Marine Summercity et Gueule d’Or
Ci-dessous un court entretien avec Marine Summercity, une fidèle des âmes, à propos d’une bande dessinée sur l’histoire ouvrière de Brest la rouge.
Les âmes : Tu apparais une nouvelle fois, et avec une belle fidélité, dans le dernier Amer, neuvième du nom. A côté de ça tu as été bien occupée ces derniers mois aux confins du monde – tu habites sur la pointe Finistère – puisque tu as notamment planché sur Gueule d’or, une bande dessinée de Kristen Foisnon, véritable portrait de la vie ouvrière et des luttes syndicales au cœur de l’arsenal de Brest au tout début du XXe siècle. Peux-tu nous présenter en quelques mots cet ouvrage et nous raconter comment le manuscrit de cette bande dessinée, qui date, est récemment remonté à la surface pour devenir un projet collectif ?
Marine Summercity : Comme tu l’as déjà un peu décrit, la BD Gueule d’Or est un ouvrage qui retrace les soulèvements ouvriers de l’arsenal à Brest, entre 1900 et 1914, début de la première guerre mondiale.
Cette histoire retrace les luttes sociales du moment au sein de l’arsenal de Brest, qui à l’époque avec le port, employait dans des conditions misérables une grande partie de la population brestoise.
L’auteur de cet ouvrage, Kristen Foisnon, est décédé en 1996 à la suite de maladie. Il voulait écrire cette BD historique avant de s’en aller, et il n’a malheureusement pas eu le temps de la terminer. Il était Brestois et militant anarchiste, illustrateur pour la FA, dessinait dans les journaux et pour des affiches syndicales et antimilitaristes, entre autres.
Ses ami.e.s de l’époque qui sont aujourd’hui aussi mes camarades brestois, avaient depuis longtemps connaissance de cet ouvrage et cherchaient quelqu’un pour le finaliser. Toutes les planches étaient dessinées, et le scénario complet. Il n’y avait « plus qu’à » ombrer les illustrations pour les mettre en lumière.
Ils m’en avaient déjà parlé il y a quelques années mais ne m’avaient pas montré les planches.
Pendant le premier confinement, certain.e.s de ces ami.e.s croisent David, le fils de Kristen sur un parking de supermarché (seul malheureux lieu de sociabilitié du moment) et ils discutent de l’aboutissement de cet ouvrage. Chacun.e ayant un peu de temps devant elle/lui, ils se sont dit que c’était le bon moment pour s’atteler à la tâche. Ils m’ont appelé à ce moment-là et il s’avère que David était par ailleurs un de mes anciens amis de lycée. Bref, ils ont créé l’association « les Amis de Kristen Foisnon » dans le but d’éditer cette BD (et d’autres ouvrages non terminés de Kristen afin de lui rendre hommage et de faire vivre son travail), et je les ai rejoints dans l’aventure.
Le but était de faire vivre l’Œuvre de Kristen, et d’ancrer un peu de mémoire ouvrière brestoise, bien trop effacé de l’histoire, sur le papier.
Les âmes : Qui sont Jules le Gall et Victor Pengam, les deux protagonistes de cette bande dessinée ? En quoi sont-ils des figures remarquables, du moins remarquées, des combats syndicaux et anarchistes du début du vingtième siècle, ou pour le demander autrement, qu’est-ce qui fait qu’ils se sont
démarqués, ou au contraire, qu’ils ont été tout à fait représentatifs de leurs compagnons et compagnonnes de lutte de l’époque ?
démarqués, ou au contraire, qu’ils ont été tout à fait représentatifs de leurs compagnons et compagnonnes de lutte de l’époque ?
Marine Summercity : Je t’avoue que nous avons assez peu de documents retraçant l’histoire de ces deux protagonistes. D’où l’importance même de cette BD. Brest à bien effacé sa mémoire ouvrière (et continue de le faire d’ailleurs avec son « pôle d’excellence maritime » aux Capucins, anciens ateliers de l’arsenal récupérés par la ville depuis quelques années qu’on aperçoit dans la bd, mais je ne vais pas m’étendre ici sur le sujet).
