Impasse de la Fidélité
Lu sur Le Carnet et les instants cette chronique de Paul GERARD, Impasse de la Fidélité, CFC et Iselp, coll. « non-couché », 2024, 64 p.
Impasse de la Fidélité. Il ne faut pas faire dire au titre du livre de l’artiste Paul Gérard ce qu’il ne développe ni ne sous-tend – une réflexion sur le respect de la foi et de l’engagement conjugal, ce serait foncer droit dans un cul-de-sac. Il faut le comprendre pour ce qu’il énonce : le nom d’une voie sans issue bruxelloise sise près de la centrale petite rue des Bouchers qui, bien qu’aujourd’hui surtout visitée pour la statue de Jeanneke Pis et pour ses bistrots houblonnés, fait partie intégrante de l’histoire de la vie nocturne homosexuelle belge. On y trouvait notamment dans les années 1930 des bars gays et lesbiens où l’on pouvait s’asseoir à la vue de tous·tes et plus tard, des établissements davantage clandestins quand la nuit homosexuelle fut moins libre, dans les années 1960 notamment.
C’est probablement dans cette impasse que se rendait le grand-père de Paul Gérard quand il sortait avec sa bande d’amis. En tous les cas, c’est ce qu’imagine l’artiste puisqu’il n’a découvert de son aïeul aucun écrit intime, ni lettre ni journal, quand sa grand-mère lui a appris que comme lui, son grand-père était gay, qu’il avait été retrouvé mort étouffé sur son lieu de travail en 1967, probablement assassiné par son amant. De cette histoire familiale, Paul Gérard a créé un projet artistique qui mêle installations immersives, archives, sons et textes.
Il a d’abord monté deux expositions : la première, Étouffé dans la boue (2021) plongeait dans la sphère intime du couple de ses grands-parents, la seconde, Impasse de la Fidélité (2022) était davantage axée sur l’histoire collective et les espaces publics gays bruxellois des années 60. La suite du projet est un livre (2024), du même titre que la seconde exposition. Il est composé à la fois d’un texte fragmentaire (traduit en anglais à la fin du volume), nourrit de ce qu’il a pu lire et voir au Fonds d’archives et centre de documentation homo/lesbien Suzan Daniel, un texte délicat et réduit à l’essentiel qui réussit à quasi tout dire, même à nous faire entendre un evergreen américain (« I Only Have Eyes for You ») rien qu’avec les paroles, et des photos, elles-mêmes morcelées : des gros plans de la maquette de la maison des grands-parents et d’un bar clandestin, quelques portraits pris dans le cadre d’images plus larges. Des pages blanches aussi. En fuyant tout réalisme, tout sentimentalisme, en privilégiant le non-écrit et le non-illustré, le blanc entre les fragments et les photos, l’imagination des lecteurs et des lectrices, Paul Gérard réussit, mais comment fait-il ?, à rendre présent, prégnant le secret d’une famille, un homocide et l’ambiance invisibilisée d’une époque. Comme quoi, parfois, avec le moins on évoque le plus.
Michel Zumkir
Laisser un commentaire
5/11/2024