Vers une écologie du récit
C’est aux abords de la nuit que les hommes racontent des histoires. Des Guayaki de Pierre Clastres au chanvreur de George Sand et de Shéhérazade aux parents d’aujourd’hui, il existe un lien atavique entre l’usage du récit et la peur d’un univers livré aux puissances nocturnes. Ou plutôt : il existait. La domestication du monde a fini par dispenser l’imagination des hommes d’opérer la catharsis de l’effroi des lieux qu’ils habitent. Affranchie de son ancien rôle, la littérature ne célèbre plus que son propre office.
Mais voilà que le monde change. Voilà qu’un nouveau contexte – hostile, inhospitalier – fissure nos systèmes de climatisation. Les désordres climatiques nous remplissent de terreur, l’agonie de la vie sauvage nous accable de pitié. Nous pleurons pour la planète et tremblons pour le futur. Ce nouveau sentiment tragique invite la littérature à sortir de sa réserve et à reprendre du service. Court-circuiter le réel n’est plus une solution. Licencier l’imaginaire n’est plus une solution. La hantise du contexte travaille de nouveau sous le plaisir du texte. L’économie de la fiction se réouvre aux cycles longs d’une écologie du récit.
(…)Ainsi s’explique le petit miracle de Valet noir, qui rend l’histoire de ce chien errant aussi prenante que celle de son maître occasionnel. Une photographie prise par surprise, la découverte finale de ses maîtres : voici que vous saisissez enfin le sens de cette fiction réciproque mais bien réelle que l’homme et le chien furent, un été durant, l’un pour l’autre. Ulysse revenu à Ithaque fut d’abord reconnu par son chien : ces deux essais nous invitent à faire preuve d’une même capacité d’attention en retour.(…)
Jean-Louis Jeannelle, Le Monde des livres, 25 juin 2021, [artcicle complet ci-contre]
Jean-Christophe Cavallin, ancien élève de la rue d’Ulm, enseigne à l’Université d’Aix-Marseille, où il est responsable du master «écopoétique et création».
Valet noir [est un récit] ouvert à l’altérité la plus radicale tout en demeurant conscient de ses ancrages, un récit qui sort des climatisations confortables et réconfortantes, pour affronter des peurs et des deuils multiples, personnels et collectifs. Cette nouvelle écologie de l’imaginaire est située — ici dans un lieu géographique autant que littéraire, une autre vallée noire, un moulin en lisière d’une forêt. Elle renoue avec les terreurs de l’enfance, les deuils de l’âge adulte, elle relit et relie, contre les fictions fausses de l’immédiatement disponible. Elle accepte ce qui est butée, ce qui résiste aux évidences.
Christine Marcandier, Diacritik, mai 2021. Article complet sur ce lien.
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2/08/2021