En tout cas, pour ce que je sais, Jules le Gall et Victor Pengam étaient ouvriers à l’arsenal et fervents défenseurs des droits sociaux des ouvriers, syndicalistes libertaires (je ne sais pas si on disait ça à l’époque). Ils ont beaucoup œuvré à l’instauration d’un syndicalisme révolutionnaire au sein de l’Arsenal. Victor Pengam crée notamment en 1903 une section des jeunesses syndicalistes de France, et ils sont tous deux actifs au sein de la bourse du travail créée en 1904. Ils sont plusieurs fois inculpés et jugés pour des faits d’agitation, de subversion, et d’incitation au meurtre et au pillage, entre autres. Jules le Gall sera condamné à la prison à trois reprises. Il finira par être exclu de l’arsenal en 1907 et par ouvrir une librairie (un mal pour un bien). Victor Pengam est quant à lui à l’initiative de la création d’une coopérative, « L’avenir des travailleurs » dont le but premier était la création de cantines pour les ouvriers de l’arsenal. Il en existait déjà une à l’époque, tenue par des bonnes sœurs, mais c’était probablement insuffisant. De plus une partie des travailleurs allait se saouler dans les bars lors de la pause du midi et la cantine était un moyen de diminuer les ravages de l’alcool.
Les âmes : De ce que tu sais, existait-il à Brest, avant que cette bande dessinée ne paraisse, une mémoire vive de ces figures d’une part, de ces luttes d’autre part et en quoi, d’après toi, leur souvenir peut-il jouer un rôle, du moins s’inscrire dans les luttes actuelles ?
Marine Summercity : Malheureusement, comme je l’ai déjà dit, il n’y a pas de mémoire vive à Brest de ces luttes. Très peu de personnes en ont connaissance. Peut-être les ouvriers de l’arsenal mais je n’en suis vraiment pas certaine.
Brest en général est une ville qu’on pourrait qualifier d’amnésique. On rase les moindres traces de son histoire, pour faire place au neuf, à l’innovation et à l’attractivité !
Je ne voulais pas m’étendre mais je vais en parler ici quand même. La ville récupère il y a quelques années Les Capucins, anciens ateliers de l’arsenal (pour précision, l’arsenal appartient à l’armée, c’est une grande zone de la ville interdite aux civils).
L’arsenal n’est plus ce qu’il était en termes de construction navale (réduction des effectifs dans les années 90 de 20 000 salarié.e.s à 7 000), il faut donc bien se débarrasser de ces quelques bâtiments encombrants vidés de leurs ouvriers. La ville transforme alors les capucins en espace public couvert (pratique dans cette ville pluvieuse) avec une grande, et plutôt chouette médiathèque et des commerces habituels, grandes chaînes ou magasins pour attirer le néo-futur-bobo. « On » (je ne sais pas qui) lui a suggéré à un moment de faire dans cet espace un musée de la mémoire ouvrière, mais ça n’a pas dû sembler suffisamment bankable. Donc nous voilà entre tout le reste, avec le pôle de l’excellence maritime, pour montrer au monde entier comment Brest brille par ses innovations maritimes (hydroliennes et tout le bazar, je ne sais pas bien quoi). Balayée d’un revers de la main l’histoire des ouvriers qui ont donné une grande partie de leurs jours et de leur vie dans ces ateliers pour construire la force militaire de la fraaaaance.
Seuls sont conservés aux capucins quelques morceaux de machines indéplaçables, pour donner un côté indus’chic aux lieux.
Bref, la mémoire de cette histoire ouvrière est importante car elle est une partie de l’histoire de cette ville à la base ouvrière, et toujours prolétaire. Même si aujourd’hui comme partout, la ville tente d’attirer des personnes plus aisées et de redorer son image à grand coup de téléphérique. Il est important d’avoir conscience que dans ces rues des gens se sont battus, hier aussi, pour obtenir un peu plus de dignité, et tenter d’abolir pourquoi pas, le patronat, le salariat la misère et l’exploitation. Certains y ont même parfois perdu la vie. Nous pensons à Edouard Mazé tué par la police lors des manifestations de dockers en 1950. Vous pouvez lire la BD Un homme est mort de Kris et Davodeau qui retrace son histoire. Vaste programme qui ne date pas d’aujourd’hui, on le sait. Mais c’est toujours bien de s’en souvenir, et de pouvoir le lier au contexte local. Comprendre que les choses ne se construisent pas seules et que pour chaque petit acquis sociaux, des personnes se sont battues, ici, à l’arsenal contre l’État qui les employaient. Ces personnes ont été jugées et réprimées comme c’est toujours le cas aujourd’hui, le passé n’est que le reflet du présent… Maintenant il est toujours bon de connaitre le ton donné dans les combats de l’époque et de savoir comment les personnes s’en sont tirées, ou pas. Et pourquoi pas s’en inspirer…
On voit que les revendications politiques sont totalement assumées auprès de la justice lors du procès. Il n’est pas question ici de se défendre à coup de profil de personnes bien intégrées dans la société, qui travaillent, étudient, ou ont de bonnes notes à l’école, faisant par cette défense de tous les autres qui ne seraient pas sur « le droit chemin » des moins que rien tout juste bons à jeter en taule.
