Bruno Roy / Fata Morgana (r.i.p)
– Tout ça ne me dit pas quel genre de livres publie Fata Morgana ?
– “De la littérature que c’est la peine” comme dit Larbaud : rien de ce qui est facilement classable, romans, théâtre, essais, philosophie, mais des textes le plus souvent courts, personnels, qui mettent en cause l’auteur : comme si chaque livre n’était qu’une page d’un “livre à venir” qui n’existe pas. Une littérature qui ne prétend pas dominer le monde mais se laisser envahir, posséder même par une puissance innommée : celle de la fée peut-être. Vous avez le catalogue sous les yeux, il ne vous reste qu’à vous y plonger…
– Et ce Bruno Roy, quel genre d’homme est-ce ?
– Il a une réputation solidement établie d’égoïsme pathologique, de goût du paradoxe et de la contradiction poussé dans ses derniers retranchements, de volonté de n’être jamais là où on l’attend… Pour moi, c’est une manière d’ogre ou de vampire : il n’écrit pas, ne peint pas, mais il a “ses” auteurs, “ses” peintres dont il s’approprie l’œuvre, qu’il accumule comme il accumule les livres, les dessins, les tableaux, les archives, les objets, les pièces d’archéologie et d’art primitif… Comme Barbe-Bleue entasse ses victimes dans sa chambre secrète et l’oncle Picsou les pièces d’or dans son coffre.
– Ça ne doit pas le rendre facile à supporter.
– En effet.
– Et la fée-sirène, c’est qui ?
– La littérature, bien sûr !
– Jouons : ce Bruno Roy, si c’était un écrivain ?
– Léon Bloy pour le côté imprécateur, André Gide pour l’ironie et l’ambiguïté, Cingria pour le plaisir ; essayez d’en faire la synthèse…
– Si c’était une fleur ?
– Oh ! un chardon ou un cactus. Mais même aux cactus il arrive de fleurir quand ça leur chante.
– Si c’était un peintre ?
– Paul Klee : il juxtapose les livres, les maquettes comme Klee juxtapose ses carrés de lumière…
– La lumière, c’est un maître-mot ?
– La lumière, c’est le maître-mot.
Laisser un commentaire
24/09/2021