La mort se mérite
Serge est mort. Vosstanie publiait le 10 septembre 2018 cette chronique dans ses Points de vue image de classe :
LA MORT SE MÉRITE avec Serge LIVROZET
Un film de Nicolas Drolc
Le corps, la maladie, le quotidien et la mort. C’est peut-être ce qui m’a à la fois gêné et intéressé dans ce film de Nicolas Drolc.
Serge Livrozet que j’ai pu croiser dans mes jeunes années anarchistes, reste fidèle à l’image que j’en avais, sincère et disponible.
Il avait disparu des ondes de Radio Libertaire et du milieu anar. Mais peut-être est-ce simplement parce que j’étais devenu moins idéaliste.
Diminué Serge Livrozet déambule malgré tout sur la côte niçoise le regard orienté vers la mer.
Désabusé, il apprécie les cigares et nous questionne sur les prétentions militantes et l’énergie mobilisée pour changer les choses.
On se prend alors à vouloir l’interpeller. Non Serge, cela a bien servi à quelque chose. Probablement des trucs qu’on ne voit pas. Il faut se méfier du spectaculaire.
La révolte est toujours là, sourde. On se félicite d’ailleurs qu’elle ne soit patronnée actuellement par aucun “intellectuel de goche”.
Les prolétaires ne peuvent compter que sur eux-mêmes.
Peut-être avons-nous été trop chiants et austères jusqu’à ne plus savoir préparer et partager un caviar d’aubergine ? Qu’on a bien envie d’étaler avec toi sur ce pain de soldat de la guerre de classe.
On sait que Livrozet ne lâchera jamais. Il légitime toujours quand il le peut la possibilité pour les pauvres de prendre aux riches pour ne pas crever. D’en finir avec la prison qui ne peut pas être reformée.
Peut-être que le propos de Livrozet nous interroge alors plus globalement sur le volontarisme, ses limites.
Pour autant s’organiser reste le meilleur moyen pour résister face à l’anomie marchande.
Il est vrai que l’on ne peut rien contre la fatigue du monde et face à la maladie, le deuil, on est trop souvent seul.
On est loin du corps viril, héroïque et poseur du militant. C’est un contre corps-glorieux que S.Livrozet nous livre grâce à l’œil pudique de Nicolas Drolc.
Il n’y aura pas d’arrière monde. C’est ici et rien d’autre qu’il s’agit de se hâter lentement.
Le risque peut-être dans la démarche esthétique du réalisateur et dans le choix du noir et blanc, est de renvoyer un peu trop à l’inactualité, à l’autre siècle.
Quant à l’anarchie ? Libertaire ? (1) On ne sait pas trop ce que c’est. Paradoxalement la première lecture choc de Livrozet fut Marx qui milita ensuite avec la star confuse de la postmodernité Foucault.
Je n’ai jamais aimé la figure folklorique du vieil anar gouailleur, alternativement grincheux et jovial sur la Butte Montmartre que le cirque politique bourgeois nous proposait dans les années 80 avec une certaine complaisance des participants.
Me voilà assez peu à l’aise avec celle de l’anar sur la côte azuréenne. Peut-être parce qu’elle met en lumière les failles, les doutes et les désillusions et que cela va droit au coeur….de mon engagement.
Disponible en DVD ou en VOD. Les films Furax 130 minutes.
Note
(1) Serge Livrozet dans son émission sur les ondes de Radio Libertaire exprimait s’être rapproché de l’autogestion distributive et des héritiers de Jacques Duboin pour défendre donc une forme de planisme.
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5/12/2022