C’est aussi la teneur politique de ces procès qui en fait leur portée collective et qui les inscrit dans l’histoire aujourd’hui. De ce genre de procès il faut savoir, comme leurs camarades l’ont surement pu à l’époque, tirer de la force et retenir la solidarité et la dimension collective défendue par l’affirmation des idéaux politiques….
Les âmes : « Je ne suis ni un saint, ni un sanguinaire, je suis tout simplement révolutionnaire et je le revendique ». Le quatrième de couv’ de la BD reprend un extrait des déclarations de Jules Le Gall, alias, « Gueule d’Or », lors de son procès aux assises du Finistère à Quimper les 28 et 29 Octobre 1907. A cette occasion, il fut condamné à trois mois de prison ferme, « reconnu coupable de provocation au meurtre, avec admission de circonstances atténuantes ». Juste par curiosité, sais-tu, savez-vous, de quelles circonstances atténuantes il est question ?
Marine Summercity : Un des copains de l’association les Amis de Kristen Foisnon me dit que le juge à reconnu la non violence physique de Jules Le Gall. A priori, ce serait ça la circonstance atténuante.
Les âmes : La colorisation, ce n’est pas juste du coloriage a priori. Cela se rapproche, par certains aspects, de la traduction dans le domaine littéraire. Il y a un réel travail d’interprétation de ta part. Coloriser ne veut pas forcément dire non plus passer du noir et blanc à la couleur, comme c’est souvent le cas pour les films anciens. Ici, puisque la BD est demeurée en noir et blanc la restauration a consisté à « mettre au noir ». Il est possible de voir dans une des annexes, en dernière page de l’ouvrage, une des planches originales retrouvées par David et la même planche après ton travail sur les traits et les ombrages. Peux-tu nous expliquer un peu plus précisément en quoi a consisté ton boulot et de quelle(s) manière(s) tu as procédé ? Penses-tu par ailleurs que ton travail aurait été plus difficile s’il avait fallu mettre en couleurs les planches de Kristen ?
Marine Summercity : Mon boulot a consisté à vraiment donner le relief à l’image par l’apport des ombres, et donc des lumières. Les esquisses de Kristen étaient foisonnantes de tracés, et il avait lui même déjà défini au trait les futures zones d’ombre. Je savais qu’il avait pensé ces illustrations en noir et blanc, sans valeurs de gris, au regard des quelques planches originales encrée que David a pu me montrer. Mais il a fallu que je comprenne ce dessin complexe, et la façon dont il avait pensé la lumière sur chaque planche. C’est un travail d’interprétation comme tu le dis. J’ai essayé de rester au plus proche de son dessin original pour ne pas trahir son œuvre. Je n’ai pas effacé de tracés ou de zones. D’où parfois la densité de traits.
C’est aussi ce qui fait la singularité de son dessin que j’ai tenté de mettre en avant.
J’ai travaillé sur tablette graphique, un travail sur papier aurait été bien trop fastidieux, car le dessin étant complexe et n’étant pas l’auteure, il a fallu que j’essaye, efface et recommence à de nombreuses reprises pour trouver la bonne formule.
Je pense que le travail m’aurait été plus difficile s’il avait fallu mettre en couleur car je suis moi-même habituée à travailler davantage les noirs et blancs dans mes illus que la couleur. Même si je tente d’y remédier à l’heure actuelle, car cette période à bien besoin de couleurs.
Les âmes : La BD a été présenté le 16 octobre 2020 à l’Avenir à Brest qui est un lieu collectif squatté et autogéré. En introduction à la BD, un texte rappelle que Jules le Gall et Victor Pengam ont tous deux participé à la création de la Maison du Peuple de Brest. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ces deux lieux, créés à un siècle d’écart ? Et puisque nous y sommes, quel avenir pour l’Avenir ?
