. Il glissait sa main, par-derrière, entre les cuisses. Quelquefois il appuyait son visage ou, quand ils croisaient une haute psyché, son corps tout entier, contre la surface vitreuse et froide. Le Maître ne plaisantait pas. Il avait cessé de rire et d’aligner des bons mots depuis que la mort était entrée dans la maison et lui avait ravi Saskia. Il gardait ordinairement une humeur sombre. Il avait presque toujours le regard scrutateur et la face chagrine.
Merci Claude Louis-Combet !
Je me permets par ailleurs de vous signaler la sortie en mars dernier Des films pour rien, rétrospective des Films de Robert SEVE, présenté par Claude Louis-Combet, avec un inédit d’Hélène Cixous et des érographes de Mechtilt. Le livre édité par L’Atelier du Grand Tétras, comme le superbe Via Crucis, Le chemin de Croix de Gabriel Saury, toujours par C. L-C, est accompagné de douze des films de Robert Sève sur DVD.
Présentation de l’œuvre :
Dans les années 60 du siècle précédent, Robert Sève s’est engagé passionnément sur la voie du cinéma expérimental. Il a construit, sans références appuyées, d’instinct, en toute conscience, en toute lucidité, avec une audace et une intransigeance dépourvues de tout modèle suffisant, une œuvre qui n’a pas cessé de déranger et de bousculer les habitudes acquises par la familiarité de l’audiovisuel. Robert Sève est un authentique créateur de langage cinématographique dont la démarche procure cette surprise : le refus de tout pathos et de toute suggestion explicative, mais qui n’en génère pas moins une émotion esthétique grâce à laquelle les personnages du film n’en finissent pas de nous faire signe – comme si leur absence au monde, ou leur présence vouée à un monde sans enracinement, nous invitait à une radicale prise de conscience de l’existence pour rien.
Les textes, ici rassemblés, à l’orée ou dans le prolongement des films, apportent leur juste lumière autour d’une création singulièrement originale, puissante et inoubliable.
Claude Louis-Combet
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19/12/2014