Indiscipline
Jean-Luc Lamotte : Votre traité s’intitule : Traité d’épistémologie des sciences humaines. Pourriez-vous nous dire, pour commencer, de quelle manière vous entendez ce mot d’épistémologie ?Jean Gagnepain : Je ne vous apprendrai pas grand-chose en vous disant qu’il y a une politique conservatrice du savoir : c’est ce que j’appelle, à la suite d’Althusser, l’idéologie. Or l’idéologie est ce qui caractérise la plupart des épistémologues « traditionnels », dans la mesure où le savoir ne leur paraît sérieux que s’il est antérieur (« endormi », comme disait Bachelard). Pour moi, au contraire, l’épistémologie correspond à une politique du savoir non pas conservatrice, mais progressiste. Il s’agit d’élaborer un savoir ouvert, un savoir suggestif, un savoir qui, parce qu’il raisonne sur lui-même et s’adapte au temps, se trouve être en pleine prise sur l’histoire. Cela implique de ne pas restreindre ce savoir aux disciplines connues, mais d’en faire essentiellement une indiscipline (vous me direz que cela correspond à mon tempérament !). L’épistémologie, selon moi, c’est l’indiscipline par excellence au niveau du savoir, c’est-à-dire ce qui remet en cause, en permanence, la délimitation des disciplines. Ce n’est pas facile, mais, à mon avis, la voilà la véritable révolution des universitaires. Beaucoup d’entre eux croient faire de la politique en adhérant à des syndicats ou à des mouvements politiques : à vrai dire, c’est un alibi à leur profond conservatisme. La véritable révolution de l’universitaire, parce qu’il est dans le monde du savoir, c’est de contribuer, épistémologiquement, à transformer ce savoir, c’est-à-dire à agir sur lui en pratiquant cette indiscipline qui oblige à sa redistribution générale…
Entretien in introduction-a-la-theorie-de-la-mediation.
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29/09/2024