Akademos
Dans les 12 mois à venir, les éditions Gay Kitsch Camp publieront non seulement les 12 volumes de la première revue homosexuelle française Akademos (1909) dirigée par Adelswärd-Fersen accompagnés d’un volume d’études mais aussi Ces messieurs du sens interdit (Marilli, 1933), Adonis bar (Duplay, 1928), tous deux présentés par Jean-Marc Barféty) ainsi que Les Fréquentations de Maurice (Place, 1911) présenté par Jacques Dupont.
1 / La revue Akademos ne doit plus rester uniquement le mythe délavé d’être la première revue homosexuelle française (1909) dirigée par un poète maudit. Elle mérite d’être rééditée sur papier accompagnée d’un appareil scientifique. Après examen, Akademos se révèle une mine de renseignements sur l’esprit homosexuel européen du début du siècle dernier avec un directeur illustre, Jacques d’Adelswärd-Fersen (victime d’un procès de mœurs en 1903) et des auteurs très libre d’esprit. On y retrouvera Colette, Willy, Georges Eekhoud mais aussi d’autres à redécouvrir comme Robert Scheffer. Si l’ensemble est plutôt littéraire et artistique, une des contributions est franchement engagée (« Le Préjugé contre les mœurs »). La revue comprend des textes qui ne sont toujours pas réédités comme la pièce « La Feuille à l’envers » de Laurent Tailhade et ses souvenirs sur Verlaine, et carrément un roman de Xavier Boulestin, Les Fréquentations de Maurice. Mœurs de Londres.
2 / Marilli de Saint-Yves, Ces Messieurs du sens interdit (1933). Présentation et dossier de Jean-Marc Barfety
1925-1930. Le Select vient d’ouvrir à Montparnasse. Il est rapidement « fréquenté par des androgynes se donnant une allure d’artistes ». Jean Cocteau s’est converti et Maurice Sachs porte la soutane. Maryse Choisy a passé Un mois chez les fille. Le mondain Sacha Bernard, ami de Proust et de Montesquiou, a créé le cercle Les Heures littéraires où se croisent quelques écrivains et homosexuels aujourd’hui oubliés : Abel Léger, Gaston-Réginald Chaplot, … Louis de Gonzague Frick est déjà le « poète sous le pot de fleurs ». Pierre des Ruynes se prépare à écrire La Papesse du Diable. Dans ce Paris élégant et mondain, parfois littéraire, quelques homosexuels se cherchent, s’aiment, se détestent, se trouvent. Ils vont s’encanailler dans un bal de la rue de Lappe. Ils croisent des personnages d’Alec Scouffi au Clair de Lune à Pigalle. Ils fréquentent des bars ou des salons de thé à « la clientèle spéciale ». Ils s’attablent à la terrasse du Select. Ils se font arrêter par la police dans un établissements de bains de Bastille.
Un observateur averti, ou peut-être une observatrice, à l’œil aiguisé, s’amuse à regarder tout ce petit monde s’agiter dans ce microcosme où se mêlent mondanités, littérature et homosexualité. Cette auteure qui se fait appeler Marilly de Saint-Yves regarde mais surtout caricature cet univers dans ce roman à clés, bien informé, qui est aussi un plaidoyer chaleureux et attachant pour l’amour « au-dessus des préjugés et des chaînes ».
Dans un dossier nourri et dense, cette édition s’est attachée à déchiffrer les nombreux pseudonymes et à faire revivre les personnes et les lieux qui se cachaient derrière. C’est une contribution à la connaissance de cette subculture homosexuelle parisienne des années 1925-1930 qui se trouve ainsi enrichie par l’évocation de nouveaux acteurs ou de nouveaux lieux.
3 / Maurice Duplay, Adonis bar (1928) Couverture signée Vertès. Présentation Jean-Marc Barféty
Un roman gay rare situé dans un bar gay de Montmartre qui reflète fidèlement la décadence des années 1920 à travers les yeux du propriétaire du bar Horace et de son amant beaucoup plus jeune.
Sidney Place (X.-M. Boulestin), Les Fréquentations de Maurice. Mœurs de Londres (Place, 1911) présenté par Jacques Dupont.
Ce roman de moeurs de Londres, qui n’est point à clé, est simplement une étude parfaitement impartiale de plusieurs petits milieux londoniens ; car il ne faudrait pas trop généraliser et attribuer à tous les Anglais les qualités et les défauts qui parent les personnages de ce livre.
Cependant ces milieux existent. Par conséquent il nous est permis, non de les maltraiter, mais de les traiter puisqu’il représente en somme des coins de Londres divers, curieux, inattendu, reconnu, presque uniques est assez spéciaux des coins du monde qui ne saurait, qui ne pourrait exister autre part à Londres ni dans une autre époque que la nôtre. Cela parcourt à ce roman possède une valeur tout au moins documentaire, étant pour parler comme M. Abel Hermant une manière de « Mémoires pour servir à l’histoire de la société ».