Marine Summercity : Sur la maison du peuple, je ne connais pas son histoire et ne peux pas en dire beaucoup plus. Je l’ai fréquentée essentiellement pour des AGs de luttes (je parle au passé car je ne vis plus à Brest depuis peu). Au moins elle est toujours vivante et à toujours cette fonction. Quant à l’Avenir, vaste sujet ! Je me lance : cet espace a été ouvert par un collectif d’habitant.e.s du quartier Saint Martin il y a maintenant 6 ans, suite à l’annonce d’un projet immobilier. Il est le résultat d’une longue histoire de luttes dans ce quartier. C’était au départ un terrain resté en friche après la démolition de l’ancienne salle de l’Avenir, salle appartenant alors au diocèse mais utilisée à l’époque par les habitants du quartier pour y faire spectacles et projections de films. Derrière cette salle il y avait une école qui avait été elle-même squattée quelques mois pour en faire un centre social autogéré. Les habitant.e.s avaient déjà milité après sa démolition pour la reconstruction de la salle de l’Avenir. Chose qui avait été acté en conseil municipale par la mairie avant un retournement de veste arbitraire quelques années plus tard. On se demande bien à quoi servent les décisions votées en conseil municipal… Quelqu’un nous expliquera peut-être un jour.
Donc depuis 6 ans, le terrain est squatté et une salle y a été construite par le collectif d’habitant.e.s du quartier. Il s’y passe de nombreux évènements, spectacles, concerts, repas de quartier, fournées de pain, en tout illégalité, mais dans la beauté. Les divers évènements sont très fréquentés par un très large éventail de la population brestoise, au delà du quartier car il répond à une réelle nécessité. Il est un des rares espaces vivants, qui ne soit pas uniquement un espace de consommation du centre-ville brestois.
Aujourd’hui l’année de Covid qui vient de passer a laissé quelques traces et le manque d’activités se fait ressentir. Les forces en présence tiennent la baraque tant bien que mal en attendant des jours meilleurs. Parallèlement la mairie (avec quelques pressions de la préfecture) qui a de loin perdu la bataille de ce bout de terre et le rapport de force, tente une négociation pour légaliser les lieux. Affaire à suivre, rien n’est encore décidé et le collectif fonctionnant très bien en autonomie semble plutôt contre cette idée pour l’instant.
En cette année creuse et pour montrer que malgré le contexte l’Avenir est encore là, un carnaval sauvage pour l’Avenir a été organisé dans la ville au printemps. Il a réuni le temps d’une journée et dans la fête plus de 500 personnes.
On voit en ce moment tous les lieux un peu trop agités être sommés de se mettre aux normes ERP (Établissement Recevant du Public) par les préfectures et ce même lorsque ce sont des lieux illégaux. Nous savons que c’est un moyen pour l’État de reprendre le contrôle de certains espaces un peu trop subversifs, et pourquoi pas de les empêcher d’organiser toutes activités. Ils ne s’en cachent d’ailleurs pas, car au moment où ils pondaient la loi sur le séparatisme, une des responsables des renseignement territoriaux affirmait dans une interview qu’un moyen pour l’état de lutter contre les lieux séparatistes était de les attaquer sur l’accueil du public.
Tout est dit.
Les âmes : Et sinon, des projets autres que d’immerger ton corps ?
Marine Summercity : Pas mal de projets, et beaucoup d’envies surement irréalisables dans l’immédiat !
Pour l’instant l’achat d’un atelier avec 4 collègues artisans pour installer durablement mon atelier de sérigraphie, qui est mon activité principale en terres tregorroises. Et donc beaucoup de travaux pour l’année qui arrive.
Et puis sinon je fais toujours des illus dans CQFD, je commence aussi des illus pour un futur journal toulousain.
Du tatouage, de la sérigraphie, du surf et de la musique avec des copines.
Des envies de vadrouille aussi, incompatibles avec le reste, et de créer des grandes alliances des pauvres qui vivent dans des endroits stylés en bretagne et qui ont envie de pouvoir continuer à y vivre. Ce qu’on est déjà un peu en train de mettre en place dans le Finistère de façon informelle pour l’instant.
Voilà pour résumer : la vie, le dessin, la lutte, la fête, l’amour et l’amitié sont mes projets.
Pouvoir continuer à immerger mon corps tout au long de l’année en vivant sur la côte aussi.
Merci à toi !
Merci à toi pour avoir répondu à ces quelques questions et bon vent !
Pour commander : Association « Les Amis de Kristen Foisnon » 20, allée de Park Braz 29820 Bohars courriel : lesamisdekf@riseup.net
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10/09/2021