L’auteur des fréquentations de Maurice espère que ses lecteurs français ne se choqueront pas de ce qui il ait fait œuvre d’historien. Il espère aussi que personne ne croira qu’il est voulu critiquer qui que ce soit ni quoi que ce soit, et qu’on ne le flétrira pas du fâcheux nom de moraliste ! De quel droit en effet, et du haut de quel piédestal pourrions nous juger notre temps et nos semblables ? Mais personne ne saurait nous empêcher de noter leurs habitudes, d’admirer leur qualité, de rire de leur travers, de nous amuser de leur faiblesse. Tant d’autres écrivains, et les plus grands, nous ont montré le chemin. (Avant-propos de S. P.)
Le titre du roman est trompeur : le personnage de Maurice Verdal a pour fonction principale de découvrir (et de faire découvrir au lecteur) diverses facettes de Londres et certains de ses plus singuliers habitants. Son séjour outre-Manche le conduit ainsi à visiter divers quartiers de la capitale anglaise, en quelques explorations tentées, à partir de la zone privilégiée du West End (en particulier Mayfair), vers Whitechapel dans l’ East End, ou vers la périphérie (au sens large) que représentent Maidenhead et Brighton, ce qui nous vaut quelques « tableaux londoniens » fort réussis (dont l’évocation alors rituelle du célèbre fog. C’est aussi un roman de mœurs, Maurice, grâce à l’inévitable distance d’un étranger, étant pour l’essentiel un observateur – de mieux en mieux informé, grâce au perpétuel gossip mondain dont il est gratifié – de « ce tourbillon luxueux qu’est la Saison de Londres », de « la vie moderne londonienne », cette Vanity Fair. Gouverné par sa curiosité, et affectant une certaine neutralité axiologique, il se laisse guider par des cicerones divertissants et moyennement recommandables, dont le plus notable est un certain Reggie Lindsay, ambigu « gigolo » ou « cocotte », petit aventurier qui, avant de s’embarquer pour l’ Amérique à la fin du roman, lui fait rencontrer une société « un peu mélangée », et l’aide à déchiffrer en particulier divers aspects de la subculture gay du temps, dans sa version plutôt grande-bourgeoise et mondaine, préludant à celle qu’incarneront un Cecil Beaton et d’autres : clubs, salons, dîners, soirées au théâtre, boutiques de mode…C’est, comme l’avait pressenti l’auteur, cet intérêt « documentaire » et « historique » qui prévaut, pour le lecteur d’aujourd’hui, pour peu qu’il soit curieux de ce monde désormais englouti, et qui justifie une réédition annotée. (Jacques Dupont)
Boulestin, Xavier Marcel (1877-1943), cuisinier et écrivain français. En 1906, il quitte la France pour la Grande Bretagne, où il fait carrière comme restaurateur, ouvrant notamment le Restaurant français à Leicester square à Londres. Il publie des livres de cuisine, dont plusieurs rédigés avec son compagnon depuis 1923, Arthur Henry Adair. Il publie également des œuvres littéraires, parmi lesquelles Le Pacte (1899), une traduction française de L’Hypocrite sanctifié (1905) de Max Beerbohm et plusieurs études : Tableaux de Londres (1912), Dans les Flandres Britanniques (1916) et, sous le pseudonyme Bertie Angle, Aspects Sentimentaux du Front Anglais (1916) et The Atnaeum: A Collection of Atrocities Committed at the Front (1917). Il publie sous le pseudonyme Sydney Place Les Fréquentations de Maurice : mœurs de Londres (1912), prépublié dans Akademos, ainsi qu’une « chronique anglaise ».
Ce dossier accompagnera la réédition d’Akademos mais sera aussi disponible à part. En voici la table des matières provisoire. Il devrait être complété par d’autres études dans sa version définitive :
Régis Schlagdenhauffen, — Snob, décadent et très beau, Jacques d’Adelswärd-Fersen vu par Eugène Wilhelm
Nicole G. Albert, — Akademos et les plumes féminines ; — Colette dans Akademos.
Laurence Brogniez, — Joséphin Péladan et l’androgyne : « sexe qui nie le sexe » ou « frisson de Sodome »
Jean-Claude Féray :
— Albert de Bersaucourt : de l’érudition comme genre littéraire
— Achille Essebac et les poétiques amitiés des époques très anciennes
— Robert Scheffer, un bretteur à la plume foudroyante.
Jean-Marc Barféty,
— Victor Litschfousse, le secrétaire-gérant oublié d’Akademos.
— Abel Léger, d’Akademos en Arcadie.
— Charles Callet, du rêveur « réfugié dans l’Athènes de Périclès » au fou littéraire.
— Olivier Seylor, auteur des Maritimes et conférencier sur l’opium.
Damien Delille, — Les visions artistiques et esthétiques dans la revue Akademos.
Michaël Rosenfeld, — Biographies des contributeurs à Akademos.
Qui sommes-nous ?
L’association GayKitschCamp vient de fêter ses trente ans de publications consacrées à l’histoire littéraire LGBT. Elle prépare l’édition de son 100e titre (dossier Akademos). La liste des titres disponibles est consultable sur http://gaykitschcamp.blogspot.fr
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10/07/2021